SAINT-APOLLINAIRE

Un cimetière, deux communautés divisées

SAINT-APOLLINAIRE — Les marguerites blanches se balancent au gré du vent. L’étang artificiel est à moitié vide. Le vrombissement des voitures rappelle que l’autoroute 20 se trouve à 100 mètres. Ce terrain en friche est le point de départ d’une controverse identitaire qui divise la petite ville de Saint-Apollinaire et qui attire maintenant l’attention de tout le pays.

Nous sommes en plein milieu du parc industriel de Saint-Apollinaire. Le complexe funéraire Harmonia, rue Laurier, a pour voisin un garage. Les cendres de 200 personnes reposent dans un petit parc aménagé à l’arrière de l’immeuble.

Un peu plus loin se trouve le bois qu’Harmonia souhaite vendre au Centre communautaire islamique de Québec (CCIQ). L’organisme souhaite y aménager le seul cimetière entièrement musulman de la grande région de Québec.

Les détails du projet ont commencé à filtrer en février, un mois après l’attentat qui avait fait six morts au CCIQ. Aussitôt, le téléphone du maire Bernard Ouellet a commencé à sonner.

« J’ai commencé à avoir des téléphones, relate le maire. J’ai commencé à avoir des gens qui étaient réticents, des gens qui n’aimaient pas ça, des courriels qui me disaient de ne pas accueillir ça à Saint-Apollinaire. »

Pour enterrer des corps sur le site, il faut modifier le règlement de zonage. Les opposants se sont organisés en un clin d’œil. Ils ont recueilli assez de signatures pour forcer la tenue d’un référendum sur le projet.

Demain soir, les résidants du secteur sont appelés à voter. Les 49 personnes qui se sont inscrites décideront du sort du projet.

Le maire Ouellet appuie le projet depuis le début. Il avoue avoir été estomaqué par la réaction de certains de ses concitoyens, bien qu’il se dise convaincu que la majorité d’entre eux ne sont pas racistes.

« Je m’aperçois qu’il y a une proportion de gens de Saint-Apollinaire qui, oui, ont réellement peur des musulmans. Je ne sais pas si je dois aller jusqu’à dire qu’ils sont “racistes”. Peut-être quelques-uns. Le “racisme” pur, je crois que c’est une minorité. Par contre, en employant le mot “peur”, je crois qu’on va regrouper beaucoup plus de personnes. »

— Bernard Ouellet, maire de Saint-Apollinaire

Les adversaires du cimetière ont mené une campagne de porte-à-porte pour mobiliser les citoyens contre le projet. Une campagne de « désinformation », aux yeux de Marcel Landry, résidant du rang de la Prairie-Grillée, qui votera pour la création du cimetière demain.

« Ils disaient qu’ils mettaient juste quatre pouces de terre par-dessus les corps et qu’ils n’étaient pas dans une tombe », illustre ce citoyen, qui se dit ulcéré par la tournure de la campagne.

Les promoteurs du projet ont organisé trois séances d’information en présence de représentants du CCIQ pour faire connaître le rituel funéraire musulman. Seulement sept personnes y ont participé.

Pour Sylvain Roy, directeur d’Harmonia, un seul mot convient pour expliquer la réaction des opposants : « racisme ».

« Ça démontre que la société québécoise n’a aucune ouverture alors qu’elle prône l’immigration, dénonce M. Roy. Elle ne permet pas l’intégration des ethnies qui viennent s’installer au Québec. »

Mohamed Kesri, responsable du projet au CCIQ, estime qu’il aura du mal à penser autrement si le « Non » l’emporte demain soir.

« S’il n’y avait pas eu l’information que les futurs occupants seraient des musulmans, Harmonia aurait eu son permis sans référendum, souligne-t-il. La raison réelle du référendum, c’est pour empêcher les musulmans d’avoir leur propre cimetière. »

La porte-parole du Comité de l’alternative citoyenne, Sunny Létourneau, assure qu’il n’en est rien. Elle affirme que ses concitoyens sont favorables à l’inhumation de musulmans dans leur village. Ils sont cependant mal à l’aise à l’idée qu’un site soit exclusivement réservé à une religion.

« On n’a jamais dit totalement non, dit-elle. On avait offert une association ou une coopérative ou quelque chose qui aurait permis d’inclure tous les gens ensemble, et non que la mosquée se sépare des autres. »

Les musulmans divisés aussi

Mme Létourneau dit vouloir favoriser le vivre-ensemble entre les communautés. Elle en a marre d’être dépeinte comme intolérante par ses adversaires.

Pour le souligner, Mme Létourneau a insisté pour être interviewée en compagnie de la présidente de l’Association de la sépulture musulmane du Québec. Hadjira Belkacem. Les deux femmes ont assisté la semaine dernière à l’inauguration d’un espace réservé aux musulmans au cimetière de Saint-Augustin, à l’ouest de Québec.

Mme Belkacem souligne que rien n’empêche les musulmans d’être portés à leur dernier repos dans un cimetière multiconfessionnel. L’idée de créer un cimetière entièrement musulman à Saint-Apollinaire ne fait pas consensus au sein de la communauté, ajoute-t-elle, car bon nombre de musulmans ne sont pas pratiquants.

« Il faut savoir que la communauté musulmane, elle n’est pas unifiée. C’est important de le savoir : il y a plusieurs nationalités, plusieurs congrégations, plusieurs visions aussi. »

— Hadjira Belkacem

Mohamed Kesri, du CCIQ, reconnaît qu’il y a « une certaine froideur » entre différents courants de pensée au sein de sa communauté. Mais ces différences ne devraient pas servir de prétexte pour empêcher la communauté musulmane d’acquérir son propre cimetière.

« Il y a un cimetière catholique, il y a un cimetière protestant, il y a un cimetière juif, dit M. Kesri. Pourquoi ne pas ajouter le quatrième, un cimetière musulman, et le problème serait réglé. »

Deuxième tentative

Le Centre culturel islamique de Québec cherche depuis une décennie un site pour enterrer ses morts. En 2008, il avait conclu une entente pour acquérir une partie du cimetière Notre-Dame-de-Belmont, à Québec. Le Journal de Québec avait alors rapporté que le cimetière, « où reposent notamment les ex-premiers ministres Jean Lesage et Louis-Alexandre Taschereau, pourrait devenir un cimetière musulman ». Le projet a avorté lorsque la Ville de Québec a exigé 1,3 million des promoteurs à titre de « contribution pour fins de parcs ».

Le député-ministre refuse de se mouiller

Après l’attentat au Centre culturel islamique de Québec, Philippe Couillard a livré un vibrant plaidoyer pour le vivre-ensemble. Un discours qui contraste avec le mutisme de son ministre Laurent Lessard, dont la circonscription de Lotbinière-Frontenac comprend le territoire de Saint-Apollinaire. M. Lessard est resté sur les lignes de touche pendant le débat sur le cimetière musulman. « Le ministre ne commente pas ce dossier, a fait savoir sa porte-parole, Dominique Plante. Les citoyens vont se prononcer ce dimanche et la démocratie aura parlé. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.