Clara Furey

La chorégraphe cosmique

Une salle de répétition vide, des vêtements épars par terre, des consoles de son abandonnées : il est 11 h du matin et Clara Furey se fait attendre. Il faut dire que la belle enfant, maintenant âgée de 34 ans, a un horaire de fou cet automne. Non seulement elle s’apprête à présenter sa toute première chorégraphie de groupe, Cosmic Love, huit soirs à la Place des Arts, mais elle devra aussi courir au Musée d’art contemporain de jour pour présenter sa performance dans le cadre de l’expo Leonard Cohen – une brèche en toute chose.

Plusieurs fois par semaine, depuis le début de l’expo au MAC, Clara performe seule, torse nu, à côté de la sculpture d’une dépouille de Marc Quinn, au milieu d’une salle où les gens peuvent s’asseoir ou n’être que de passage. La perfo n’est pas courte. Elle dure 90 minutes !

« C’est une drôle d’expérience que je vis et qui me fait découvrir un tas de choses sur moi et sur la danse. Par moments, c’est comme si je venais puncher ma carte de temps. Je suis toute seule, je me change dans un petit cagibi, j’appuie sur play pour la musique et c’est parti. »

À la fin du marathon Cohen en avril 2018, Clara aura donné 96 représentations de cette performance de 90 minutes, pour un total de 144 heures dansées. Ce n’est pas rien et Clara n’a pas fini de documenter son évolution physique et psychologique au sein de cette expérience hors norme.

Du piano à la danse

La voilà qui s’amène toute menue mais débordante d’énergie dans la salle de répétition. Comme le temps a filé depuis ce soir-là au Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, où Clara, 15 ans, a chanté et joué pour le Tout-Montréal réuni par ses parents, Carole Laure et Lewis Furey.

À l’époque, elle étudiait au Conservatoire de Paris. « De l’âge de 4 à 18 ans, j’étais Clara au piano. Je jouais, je composais, je ne pensais qu’à la musique. J’aime encore passionnément la musique et la musique m’a aidée à traverser mon adolescence mais, à un moment, la solitude du piano et du studio a commencé à me peser. »

En manque de dépense d’énergie, Clara s’est inscrite à l’École de danse contemporaine de Montréal. « Je me suis retrouvée avec des gens qui faisaient du ballet classique depuis leur enfance. J’avais 17 ans – c’est tard pour commencer à danser. J’avais de l’instinct, mais je n’étais pas très bonne. »

« En même temps, j’ai vite compris que je ne voulais pas être danseuse. Je voulais être une créatrice qui danse, je voulais quelque chose de plus large. »

— Clara Furey

Une créatrice qui danse. C’est exactement ce que Clara est devenue au fil du temps. Et le talent aidant, la créatrice a dansé beaucoup, en solo, en duo, dans toutes sortes de configurations et pour toutes sortes de chorégraphes comme Benoît Lachambre, George Stamos ou Eric Arnal Burtschy. Mais c’est sa rencontre à Vienne avec Peter Jasko, devenu son partenaire de vie depuis, qui a changé son optique.

« Un gros déclic s’est produit quand Peter et moi avons crée Untied Tales en octobre 2015. J’ai vraiment pris mon pied à cosigner la chorégraphie et à la danser avec Peter, sur la musique de mon frère, Thomas Furey. Jusqu’à ce moment-là, j’étais quelqu’un d’assez sauvage et puis subitement, j’ai eu envie de sortir de ma bulle, de me connecter aux autres, d’être à l’écoute de ce qu’ils voulaient me dire au lieu de toujours me pousser. »

Ballet cosmique

De cette nouvelle façon de voir la vie et de s’ouvrir aux autres est née l’ébauche de Cosmic Love, la première chorégraphie que Clara signe entièrement seule. Mais comme elle n’était pas prête à renoncer à danser, elle est à la fois la chorégraphe et une danseuse aux côtés des cinq autres. Dans les faits, il y a un septième danseur : Thomas Furey qui a composé la musique, qui n’a jamais dansé de sa vie mais qui le fera cette fois, pour sa sœur chérie.

En principe, l’acteur et danseur Francis Ducharme devait être du spectacle, mais une blessure à la clavicule l’empêche d’y participer.

Ses danseurs, Clara les a choisis un peu partout, aussi bien à Montréal et à Calgary qu’à Berlin. Elle a composé un ballet cosmique basé sur sa croyance spirituelle que tout le monde a sa place dans l’univers. Par contre, comme elle a été formée à l’école de la rigueur classique, ce sera, assure-t-elle, une pièce sans concession, un brin radicale, qui risque de ne pas plaire à tout le monde.

« Mais c’est correct. Au moins, quand les gens n’aiment pas, il se passe de quoi, ils se positionnent. Moi, je n’aime pas qu’on me dise quoi faire, quoi penser, quoi ressentir et j’espère ne pas le faire aux autres, mais évidemment, ce que je veux par-dessus tout, c’est communiquer. »

« Mon obsession, c’est la communication. C’est pourquoi même si ma chorégraphie est une pièce abstraite, elle parle d’écoute et d’empathie. »

— Clara Furey

Un solo pour Céline Bonnier

Clara Furey a passé son enfance et une partie de son adolescence à Paris. Pendant sa vingtaine, elle n’était pas certaine de savoir où elle allait s’établir mais, à 34 ans, il n’y a plus de doute dans sa tête : c’est à Montréal qu’elle vit et qu’elle veut vivre et créer. Elle a déjà en tête un nouveau projet chorégraphique après Cosmic Love. Ce sera un solo de danse sur son amie, l’actrice Céline Bonnier.

« Nous avons déjà collaboré ensemble sur Hello. How are you ?, qui était une sorte de performance à deux. Cette fois, Céline sera seule en scène. J’ai envie, pour une fois, d’avoir du recul et de ne pas être sur scène. Je ne renonce pas à danser pour autant. »

Clara Furey espère que les spectateurs qui viendront voir Cosmic Love vivront quelque chose de signifiant. Elle insiste sur le fait que divertir est la dernière chose qu’elle recherche. « À la limite, je préfère que quelqu’un s’endorme pendant mes shows », dit-elle. Mais il n’y a pas de danger. Avec Clara sur les planches, le sommeil n’aura aucune chance de se manifester.

À la Cinquième Salle de la Place des Arts du 6 au 14 décembre

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