Éducation

Aborder l’horreur avec ses enfants

La photo est dure, très dure. Aylan Kurdi, 3 ans, est couché sur une plage, face contre sol, seul. On voudrait tellement le prendre, le réconforter, mais il est mort, noyé.

Autant ces photos sont souvent essentielles pour alerter l’opinion publique, autant elles peuvent être troublantes pour ceux qui les regardent. Pour les adultes, pour qui la mort d’un enfant est inacceptable, mais aussi pour les enfants, qui pourraient avoir tendance à s’identifier au petit garçon syrien.

Qu’on le veuille ou non, nombre d’enfants n’ont pas échappé à la photo d’Aylan Kurdi, qu’on voit partout depuis quelques jours : sur Facebook, à la une des journaux, à la télévision. Comment leur expliquer une situation aussi complexe que la crise humanitaire qui sévit en Syrie ? Que leur dire ? Quoi leur cacher ?

« À partir du moment où l’enfant a vu la photo, il faut être réel, il ne faut pas cacher les choses, conseille Garine Papazian-Zohrabian, professeure agrégée au département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal et membre de l’Ordre des psychologues du Québec. Moins on dit la vérité, plus ça nourrit l’angoisse. »

La psychologue Nadia Gagnier est du même avis. « Si on lui dit : "Occupe-toi pas de ça, tu es trop jeune", le scénario que son imaginaire peut générer pourrait être pire que la réalité », dit-elle, tout en invitant les parents à se montrer affectueux et respectueux des émotions que pourraient vivre leurs enfants.

Garine Papazian-Zohrabian et Nadia Gagnier conseillent aux parents d’attendre les questions de leurs enfants, de se laisser guider par celles-ci. L’interprétation que l’enfant peut avoir de la photo varie en fonction de son âge et de ses expériences.

« Parfois, l’enfant veut simplement savoir pourquoi le garçon s’est échoué sur une plage, synonyme de joie, de vacances en famille. Il ne veut pas nécessairement savoir tout ce qui se passe avec [le groupe] État islamique, les conflits, les Américains qui n’auraient pas dû se mêler de l’Irak… »

— Nadia Gagnier, psychologue

Les tout-petits demanderont peut-être si le garçon dort. Mieux vaut dire la vérité : l’enfant ne dort pas, il est mort.

« En principe, dans des conditions optimales, on préconise que les adultes leur disent que la mort, c’est l’arrêt de la vie, et que vivre, ça veut dire manger, respirer, dormir, sentir… », explique la Dre Papazian-Zohrabian, qui mène des recherches sur l’influence des deuils et des traumas sur l’adaptation des jeunes.

Fondatrice et directrice générale de l’organisme Deuil Jeunesse, Josée Masson insiste sur l’importance d’aborder la mort avec les enfants. Cette mort, souligne-t-elle, ils en entendent parler depuis toujours. Dans les histoires, dans les films de Walt Disney, dans les expressions verbales…

« Si on prend le temps de s’asseoir et d’en parler, on va créer un beau climat de confiance, souligne Mme Masson, travailleuse sociale. Quand un enfant aura peur de la mort ou peur de quelque chose, il va aller vers ses parents et non vers ses amis, qui n’auront pas de bonnes réponses pour lui. »

Josée Masson constate que, lorsqu’ils perdent un être cher, les enfants qui ont déjà abordé la mort avec leurs parents dans le passé ont tendance à mieux accepter le statut d’être endeuillé.

UNE QUESTION, UNE RÉPONSE

Plus l’enfant est vieux, plus ses questions à propos de la photo seront sophistiquées, précises. Pourquoi est-il sur une plage ? Pourquoi sa maman l’a-t-elle amené là ? Où sont ses parents ? Encore là, conseille Garine Papazian-Zohrabian, il faut répondre aux questions et s’engager à aller jusqu’au bout de celles-ci.

« Il faut que les adultes qui sont autour de ces enfants se donnent ce rôle, cette fonction de les apaiser, de les aider à se détacher de la réalité de cet enfant syrien, mais aussi d’expliquer, d’éduquer. »

— Garine Papazian-Zohrabian, professeure à l’Université de Montréal

« Malheureusement, ça fait partie de la vie, mais ce n’est pas normal, ce n’est pas acceptable. En général, ce ne sont pas les enfants qui devraient mourir », dit-elle.

Avec un préadolescent, la réflexion peut aller loin, souligne la Dre Papazian-Zohrabian. Sur la guerre, sur les réfugiés en quête d’une vie meilleure (les enfants ont souvent des camarades de classe d’origines diverses), mais aussi sur la valeur de la vie humaine et sur l’importance de ne jamais banaliser la violence, aussi petite soit-elle.

Avec les petits, aussi, on peut parler du bien et du mal qui existent en chacun de nous – les petits le sentent déjà bien à l’intérieur d’eux-mêmes ! « Et de combien il est important de faire en sorte que le bien gagne toujours », conclut Garine Papazian-Zohrabian

5 ans

Vers 5 ans, beaucoup d’enfants commencent à poser des questions sur la mort, puis à comprendre qu’il s’agit d’un phénomène irréversible. Vers 9 ans, ils commencent à réaliser que tout le monde – y compris eux-mêmes – va mourir un jour, indique Garine Papazian-Zohrabian.

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