Kevin Owens

Champion à la lutte, ça fait quoi ?

Du 29 août 2016 jusqu’à il y a trois semaines, le visage de la WWE était un Québécois. Pendant ces six mois, Kevin Owens, de Marieville, portait fièrement la ceinture de champion universel de la prestigieuse fédération de lutte. Semaine après semaine, il soulevait ses partisans comme ses nombreux détracteurs, irrités par son arrogance. Il était la tête d’affiche des galas et devait donc livrer les combats les plus attendus. Il le sera de nouveau vendredi, au Centre Bell, même s’il n’a plus la ceinture. Mais pourquoi lui avait-on confié un tel mandat ?

Kevin Owens se souvient encore de chaque étape de cette semaine magique d’août 2016.

Ça a commencé le lundi 22 août, quand la WWE a annoncé que son tout nouveau champion universel, Finn Balor, devait abandonner son titre en raison d’une blessure – bien réelle – à une épaule. Le scénario prévoyait donc que quatre lutteurs se battent le lundi suivant afin de mettre la main sur le titre vacant.

« Quand j’ai su que j’étais dans les quatre, j’avais un feeling que ça irait de mon bord. Mais tu n’as jamais de confirmation en avance, donc même si la décision est prise, tu ne le sauras pas nécessairement tout de suite », raconte Owens, joint vendredi dernier alors qu’il quittait Montréal à destination de Syracuse.

« Je vais toujours me rappeler de la fébrilité que je ressentais. Quand je suis rentré dans le bureau de Vince McMahon et qu’il m’a annoncé la nouvelle, quand l’arbitre a fait le compte de trois, quand Triple H [lutteur et vice-président de la fédération] m’a donné la ceinture, quand je suis revenu en coulisses et que j’ai appelé ma femme et mes parents... J’ai de la misère à choisir quel moment était le plus mémorable. »

Très rapidement, la vie d’Owens – Kevin Steen, de son vrai nom – a changé.

« J’étais de plus en plus en demande. Dès le lendemain, on m’a envoyé à Toronto pour rencontrer des représentants de Toys “R” Us. Ça s’est fait graduellement, je ne le réalisais pas sur le coup, mais ça venait avec plus de responsabilités. Le feeling était spécial. Des entrevues au téléphone, j’en avais presque chaque semaine. Ça a duré six mois, mais ça a passé tellement vite. C’est quand j’ai perdu la ceinture que j’ai réalisé que ça avait changé ma vie. »

Pourquoi lui ?

Si vous lisez cet article avec votre fils de 7 ans, c’est le moment de passer à l’écran suivant. Voyez-vous, il appert que l’issue des combats de la WWE est déterminée à l’avance.

Dans un sport où l’identité du gagnant échappe au contrôle des athlètes, comment détermine-t-on qui est champion ?

Pierre-Carl Ouellet a lui aussi détenu une ceinture de championnat de la WWE (la WWF à l’époque). Avec Jacques Rougeau, il formait le tandem des Quebecers. De septembre 1993 à avril 1994, ils ont détenu les titres par équipe à trois reprises.

« Premièrement, ça prend du timing. Tu dois être à la bonne place au bon moment, rappelle l’ancien lutteur et analyste à RDS, mieux connu sous le surnom de PCO. À l’origine, ça devait être Finn Balor, mais il s’est blessé. Nous aussi, on est devenus champions par équipe pour des raisons X. Peut-être que les frères Steiner [champions avant eux] donnaient des maux de tête à Vince McMahon. »

Peu importe le contexte, l’exploit demeure de taille.

« La première fois que je suis devenu champion du monde par équipe, je n’ai pas dormi de la nuit ! On reparlait du combat, on était sur un nuage, se remémore Ouellet. C’était l’exploit d’une vie. C’est comme gagner la Coupe Stanley. Demande à un acteur ce que ça lui fait de gagner un Oscar. »

« Être champion, c’est la différence entre jouer quatre secondes dans un film comme figurant et avoir le rôle principal. »

— Pierre-Carl Ouellet

Kevin Owens utilise lui aussi la métaphore du cinéma.

« C’est le même principe qui fait en sorte qu’un réalisateur va choisir tel acteur pour son rôle principal », explique le Marievillois.

« Plusieurs facteurs peuvent jouer. Mais au bout du compte, les dirigeants pensent que la personne à qui ils donnent la ceinture va tirer son épingle du jeu, va contribuer au show, va donner une bonne performance. Parfois, ça peut être pour récompenser un gars pour ses années de sacrifice, comme avec Mick Foley [en 1999]. Moi, c’était plus que Vince McMahon était content de moi et voulait voir ce que je pouvais faire comme champion. »

Retour sur terre

Le 5 mars dernier, Kevin Owens affrontait Bill Goldberg, une ancienne gloire des années 1990 et 2000 qui est de retour dans l’arène. En très exactement 21 secondes, Goldberg a pulvérisé Owens pour devenir le nouveau champion du monde. Six mois de règne qui prennent fin en quelques secondes...

Dans la lutte comme dans tout domaine, il y a des ego à gérer, et un tel scénario n’aurait pas nécessairement été accepté par tous les champions. « Il y aura toujours des lutteurs plus inquiets de préserver leur statut que de donner un bon show », soutient Owens.

« Perdre la ceinture en 20 secondes, ce n’est pas facile, rappelle Ouellet. Kevin aurait pu s’enfler la tête avec sa position, il aurait pu dire à Triple H que ça n’a pas d’allure de perdre comme ça après six mois. Il ne l’a pas fait. Il est meilleur que moi pour ça ! Ensuite, il s’est fait battre en moins d’une minute par Brock Lesnar au Madison Square Garden. Ce n’est jamais le fun.

« Mais Kevin est assez intelligent pour voir le portrait d’ensemble. Dans ce cas-là, ils ont pris cette décision pour mieux vendre Goldberg-Lesnar comme combat principal à WrestleMania. Il est conscient que ça va aider la compagnie à avoir de meilleures cotes d’écoute. Je le trouve fort entre les deux oreilles. »

« Ça fait partie de la job, laisse tomber Owens. Tu ne peux pas être champion toute ta vie. Je sais que j’ai fait du bon travail, les dirigeants aussi. Il y a des raisons de business pour lesquelles il fallait passer à autre chose. Mais je suis content et j’ai hâte à la prochaine run. Je sais que j’aurai une autre ceinture, celle-là ou une autre.

« Que je la perde en 15 secondes ou en 15 minutes, ça ne change rien à mes yeux. Tant que je reviens backstage et que Vince McMahon est content, c’est ça, l’important. Cette fois-là, il l’était. »

Vendredi, au Centre Bell, Kevin Owens affrontera son compatriote québécois et vieil ami Sami Zayn. Il n’y aura donc pas de ceinture en jeu, mais ce sera assurément le combat le plus attendu du public montréalais. Si Owens et Zayn luttent comme ils savent si bien le faire, Vince McMahon devrait de nouveau être content.

WWE à Montréal

Toujours pas de gala télévisé

Le gala de vendredi au Centre Bell ne sera pas télévisé. Ce sera donc un spectacle à plus petit déploiement, où les scénarios de ce téléroman pour hommes ne progresseront pas nécessairement. Les puristes rappelleront toutefois que des galas comme celui de vendredi sont davantage centrés sur la « vraie » lutte. Le dernier gala télévisé présenté à Montréal remonte à mai 2015, une attente que certains amateurs jugent frustrante, avec les Québécois Kevin Owens et Sami Zayn qui luttent à temps plein à la WWE. « Je n’ai jamais eu la chance de faire un gala télévisé à Montréal. J’ai hâte de vivre ça, admet Owens. Si les gens de Montréal restent patients, ils ne devraient pas avoir à attendre trop longtemps avant que leur souhait soit exaucé. »

Une vieille amitié

Ils ont peut-être 17 ans de différence, mais Kevin Owens et Pierre-Carl Ouellet ont jadis travaillé ensemble. Dans les années 2000, ils étaient les têtes d’affiche de l’IWS, une fédération montréalaise qui a connu un certain succès et qui est de retour dans les affaires. « C’est Kevin qui m’a amené à l’IWS, raconte Ouellet. Il ne souhaitait plus lutter pour Jacques Rougeau, car il voulait avoir la chance de développer son anglais et de lutter plus souvent. À l’époque, je lui avais dit : si t’as l’intention de percer, ce n’est pas par moi ou par Jacques que ça va arriver. C’est toi-même qui devras faire ton chemin. Je ne sais pas si c’est ce conseil-là qui a fait pencher la balance, mais je suis vraiment fier de lui ! »

Les coulisses d’un combat

Quand on parlait d’ego à la lutte... Pierre-Carl Ouellet a raconté une anecdote qui l’illustre bien. C’était en 1994, à WrestleMania X, un des plus grands galas de l’histoire de la fédération. Ouellet et Jacques Rougeau étaient alors champions par équipe depuis quelques mois et défendaient leur titre contre Men on a Mission. « On était champions, mais nos victoires étaient toujours à l’arraché. Pendant deux mois, on s’était fait dire qu’on allait avoir une grosse victoire, que l’on gagnerait clean [sans tricher]. Et l’après-midi du gala, ils ont changé les plans pour que ça finisse par disqualification. Ça a donné un gros coup. Jacques était insulté, il voulait que l’on démissionne tout de suite après le gala ! » Les Quebecers ont finalement accepté leur sort, mais ont perdu leur titre quelques semaines plus tard.

Duel tout canadien

Le 2 avril prochain aura lieu la 33e édition de WrestleMania, qui se tiendra à Orlando, dans le même stade qui avait accueilli 74 000 spectateurs lors de WrestleMania XXIV, en 2008. Pour l’occasion, Kevin Owens y affrontera Chris Jericho, le fils de l’ancien des Rangers de New York Ted Irvine. Owens et Jericho ont formé un tandem très divertissant ces derniers mois. Mais comme toujours à la lutte, leur association a pris fin quand l’un a écrasé la tête de l’autre dans un écran de télévision (Jericho a été la victime, cette fois). Ironiquement, le Québécois Owens et le Manitobain Jericho se battront pour... la ceinture des États-Unis.

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