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Au Québec, le passage des entrepreneurs en politique est souvent semé d’embûches. S’il est élu premier ministre, François Legault pourrait poser un nouveau jalon. Pour ce faire, il comptera sur Marguerite Blais, une candidature « qui fait des jaloux », assure le chef de la CAQ.

Analyse

De patron à politicien : un passage hasardeux

QUÉBEC — Il y a bien sûr des exceptions éclatantes, mais dans bien des cas, le passage des entrepreneurs au monde politique a été laborieux. Un exemple, côté démesure : Donald Trump montre tous les jours qu’il a apporté ses réflexes du secteur privé à la Maison-Blanche.

Nouvelle recrue dans l’orbite de Philippe Couillard, Alexandre Taillefer a dû enfiler bien plus vite que prévu ses habits de politicien. Il souhaitait annoncer en juin sa décision d’accepter la présidence de la campagne libérale. Tout s’est précipité. Sans mise en scène ni dry run, le scoop de La Presse l’a propulsé devant les caméras le matin même. Ce n’est que 24 heures plus tard, après avoir jaugé les réactions, qu’il a annoncé son retrait du conseil d’administration de Mishmash Média, firme par l’entremise de laquelle il est propriétaire de L’actualité et de Voir.

Au Canada comme au Québec, les exemples sont nombreux, mais moins percutants.

Brian Mulroney a été près de 10 ans premier ministre du Canada, mais l’entrée en politique du patron de l’Iron Ore avait été difficile – il avait mordu la poussière contre Joe Clark à sa première tentative pour diriger le Parti progressiste-conservateur.

Au Québec, on ne trouve pas d’exemple où un entrepreneur s’est retrouvé premier ministre. S’il est élu le 1er octobre, François Legault posera un nouveau jalon. Mais l’ancien patron d’Air Transat aura tout de même passé 20 ans en politique active avant d’atteindre son objectif. Son atterrissage, en 1998, avait été très laborieux, tant il était réfractaire au labyrinthe du processus décisionnel à Québec. Lucien Bouchard avait dû prendre sous son aile la recrue amenée par… Jean-François Lisée.

Les réflexes qui ne marchent plus

Ils n’en meurent pas tous, mais tous sont atteints ; une fois plongés en politique, les patrons tentent de conserver les comportements qui ont fait leur succès. Or, cela ne fonctionne pas.

Car le processus de décision dans le secteur public n’a rien à voir avec celui du secteur privé. On ne discute pas des intentions du gouvernement avec ses partenaires de golf. On n’accorde pas facilement un contrat à quelqu’un qu’on connaît. Il faut passer par un processus d’approbation et un mécanisme d’appel d’offres. On n’embauche ni ne congédie un fonctionnaire sur un coup de tête. Surtout, les politiciens issus du monde des affaires doivent composer avec une donnée qui leur est étrangère : la lenteur du système. Un haut fonctionnaire passé au secteur privé expliquait comment sa vie était devenue plus simple : l’entreprise ne se préoccupait que de « la ligne du bas », profits ou pertes. 

Le politicien doit prendre une foule d’éléments en considération : la région, les collègues et, bien sûr, le programme de son parti.

Dans tous les partis, les exemples de succès sont nombreux, mais on observe aussi bien des déconvenues. Julie Boulet, qui a défrayé la chronique cette semaine, avait eu la surprise de sa vie. La pharmacienne donnait des dosettes pour les médicaments à ses clients ; cette entorse aux règles était inacceptable pour une élue. Un autre libéral, David Whissell, a eu à choisir entre la vie publique et son entreprise – il a choisi ABC Rive-Nord et la construction de routes.

Au Parti québécois, on a eu un exemple flamboyant de la difficulté de conjuguer affaires et politique. Pierre Karl Péladeau avait finalement accepté de mettre ses actifs dans une fiducie sans droit de regard. Un blind trust partiel, toutefois – le mandataire n’aurait pas eu le droit de vendre, une obligation imposée par le père du magnat de la presse.

Et ceux qui pensent que les changements d’allégeance sont apparus récemment devraient se souvenir de Rodrigue Biron, patron d’une fonderie près de Québec. Chef de l’Union nationale, élu en 1976, il deviendra ministre péquiste quatre ans plus tard. Autre entrepreneur, patron du Fonds de solidarité, Raymond Bachand avait passé sa vie au PQ avant de rallier les libéraux sous Jean Charest.

Une distinction doit être faite, importante. Il ne faut pas confondre un entrepreneur et un candidat au profil économique. Carlos Leitão, Martin Coiteux ou même Jacques Daoust n’étaient pas des entrepreneurs, n’avaient jamais eu à « meet a payroll », à sortir une paye à même leurs avoirs.

Même chose pour André Vallerand, élu libéral en 1985, Richard Le Hir, élu péquiste en 1994, ou Michel Audet, élu libéral en 2003 ; leurs interventions avaient une résonance économique, mais ils représentaient des associations. Monique Jérôme-Forget au PLQ et Daniel Paillé au PQ étaient, en dépit de leur profil économique, des créatures du secteur public. Gilles Taillon, porte-parole du Conseil du patronat et vedette économique de Mario Dumont, était en fait un ex-fonctionnaire de l’Éducation. Nicolas Marceau, ministre des Finances de Pauline Marois, et Alain Paquet, délégué aux Finances sous Jean Charest, étaient collègues, enseignaient l’économie à l’UQAM. Guy Joron, au PQ, ou les libéraux André Bourbeau et Robert Benoit avaient de solides fortunes personnelles, mais n’avaient pas dirigé d’entreprise.

Les véritables entrepreneurs en politique sont bien plus rares ; les adéquistes François Bonnardel et Christian Lévesque dirigeaient leur petite entreprise, mais n’avaient pas un profil de patron.

C’était autre chose avec l’entrée en scène de Paul Gobeil pour les libéraux en 1985. Il avait eu un impact certain, avec lui on parlait de « l’État Provigo », annonciateur de réductions de dépenses. L’ancien patron de la chaîne de supermarchés aura eu un plan d’action trop rigoureux au goût du premier ministre Bourassa, bien plus « politique ». Désillusionné, Gobeil partira après des vacances aux Relations internationales. Entrepreneur dans le monde des assurances, passé vice-président de banque, Pierre MacDonald n’était pas doué non plus pour la politique. Trop entier, il n’avait fait qu’un mandat.

Un autre entrepreneur ? Gérald Tremblay. Le futur maire de Montréal avait fait fortune avec la chaîne de magasins qu’il avait créée, Dans un jardin. Ministre de l’Industrie, élu en 1989, il adapta pour le Québec le système des « grappes » de développement économique, un concept qui laissait Bourassa bien dubitatif. Il libéralisa aussi les heures d’ouverture des commerces. Mais lui non plus ne devint jamais un politicien naturel.

Et Alexandre Taillefer ? On doit lui reconnaître des réflexes certains de politicien. « Président d’honneur » de la Formule E, l’été dernier, il brillait par son absence le jour de la finale où on remettait les prix. Son nom ne fut pas étroitement associé à l’événement, à la différence du malheureux Denis Coderre.

Marguerite Blais à la CAQ

Une candidature qui fait des « jaloux », assure Legault

Le Parti québécois et le chef libéral Philippe Couillard ont tous tenté de recruter Marguerite Blais en vue des prochaines élections, mais c’est finalement l’adhésion de François Legault à ses demandes sur les aînés et les proches aidants qui l’ont convaincue d’être candidate de la Coalition avenir Québec (CAQ).

L’ancienne ministre libérale et animatrice de 67 ans a confirmé hier à Saint-Sauveur qu’elle représentera la CAQ dans Prévost en vue du scrutin du 1er octobre. À la retraite, elle cherchait un condo en Floride où séjourner pendant trois mois l’hiver dernier lorsqu’elle a été approchée pour revenir en politique.

Elle a alors présenté une liste de cinq propositions aux chefs du Parti libéral et de la CAQ. « M. Legault m’a dit oui tout de suite. Alors ça m’a rassurée », a-t-elle déclaré en point de presse. Elle a ajouté avoir été déçue de certaines décisions du gouvernement Couillard au cours des dernières années.

Très heureux de procéder à cette annonce qui, selon lui, fait des « jaloux » au sein des autres partis, M. Legault a promis hier que ces cinq propositions seront intégrées à sa plateforme électorale. Elles incluent l’adoption d’une politique nationale pour les proches aidants ; la création d’une série de maisons Gilles-Carle (qui offrent du répit à ces proches aidants) ; et la mise en œuvre d’initiatives en gériatrie sociale.

Chloé Sainte-Marie, veuve du cinéaste Gilles Carle et qui milite pour cette cause depuis plusieurs années, était présente à l’annonce et a indiqué qu’elle appuiera la CAQ en raison de cet engagement.

« Mon deuil est terminé »

Ministre responsable des Aînés dans le gouvernement Charest de 2007 à 2012, Marguerite Blais a quitté la politique en 2015. Elle avait perdu coup sur coup son mari et son frère. À l’époque, elle avait expliqué que le fait d’avoir été écartée du Conseil des ministres de Philippe Couillard avait aussi eu un impact sur sa décision.

« Mon deuil est terminé. Ça fait maintenant trois ans. Je me sens en pleine forme », a-t-elle affirmé hier.

Elle n’a pas souhaité répondre aux accusations d’opportunisme que lui ont adressées certains détracteurs. 

« Je ne suis pas là. La seule raison pour laquelle je reviens en politique est de m’assurer qu’on prendra soin de nos aînés et qu’on prendra soin des proches aidants. »

— Marguerite Blais

Elle a cependant précisé qu’il n’avait pas été question d’un poste de ministre dans ses pourparlers avec la CAQ, toujours en tête dans les sondages.

Se décrivant comme une politicienne de gauche, elle a assuré qu’elle pourra vivre avec les autres positions de sa nouvelle formation. « Vous savez, c’est déjà arrivé quand j’étais au Parti libéral. Quand on fait partie d’une famille, on n’endosse pas nécessairement les idées de nos frères et de nos sœurs. L’important, c’est de pouvoir vivre avec. »

En territoire péquiste

Le premier ministre Couillard a refusé de critiquer la décision de Mme Blais cette semaine, mais d’autres ont remis son choix en question, notamment au Parti québécois. Il faut dire que la nouvelle circonscription de Prévost sera formée des circonscriptions de Bertrand et de Rousseau, toutes deux représentées par le PQ à l’Assemblée nationale.

D’ailleurs, François Legault était député de Rousseau lorsqu’il était au PQ. Il a vanté hier sa coalition, qui permet de « rassembler » des candidats comme Mme Blais et Youri Chassin, économiste de droite présent à l’annonce.

« J’espère que le 1er octobre prochain, nous aurons la première élection en 50 ans dont l’enjeu principal ne portera pas sur la souveraineté. Ce sera à propos de la santé, des aînés, l’éducation, l’économie. À propos de tous les enjeux dont tout le monde parle à travers le monde », a déclaré M. Legault.

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