Pourquoi il faut lire…

Rebecca Solnit, pour en finir avec le « mansplaining »

Ces hommes qui m’expliquent la vie
Rebecca Solnit
Éditions de l’Olivier
175 pages

Il y a 10 ans, l’essayiste américaine Rebecca Solnit signait un texte qui a inspiré l’expression « mansplaining ». Enfin traduit en français, ce texte se retrouve en introduction de Ces hommes qui m’expliquent la vie, un recueil de chroniques sur la violence faite aux femmes, le sexisme, les arts et la littérature. Chroniqueuse au Harper’s Magazine, Rebecca Solnit est devenue incontournable. Voici pourquoi il faut la connaître.

QUI EST REBECCA SOLNIT ?

Cette écrivaine féministe américaine âgée de 56 ans est dans le paysage depuis longtemps. Diplômée de Berkeley, militante pour l’environnement et les droits de la personne, elle a déjà publié 20 livres (sur l’environnement, le féminisme, les arts, la marche…) en plus de nombreuses collaborations, chroniques, etc. Elle est la première femme depuis 1851 à tenir la chronique Easy Chair, en alternance avec d’autres auteurs, dans les pages du Harper’s Magazine. Elle a souvent été finaliste pour de prestigieux prix littéraires. Certains la comparent à Susan Sontag, qu’elle a connue. Un des chapitres de son livre fait d’ailleurs mention d‘un échange entre ces deux intellectuelles.

« MANSPLAINING » EST UNE DES EXPRESSIONS DE L’HEURE

Les Français disent « mecspliquer ». Au Québec, la chroniqueuse Audrey PM a proposé la traduction « pénispliquer » à l’émission On dira ce qu’on voudra (ICI Radio-Canada Première). Tous ces termes décrivent le même phénomène, soit celui des hommes qui parlent à la place des femmes ou qui s’adressent à elles d’une manière condescendante. En introduction de son livre, Rebecca Solnit en dit ceci : « Toutes les femmes savent de quoi je parle. C’est cette arrogance qui leur met des bâtons dans les roues, quel que soit le domaine ; c’est ce qui les empêche de prendre la parole ou d’être entendues quand elles osent le faire ; c’est ce qui réduit les jeunes femmes au silence en démontrant, comme le fait le harcèlement de rue, que ce monde n’est pas le leur. C’est ce qui nous habitue à douter de nous, à nous limiter tout en entretenant dans le même temps l’excès de confiance infondé des hommes. »

L’ORIGINE DE « MANSPLAINING »

Dans le premier texte qui donne le titre à son livre, Rebecca Solnit raconte une anecdote qui lui est arrivée : dans une soirée, elle s’est retrouvée à participer à une discussion autour du photographe britannique Eadweard Muybridge, qui a vécu au XIXe siècle. Un des hommes présents s’empresse de lui couper la parole pour lui parler en long et en large d’un livre important écrit sur ce photographe. Tout le monde devrait lire ce livre, insiste-t-il, alors qu’il semble clair que lui-même ne l’a pas lu et en parle à tort et à travers. Mais le plus drôle, c’est que l’auteure de ce fameux livre n’est nulle autre que… Rebecca Solnit !

La publication de ce texte sur le blogue TomDispatch.com puis dans les pages du Los Angeles Times a donné naissance, un mois plus tard, au terme « mansplaining ». Solnit avoue qu’au départ, elle n’était pas très à l’aise avec ce mot, craignant qu’il heurte les hommes. Depuis, elle a appris à l’accepter et même à l’utiliser.

SOLNIT EST TRÈS POPULAIRE AUPRÈS DES JEUNES

À la sortie de son livre Men Explaining Things to Me, en 2014, Rebecca Solnit reçoit un coup de pouce de taille. L’auteure de la série Girls, Lena Dunham, déclare qu’il s’agit du livre « le plus éclairant, réconfortant et socialement lucide » qu’elle a lu cette année-là sur le fait d’être une femme. Les ventes grimpent en flèche. Certains reprochent toutefois à Solnit de parler uniquement d’un point de vue de femme blanche privilégiée. L’écrivaine corrige le tir et abordera dans son recueil suivant, The Mother of All Questions, la problématique de l’intersectionnalité, la prise en considération de plusieurs discriminations, comme le sexisme, le racisme et l’homophobie, qui agissent en même temps. Les deux recueils de Rebecca Solnit plairont à celles et ceux qui souhaitent se familiariser avec des concepts liés à la situation des femmes, mais n’apprendront peut-être pas grand-chose aux lectrices aguerries d’ouvrages féministes.

RETOUR AUX SOURCES

Comment cela a-t-il commencé ? se demande Rebecca Solnit dans le chapitre #Yesallwomen (#Ouitouteslesfemmes). Ce texte, publié la première fois en 2014, revient sur la fusillade d’Isla Vista lors de laquelle un étudiant a assassiné six collègues avant de retourner l’arme contre lui. Frustré sexuellement, le jeune homme visait avant tout les femmes. Les mots-clics n’ont pas tardé à surgir dans les réseaux sociaux. C’est à l’importance de ces « outils linguistiques » que Solnit s’intéresse dans ce texte qui tente de bien cerner les débuts de la « révolution » qui se poursuit jusqu’à ce jour avec les mots-clics #metoo #moiaussi. Car, dit-elle en substance, c’est avec des mots qu’on peut décrire un état de choses qu’on souhaite changer, faisant référence à Betty Friedan qui, en 1963, parlait d’un « malaise qui n’a pas de nom ».

Les Feux, une nouvelle collection des Éditions de l’Olivier

Lancée par Olivier Cohen, grand patron des Éditions de l’Olivier, cette collection, au sein de laquelle paraît Ces hommes qui m’expliquent la vie, publiera des essais, des récits et des fictions sur des enjeux de notre époque, question d’alimenter la réflexion et le débat. Le deuxième titre, Raconte-moi la fin, de Valeria Luiselli (Des êtres sans gravité, L’histoire de mes dents) sera lancé en mai. Un texte qu’on dit d’une grande sensibilité sur l’expérience des enfants migrants. 

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