PHOTOS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

Des parents poursuivis par leurs ados ?

Ces photos de bébé en couches, la larme à l’œil ou la morve au nez, que vous publiez en toute bonne conscience sur les réseaux sociaux, pourraient vous coûter cher. Pensez-y : d’ici quelques années, l’enfant devenu grand pourrait bien se rebeller... et vous poursuivre.

C’est du moins ce qu’avance le Guardian dans un article au ton alarmiste publié la semaine dernière.

Il faut dire que les premiers bébés de Facebook, nés en 2004, entament à peine l’adolescence. Et avec eux surgit une série de questions pratiques, éthiques et juridiques jusqu’ici peu explorées.

« Les enfants pourraient-ils un jour poursuivre leurs parents ? », titrait ainsi le quotidien britannique en citant plusieurs experts. « Votre photo chérie de votre bambin sur le pot ne sera peut-être pas sa préférée… », y dit l’un d’eux.

UNE MISE EN GARDE DES AUTORITÉS FRANÇAISES

L’article rapportait une mise en garde des autorités françaises quant aux risques que la publication de photos fait peser sur la vie privée des mineurs. En effet, non seulement les parents participent-ils ainsi à la construction d’un fichier numérique de leur enfant, mais ces photos pourraient tomber entre les mains de prédateurs. De plus, ces clichés risquent de heurter (pas à peu près) les principaux intéressés. Attention : conflits de famille salés à l’horizon.

« On reproche souvent aux adolescents leur comportement sur internet, mais les parents ne sont pas mieux. »

— Éric Delcroix, spécialiste du web 2.0, cité dans Le Figaro

« D’ici quelques années, des procès d’enfants reprochant à leurs parents d’avoir publié des photos d’eux lorsqu’ils étaient plus jeunes pourraient tout à fait avoir lieu », a affirmé M. Delcroix.

Si les enfants se sentaient victimes d’atteinte à la vie privée, ils pourraient théoriquement réclamer quelque 65 000 $ (ou 45 000 €) et leurs parents pourraient même être passibles d’un an de prison, avançait Le Figaro, chiffre repris par tous les médias britanniques dernièrement.

ET ICI ?

Que penser de tout ça ? « Il est vrai que la loi française est particulièrement sévère quant à la protection de l’image », reconnaît Pierre Trudel, professeur de droit de l’information à l’Université de Montréal. Mais à sa connaissance, il n’y a encore jamais eu de poursuite en ce sens.

Au Québec, poursuit-il, la loi s’inspire du droit français : toute personne peut s’opposer à la publication de son image. De là à ce qu’un adolescent poursuive ses parents, il y a une marge, dit-il.

« Le risque est toujours possible, mais si le parent n’avait pas d’intention malveillante, j’ai de la misère à voir qu’on puisse condamner de manière rétroactive. »

— Pierre Trudel, professeur de droit de l’information à l’Université de Montréal

Et quoi qu’il en soit, si poursuite il y avait, elle serait civile : pas de risque de se retrouver derrière les barreaux pour avoir publié une photo, donc. Quant à la condamnation, elle serait « assez faible », estime l’expert, « de 2000 à 3000 $ – et non 45 000 € –, pour dommages moraux ».

POSER LA QUESTION

En attendant, la question de la vie privée des enfants mérite réflexion. Une étude de l’Université du Michigan a récemment creusé la question auprès de 249 familles afin de connaître le point de vue des enfants sur les technologies et l’usage qu’en font leurs parents. S’ils s’entendent tous plus ou moins sur l’essentiel des règles à respecter [on ne texte pas au volant], les chercheurs ont noté une différence fondamentale : la question du partage des photos.

Si vous avez des ados, vous ne serez pas surpris : « Deux fois plus de jeunes [NDLR : de 10 à 17 ans] ont dénoncé le partage d’informations personnelles sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux », a écrit la coauteure, Sarita Schoenebeck, du School of Information de l’Université du Michigan.

Un conseil ? Demandez-leur donc leur avis avant de publier une photo d’eux aujourd’hui. Même si vous le savez d’avance : ils risquent de refuser. Et vous savez quoi ? C’est leur droit…

TROIS QUESTIONS À SE POSER

Pierre Trudel, professeur de droit de l’information à l’Université de Montréal, propose trois questions à se poser avant de publier une photo d’enfant sur les réseaux sociaux : 

Est-ce que mon enfant pourrait être identifié ?

Le voit-on devant son école ? Pourrait-on le retracer physiquement ? Si oui, abstenez-vous.

Est-ce que la photo pourrait être reprise à l’infini, voire parodiée ?

Personne ne veut faire de son enfant un Star Wars Kid.

Mon enfant approuve-t-il ?

À partir de 8-10 ans, un enfant est capable de consentir, ou non, en toute connaissance de cause, à la publication d’une photo. À vous de lui expliquer les risques de diffusion et les usages secondaires possibles.

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