Stéphane Perreault vit avec le VIH depuis 25 ans. Il est devenu séropositif en 1992 en faisant l’amour avec un homme. À l’époque, les gens mouraient du sida. Ils tombaient comme des mouches.
Stéphane a survécu. Il a apprivoisé le virus qui squattait son corps, une coexistence tranquille, sans larmes ni drame. Pendant 20 ans, il n’a pas développé la maladie. Solitaire, il s’occupait de sa maison entourée d’un grand terrain parsemé de fleurs.
En 2015, son corps s’est détraqué. « C’est arrivé de nulle part. Je marchais, je tombais, c’était épeurant », raconte Stéphane, qui vit cloué dans un fauteuil électrique.
Il savait que ce n’était pas le sida. Il a interrogé Google et il a découvert une maladie dont il n’avait jamais entendu parler. Les médecins ont confirmé ses soupçons. Il était atteint de la sclérose latérale amyotrophique (SLA), mieux connue sous le nom de maladie de Lou Gehrig. Une saloperie qui ne pardonne pas : pas de cure, pas d’espoir, des muscles qui s’atrophient et qui finissent par paralyser les voies respiratoires. Le patient meurt étouffé, en toute lucidité.
« Comment avez-vous réagi quand vous l’avez su ?
— Mal. »
Les réponses de Stéphane sont courtes, elles claquent comme un fouet. Il n’y a pas de place pour le doute, seulement pour le désespoir.
Il fixe la fenêtre de sa chambre microscopique : des murs pâles, un lit qui prend toute la place, une commode en désordre où gît une casquette. Il a des yeux vifs et perçants qui fouillent les entrailles.
« Le sida était bien contrôlé, j’avais pas de problème, pis là, la SLA… C’est ça qui me tue. »
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Stéphane a laissé sa maison à Chertsey. Il a renoncé à son grand terrain et à ses fleurs. Son frère était prêt à vivre avec lui, mais il a refusé net. « Les bains, les repas, les courses, le ménage, c’était trop pour lui. Ici, j’ai tout. »
Ici, c’est la Maison d’Hérelle, qui accueille des personnes atteintes du VIH. C’est son médecin qui lui en a parlé.
Son espérance de vie est de trois à cinq ans. Il a reçu son diagnostic en 2015. Il lui reste environ deux ans à vivre, sauf qu’il ne veut pas de cette vie qui tourne autour d’une routine abrutissante.
« Je me lève à 6 h, je prends un café, pis je retourne me coucher à 10 h. Je me lève pour dîner, je me recouche, je soupe, pis je me mets au lit à 9 h. »
Il soupire, exaspéré par sa vie rétrécie.
L’été dernier, il quittait parfois sa chambre pour s’aventurer jusqu’au parc La Fontaine, un parcours d’un demi-kilomètre. Il roulait dans son fauteuil électrique en tressautant sur les craques de trottoir. Il regardait les gens jogger avec une nostalgie mêlée de colère.
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Stéphane vit à la Maison d’Hérelle depuis un an et demi. Vit ? Non, survit, tient-il à préciser.
« Je suis démoralisé tout le temps. Je peux pas faire grand-chose. »
Il a arrêté la trithérapie. Il refuse de se battre contre le sida. Il ne prend aucun médicament, sauf des antidépresseurs et des pilules contre les spasmes qui martyrisent ses muscles malades.
« C’est dur de pas être dépressif. Je deviens agressif, je dis ce que je pense. »
Ses compagnons de route – ils sont 17 à la Maison d’Hérelle – lui « tapent sur les nerfs ».
« Qu’est-ce qui vous énerve ?
— Toutte. Leur routine. »
Il soupire de nouveau en regardant le ciel bleu et les arbres nus.
« Ma maison était dans le bois. Je suis assez solitaire. Ici, il y a plein de monde qui ont plus ou moins une tête sur les épaules. J’ai personne à qui parler. »
Il s’enferme dans sa chambre. Il sort pour avaler ses repas ou griller une cigarette sur le pas de la porte.
« Le monde me dit : “Arrête de fumer.” Je leur demande pourquoi. Ma vie est finie. Si j’attrape le cancer, je vais partir plus vite. »
Il pense à la mort qu’il appelle de tous ses vœux.
Il est arrivé ici en marchette. Aujourd’hui, il se déplace en fauteuil électrique. La dégénérescence ne fait que commencer. Il le sait.
« Après les jambes, les bras, la vue peut-être, je serai plus capable de rien faire. Je vais être un légume dans une chaise. On va me donner à manger, on va me changer. Ça m’intéresse pas, c’est pas ça, vivre. »
Il a fait une demande d’aide médicale à mourir, mais il n’entre pas dans les critères prévus par la loi, car sa « fin de vie » n’est pas prévisible dans un horizon proche.
Il voudrait aller à Zurich, en Suisse, pour mourir le plus vite possible, mais il n’a pas d’argent.
Il devra donc attendre. Dès qu’il sera admissible, il passera à l’action. Il est prêt, ses papiers sont en ordre, il a tout planifié.
Il veut mourir dans sa chambre, à la Maison d’Hérelle, sans sa famille.
« Je ne veux pas les voir pleurer.
— Avez-vous peur de mourir ?
— Non, j’ai hâte. Pour moi, l’enfer, c’est ici, sur terre. »
Stéphane a 57 ans.