Idola Saint-Jean, l’insoumise

Portrait d’une féministe en avance sur son temps

Le hasard fait bien les choses : la biographie d’Idola Saint-Jean paraît au moment où Montréal élit sa première mairesse en 375 ans. Or, cette militante féministe a consacré sa vie à défendre les droits des femmes et à lutter pour leur droit de vote. Femme de tête, journaliste et enseignante, elle gagne à être connue. Ses biographes, Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, nous disent pourquoi.

Elle a consacré sa vie à lutter au nom des femmes

« Le droit de vote des femmes, c’est le combat de sa vie, même si elle s’y est attelée alors qu’elle était déjà dans la quarantaine, souligne Marie Lavigne, coauteure d’Idola Saint-Jean, l’insoumise, paru aux éditions du Boréal. Pour elle, le fait que les femmes ne puissent pas voter est un élément de révolte. Lorsqu’elle prononce des conférences à travers le pays, elle découvre que beaucoup de femmes souhaitent voter alors qu’on disait qu’il n’y avait personne. Les femmes peuvent voter dans toutes les provinces sauf au Québec et dans les Territoires du Nord-Ouest. On pensait que ce serait une formalité lorsqu’il a été accordé au fédéral en 1921, mais non, ça ne se passe pas comme ça. Il faudra attendre 19 ans. »

« Elle parlait d’aristocratie des sexes, note Michèle Stanton-Jean. Sa logique et son analyse m’ont beaucoup impressionnée. Elle disait : “Pourquoi je peux faire un x au fédéral et que j’en suis incapable au Québec ?” Son mantra était toujours le même : si la moitié de l’humanité n’a pas le droit de vote, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Son argumentaire était tellement bien articulé. Quand je l’ai lue la première fois, je me suis dit : “Elle sort d’où, elle ?” »

Elle avait des idées modernes pour son époque

Si Idola Saint-Jean vivait aujourd’hui, elle ne se sentirait pas étrangère au sein d’un groupe de blogueuses féministes. Travailleuse autonome, comédienne, elle enseignait le français à l’Université McGill et la diction au Monument-National. Elle a ouvert une librairie itinérante (un « pop-up store » !), rue Sainte-Catherine, où elle vendait des ouvrages féministes. Très impliquée dans la défense des droits des femmes – elle voulait qu’elles jouissent des mêmes droits juridiques que les hommes –, elle a eu l’idée d’une clinique juridique qui fait penser à l’organisme Juripop. Sur le plan personnel, Idola Saint-Jean est restée célibataire toute sa vie. 

« À l’époque, souligne Marie Lavigne, les célibataires étaient rares. Tu étais religieuse ou tu habitais avec tes parents. Idola ne s’est pas mariée sans doute parce qu’elle a été témoin de l’impuissance de sa mère à la mort de son père. Vu la situation juridique des femmes mariées, elle a sans doute voulu rester célibataire. » 

Idola Saint-Jean était également une femme de carrière.

« À l’époque, quand une femme travaillait, c’était en usine ou comme domestique. Seulement 10 % des femmes sur le marché du travail étaient des professionnelles. »

— Marie Lavigne, biographe

Sa conception du féminisme aussi était moderne. « À la fin du XIXe siècle, souligne Michèle Stanton-Jean, on est féministe pour faire de l’action sociale, pour réaliser d’autres causes. Le féminisme d’Idola Saint-Jean, lui, est égalitaire. Elle disait : “Nous sommes féministes pour une simple raison : nous voulons être reconnues comme humains à part entière.” »

Jusqu’ici, on savait bien peu de choses sur elle

Les deux historiennes ont pu constater qu’il y avait très peu d'archives sur Idola Saint-Jean. Fille d’avocat, elle avait étudié au collège Villa-Maria, puis avait suivi des cours de théâtre en France. « Elle n’a laissé ni journal personnel ni correspondance, note Michèle Stanton-Jean. On a trouvé des lettres qui lui sont adressées, mais on n’a pas ses réponses. Comme elle était fille unique et célibataire, il n’y a pas eu de descendant pour faire le lien. »

« Idola est morte en 1945, après la guerre, ajoute Marie Lavigne. On connaît davantage Thérèse Casgrain, qui a vécu 30 ans de plus et qui est morte plus récemment. En fait, on a eu l’immense chance que les archives soient numérisées. On a trouvé plusieurs documents sur Idola dans le fonds de la Ligue des droits des femmes. »

C’était une pionnière des médias

Des décennies avant Lise Payette et Lizette Gervais, Idola Saint-Jean est présente dans les médias, où elle discute de condition féminine et de féminisme. Elle a sa propre émission de radio à CKAC et elle n’est pas là pour parler chiffons. Elle présente plutôt des entrevues et s’intéresse à la politique. 

« En 1922, elle prononce un discours pour dire aux femmes d’aller voter, souligne Marie Lavigne. À cette époque, le Québec n’est pas si univoque. Il y a quand même une grande liberté dans le milieu artistique et sur les ondes. Le clergé ne sait pas encore qu’il peut contrôler les médias. » 

En plus de la radio, Idola Saint-Jean signe une chronique bilingue dans les pages du Montreal Herald. Elle ne parle pas de cuisine ou de sujets domestiques et sa chronique s’adresse « à la femme qui travaille ».

« L’écriture et la parole sont les premiers secteurs de développement professionnel où les femmes ont pu faire leur marque. »

— Marie Lavigne

Elle était insoumise

Pourquoi avoir qualifié Idola Saint-Jean d’insoumise ? « Parce qu’elle se permettait de réfléchir et n’acceptait pas le discours du pouvoir établi, répond Marie Lavigne. Elle remettait les choses en question. »

« Elle disait que les femmes étaient des esclaves, elle allait loin ! renchérit Michèle Stanton-Jean. Elle est allée au front pour aider les femmes, mais aussi les jeunes délinquants et les immigrants. Elle a également travaillé sur des enjeux internationaux. Elle insistait beaucoup sur l’importance d’être inclusif. »

« Idola Saint-Jean avait une grande capacité de rester fixée sur ses objectifs, conclut Marie Lavigne. Elle n’usait pas de flatteries ou de compromis stratégique pour obtenir ce qu’elle voulait. Elle disait : “On va l’obtenir parce que c’est juste.” »

Idola Saint-Jean, l’insoumise

Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean

Boréal

384 pages

Et le gagnant est... ?

Que serait-il arrivé lors de l’élection de dimanche dernier si on avait pigé les noms des candidats au hasard ? Idée farfelue ou révolutionnaire ? Hugo Bonin, doctorant en science politique à l’UQAM, estime qu’elle doit être considérée sérieusement. On ne peut pas contredire son constat de départ : la démocratie est en crise. Beaucoup ont voulu réformer le processus électoral, mais jusqu’ici, rien ne bouge. À défaut d’accoucher d’un système qui serait parfaitement représentatif, pourquoi ne pas laisser agir le hasard ? Après tout, les gens votent bien pour tel ou tel politicien parce qu’il a une bonne bouille ou qu’il parle bien ? Sur une note plus sérieuse, ce tirage au sort s’accompagnerait d’une plus grande participation des citoyens dans la prise de décisions. Là, ça peut devenir intéressant.

La démocratie hasardeuse – Essai sur le tirage au sort en politique

Hugo Bonin

XYZ

156 pages

L’enfance d’une icône

Écrivaine prolifique et utilisatrice enthousiaste de Twitter (elle est particulièrement en feu depuis l’élection de Donald Trump), Joyce Carol Oates revient sur les années qui l’ont formée. De descendance hongroise, celle qui est devenue professeure à Princeton (elle a entre autres enseigné à Jonathan Safran Foer) a grandi sur une ferme, entourée d’animaux, dans l’État de New York. Loin de l’univers intellectuel dans lequel elle évolue aujourd’hui, la petite Joyce a développé son imaginaire, encouragée par des parents qui l’ont soutenue dans ses désirs d’écriture. Ce livre est un recueil de textes publiés sur une période d’environ 30 ans qui brossent le portrait d’une créatrice exceptionnelle, et qui nous donnent des clés pour mieux comprendre son œuvre.

Paysage perdu

Joyce Carol Oates

Philippe Rey

432 pages

Les pauvres, ces paresseux…

Que pensent les riches des pauvres ? Vraiment ? Quatre chercheurs français ont mené une vaste enquête sur le terrain pour comprendre le phénomène d’exclusion et de dissociation au sein de nos sociétés. Comment se justifie-t-on pour tolérer la scission entre gens pauvres et gens riches ? Beaucoup de fausses perceptions et de préjugés expliquent, entre autres, pourquoi les grandes villes sont souvent divisées en ghettos : les pauvres d’un côté, les riches de l’autre. Quand un pauvre transgresse l’ordre établi, la réaction est souvent peu glorieuse. De l’insécurité au dégoût, les réactions des riches sont intolérables. Mais il faut savoir nommer les choses pour pouvoir s’attaquer au problème. C’est ce que ce livre accomplit.

Ce que les riches pensent des pauvres

Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti et Jules Naudet

Seuil

352 pages

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