Éditorial Cellulaire au volant

Une distraction sous-estimée

« La téléphonie cellulaire, qu’on manipule ou pas le téléphone, c’est dangereux lorsqu’on conduit un véhicule moteur », souligne la coroner Renée Roussel dans un nouveau rapport d’enquête sur une collision mortelle. Une évidence ? Oui, mais qu’il faut sans cesse rappeler, car les conducteurs ont tendance à surestimer leurs capacités.

La victime, une marcheuse de 75 ans en pleine forme, a été percutée dans une rue résidentielle de Saint-Alexandre-de-Kamouraska le 29 novembre dernier. Certes, la piétonne cheminait du côté, et non à contresens, de la circulation, mais comme le fait remarquer la Dre Roussel, le problème ne se serait pas posé s’il y avait eu un trottoir, ce qui n’est malheureusement pas la norme dans les quartiers relativement récents.

Il y avait un risque, la distraction d’un conducteur en a fait un drame. Ayant vu la marcheuse trop tard, celui-ci n’a pu l’éviter. Heurtée par-derrière, la victime a été projetée au sol où elle s’est facturé le crâne. Elle est morte quelques heures après.

Selon un témoin oculaire, le véhicule aurait commencé à freiner seulement au moment de l’impact. Le conducteur aurait été distrait par son passager et par son téléphone, indiquent les sources policières. Le chauffeur a nié l’utilisation du sans-fil, mais les données de son fournisseur montrent le contraire.

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Conduire avec un cellulaire à la main est interdit au Québec. Impossible de l’oublier, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et la police le rappellent régulièrement à grand renfort de campagnes de sensibilisation et de contraventions. Le nombre de constats d’infraction a plus que triplé depuis 2008 et la pénalité est passée de trois à quatre points d’inaptitude l’an dernier. « Le dispositif mains libres n’est pas conseillé. Il est toléré », indique également la SAAQ sur son site. Et pourtant, quelques kilomètres suffisent pour constater la popularité, et les effets, du téléphone au volant, à la main ou non.

On a tendance à l’oublier, mais l’autorisation du mains libres est un accommodement et non une décision scientifique. Déjà, avant l’adoption de la loi, de nombreuses études avaient montré l’effet distrayant de ce mode de communication. D’autres l’ont confirmé depuis.

Une expérience publiée l’an dernier par des chercheurs du département de psychologie de l’Université de l’Utah est éloquente. Les participants qui discutaient avec des proches à mains libres en opérant un simulateur de conduite faisaient plus d’erreurs, et en étaient moins conscients. Les individus qui surestiment leur capacité à mener plusieurs tâches de front sont d’ailleurs les plus portés à téléphoner en conduisant, ont constaté ces mêmes chercheurs dans une autre étude.

Que les gens aient une perception biaisée de leurs capacités, ce n’est pas nouveau, mais avec le cellulaire, ça atteint des proportions inquiétantes.

Lorsqu’on demande aux Québécois ce qui constitue, selon eux, la plus grande source de distraction au volant, trois fonctions du cellulaire (texto, composition d’un numéro, conversation) arrivent en tête, montre un sondage SOM réalisé pour la SAAQ et publié l’automne dernier. Quand on leur demande ce qui, eux, les distrait le plus, par contre, le texto arrive seulement en troisième, et les deux autres fonctions téléphoniques en sixième et septième places.

À quand une campagne pour rappeler que le sans-fil, même en mains libres, est une source de distraction non négligeable ? À bien y penser, le terme distraction est un peu faible. Peut-être faudrait-il parler de conduite avec les facultés affaiblies par le cellulaire.

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