Au Québec, la belle-sœur de Kim Boutin avait reçu le mandat de gérer ses réseaux sociaux. Après la finale du 500 mètres, elle a rapidement sonné l’alarme.
En une heure, les comptes Instagram et Facebook de la patineuse s’étaient remplis de plus de 10 000 commentaires, provenant majoritairement de partisans coréens en furie de la disqualification de Choi Min-jeong. Au milieu des insultes et injures, il y avait plusieurs menaces de mort.
Samuel Bélanger-Marceau attendait dans les gradins quand il a été prévenu. Il en a eu des haut-le-cœur. Craignant pour la sécurité de sa blonde, il a rapidement contacté un membre de l’équipe canadienne. « J’ai eu la chienne, je ne pensais pas que ça pouvait se rendre jusque-là », nous avait-il raconté quelques jours plus tard à PyeongChang.
Pendant que les dirigeants de l’équipe faisaient bloc autour de Boutin, ses comptes ont été temporairement fermés. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) assurait sa sécurité, a fait savoir le Comité olympique canadien. Apparemment, la police coréenne avait ouvert une enquête.
Le lendemain matin, la mésaventure de la patineuse canadienne a fait l’objet de questions à la conférence de presse quotidienne du Comité international olympique.
Sans connaître tous ces faits, Kim Boutin avait le cœur dans la gorge sur le podium, ce soir-là, à l’esplanade olympique de PyeongChang. Elle a reçu les encouragements sentis de la médaillée d’or, Arianna Fontana. L’Italienne lui a conseillé de ne pas tenir compte de ces menaces, de garder la tête haute. « Elle m’a dit : “Fous-toi-z’en, fais-le pour toi.” Arianna est tellement inspirante. C’est une force tranquille, une fonceuse. Ça m’a rassurée venant d’un modèle comme elle. »
Tandis que la médaillée revenait vers le Village des athlètes, ses coéquipiers se sont concertés pour l’accueillir à son retour. En entrant dans son condo, Boutin a éclaté en sanglots en voyant tous les membres de l’équipe réunis, sans exception. « Arrêtez de faire semblant, je sais ce qui se passe ! », leur a-t-elle lancé.
« On l’a prise dans nos bras, chacun avait son petit mot à lui dire, raconte Marianne St-Gelais. C’était important qu’elle sente qu’on est là. C’est un trip d’équipe. » Charles Hamelin s’est fait apaisant, lui a rappelé qu’elle n’était pas la première à qui ça arrivait.
Au fond d’elle-même, Boutin n’était pas encore tout à fait rassurée.
« Ça fait du bien, c’est une vague positive, mais il reste qu’en dedans, tu continues quand même à avoir mal et à essayer de comprendre. »
— Kim Boutin
Le lendemain, à la cafétéria, elle a vu Choi Min-jeong, celle qui l’avait coupée avant le dernier tour de la finale du 500 m. Elle mangeait avec tous ses coéquipiers de l’équipe sud-coréenne. Spontanément, la Québécoise s’est dirigée vers elle. « Elle était dos à moi et elle parlait, relate-t-elle. Ils me regardaient tous m’en venir. Tout le monde s’est tourné et a fait : qu’est-ce qui va se passer ? »
Boutin a pris sa rivale dans ses bras et lui a dit que c’était chose du passé, que ce n’était rien de personnel. « Elle ne parle pas beaucoup anglais. Elle a dit : “Es-tu correcte, ça va ?” Elle était surprise, mais elle était aussi contente. Elle avait vraiment un regard empathique. Tous les Coréens m’ont salué après ça. »
Elle se souvient que plusieurs l’ont touchée, même si ce genre de démonstration ne fait pas partie de leur culture.
Ce moment de fraternisation lui a permis de tourner la page jusqu’à la soirée de compétition du surlendemain. En posant les lames sur la glace, la crainte et les mauvais souvenirs ont refait surface. Paniquée, elle cherchait Samuel dans les gradins. Elle a demandé à parler à Fabien Abejean. « Je lui ai dit : “Je ne patinerai pas dans cet état-là, ça ne marche pas. Tout le monde autour de moi pense que c’est beau, mais je ne suis aucunement rassurée par ce que j’ai vu.” »
Le spécialiste en préparation mentale l’a prise à part et s’est enquis de ce qu’elle savait. Il lui a exposé que les menaces n’étaient qu’un cas isolé, attribuable à trois jeunes. Il a évité de lui parler de la dizaine de milliers de messages menaçants dont elle ignorait encore l’existence.
En retournant sur la glace, Kim Boutin était transformée. Avant la finale du 1500 m, elle a serré la main de toutes ses adversaires, dont Choi Min-jeong. À la foule, elle a fait un signe de cœur avec sa main, reprenant à son compte un geste popularisé par des vedettes de la K-pop. Tandis que Choi filait vers l’or, elle a remporté le bronze.
« Quand j’ai traversé la ligne, j’étais tellement fière, se souvient-elle. C’était non seulement le parcours de l’athlète, mais celui de la personne qui a mis ça derrière elle pour avancer. C’était de ne pas me laisser intimider par la foule, les commentaires. Ç’a été de me tenir debout, la fameuse chanson qui m’a tenue. »
Tenir debout, un succès de Fred Pellerin, elle en avait fait son hymne personnel dans son cheminent tortueux vers ses premiers Jeux. Jamais elle n’aurait cru qu’il prendrait une telle résonance à PyeongChang.