Chronique

Des grenailles pour les proches aidants

Complètement nul ! Ce sont les mots qui viennent à la bouche de l’humoriste Jonathan Collin quand on lui demande de décrire le soutien de l’État aux proches aidants.

Durant trois ans, il a été forcé d’arrêter de travailler pour accompagner sa femme, morte d’un cancer l’an dernier, tout en s’occupant de ses enfants qui n’avaient que 6 et 7 ans au moment du diagnostic fatal.

« Les programmes du gouvernement, c’est zéro et pis une barre », lance celui qui prépare maintenant un documentaire sur la détresse des aidants naturels de 25 à 45 ans.

Malgré la gravité de sa situation, Jonathan n’a eu aucun soutien gouvernemental. Il n’était pas admissible aux prestations de compassion de l’assurance-emploi (AE) puisqu’il était travailleur autonome. Il n’a pas profité des crédits d’impôt, car il n’avait plus de revenus.

Rien. Niet. Pour la solidarité sociale, il faudra repasser.

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L’aide du gouvernement est franchement minuscule en comparaison avec l’ampleur des efforts déployés par les proches aidants au Québec, comme le démontre une analyse qui sera publiée demain par le Conseil du statut de la femme.

On y constate que moins de 6 % des proches aidants ont eu recours à des services de répit ou ont obtenu de l’argent de programmes gouvernementaux. Et à peine 3 % ont touché le crédit d’impôt fédéral destiné aux aidants.

Force est de constater que ces programmes ratent leur cible, que l’aide de l’État fait défaut. « La reconnaissance est plus symbolique qu’économique », estiment les auteurs de l’étude, Joëlle Steben-Chabot et Hélène Charron.

Pourtant, d’un budget à l’autre, il y a toujours un petit cadeau pour les proches aidants, ce qui ne manque pas d’attendrir le public. Ce printemps, par exemple, Québec a légèrement élargi les critères d’admissibilité du crédit d’impôt pour relève bénévole d’aidant naturel qu’à peine 222 contribuables réclament en ce moment.

Mais devinez combien cela coûtera à l’État ? 700 000 $ par année. Autant dire des grenailles !

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Derrière les beaux discours, on réalise que les programmes pour les proches aidants sont souvent restrictifs, complexes et méconnus. Pas surprenant qu’ils soient si peu utilisés.

Parfois, les bénéficiaires se comptent presque sur les doigts de la main. C’est le cas des prestations de compassion de l’AE qui sont versées aux travailleurs devant s’absenter de leur emploi pour prendre soin d’une personne qui risque de mourir d’ici six mois.

Depuis cinq ans, à peine 15 aidants par mois en moyenne ont touché ces prestations qui peuvent durer 26 semaines. C’est infime considérant le nombre de personnes qui décèdent à travers le Québec.

Remarquez qu’Ottawa vient tout juste d’élargir le programme. Depuis décembre dernier, la nouvelle prestation pour proches aidants d’adultes permet de s’absenter 15 semaines pour prendre soin d’un adulte de la famille qui est gravement malade ou blessé.

Espérons que cette nouvelle prestation sera plus utilisée. Davantage de sensibilisation dans le milieu de la santé ferait le plus grand bien.

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Près de 1,7 million de Québécois agissent comme proches aidants, soit le quart de la population de 15 ans et plus. Mais beaucoup sous-estiment leur rôle, en particulier chez les femmes.

« La plupart des aidants ne se perçoivent pas comme tels. Ils voient ça comme naturel. Il leur faut deux ans pour le réaliser. Deux ans où ils courent partout dans le système de santé, à la banque pour gérer les finances… Ils sont épuisés », dit Mélanie Perroux, coordinatrice générale du Regroupement des aidants naturels du Québec (RANQ).

Bien des aidants ne vont pas chercher le coup de main de l’État parce que, dans leur tête, le proche aidant est quelqu’un qui aide un aîné. Point.

Il faut dire que le système renforce cette fausse impression, car plusieurs mesures s’adressent uniquement aux aidants qui prennent soin d’une personne de 70 ans ou plus. Cela occulte une grande partie de la réalité des aidants qui, comme Jonathan Collin, s’occupent d’un conjoint ou d’un proche gravement malade.

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En plus, les crédits d’impôt offerts aux aidants naturels sont d’une complexité déconcertante. Attestation médicale, formulaire à remplir, critères d’admissibilité extrêmement pointus… : voilà autant de facteurs qui découragent les contribuables, souvent déjà épuisés, d’aller chercher leur dû.

En 2017, Ottawa a fusionné trois anciens crédits pour n’en former qu’un seul. C’est un pas dans la bonne direction, même si les paramètres restent complexes. Sans compter que ce crédit est non remboursable, ce qui signifie qu’il n’a aucune valeur pour les personnes à faibles revenus qui ne paient pas d’impôt de toute façon.

Cela pose un sérieux problème d’équité ; 53 % des contribuables qui touchent ce crédit sont des hommes et ils reçoivent une somme moyenne plus élevée. Pourtant, 58 % des proches aidantes sont des femmes et elles consacrent un plus grand nombre d’heures à ces tâches, souligne le Conseil du statut de la femme.

Si le gouvernement veut prêter main-forte aux proches aidants, il est absurde de priver les plus démunis de son soutien.

Ces dernières années, le gouvernement a misé sur le virage ambulatoire et sur le maintien à domicile, ce qui correspond au souhait des aînés. Mais il ne doit pas perdre de vue les conséquences sur les proches qui assument une foule de dépenses et sacrifient une part importante de leur salaire.

« Il faudrait reconnaître ce que les aidants naturels apportent au système de santé », exhorte Jonathan Collin.

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