Éditorial

Excès de politesse

Avant de s’inquiéter du ton des débats québécois, il faudrait s’assurer qu’ils existent

Le véritable danger n’est pas que nos débats dérapent, mais plutôt qu’on les étouffe, par manque d’audace ou d’intelligence.

Cette confusion mène à deux étranges suggestions faites dans les dernières semaines à l’Assemblée nationale : le projet de loi sur les discours haineux et une énième tentative de « faire de la politiquement autrement ».

Un petit groupe d’élus issus des quatre partis ont dénoncé, dans les derniers jours, la dérive de la période des questions. Ils somment le président de l’Assemblée de rétablir le décorum et réfléchissent à plusieurs réformes pour rendre les échanges moins hostiles. Ce serait nécessaire, selon eux, pour combattre le cynisme. Parmi les mesures étudiées : empêcher les applaudissements, permettre aux citoyens de poser des questions ou transformer le Salon bleu en demi-cercle pour éviter l’affrontement.

Il est pourtant normal que les passions s’affrontent.

Le problème ne réside pas dans le ton, mais plutôt dans le contenu des échanges. La partisanerie n’est pas mauvaise en soi. Elle le devient lorsqu’elle aspire toute forme de nuance, jusqu’à l’abrutissement.

Changer le diagnostic permettrait de changer la solution. Par exemple, on pourrait allonger le temps de réponse pour forcer un élu à développer sa pensée, ou à en révéler l’absence.

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Le projet de loi sur les discours haineux pêche aussi par excès de bonnes intentions.

Les propos haineux contre un individu ou un groupe sont déjà interdits par le Code criminel. Notre Code civil ne les sanctionne toutefois que s’ils visent une personne identifiable. Cette personne pourra alors réclamer un dédommagement au civil, où le fardeau de la preuve est moins exigeant.

Le gouvernement Couillard veut permettre aux groupes offensés d’entamer aussi de telles poursuites au civil. Face aux inquiétudes, M. Couillard a reculé à moitié. Le projet de loi sera amendé, promet-il. Seuls les appels à la violence pourraient désormais justifier des poursuites civiles.

Ce n’est peut-être pas un projet liberticide, car la jurisprudence a déjà établi que seuls les propos qui incitent à la « détestation extrême » peuvent être qualifiés de haineux. Mais même si le risque n’est pas immense, il existe. Et Québec n’a pas démontré pourquoi il mérite d’être pris.

Ce qu’on ressent, par contre, c’est la montée des susceptibilités, et pas seulement au Québec. Un récent reportage du Atlantic rapportait que les étudiants universitaires américains défendent de plus en plus le droit de ne pas être offensé, mais quand l’offense est imaginaire. Certains crient à la « micro-agression » si on affirme que les États-Unis sont une « terre d’opportunité », ou réclament une mise en garde sur le roman Gatsby le Magnifique de Fitzgerald, selon eux trop misogyne.

L’extrême politesse peut être autant une vertu qu’un vice. Quand elle s’immisce dans nos débats, elle crée des tabous et enfante des monstres à la Donald Trump. Des bouffons qui vocifèrent des âneries, mais qui peuvent se vanter d’être les seuls à oser les dire.

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