Opinion  Réforme du système de santé

Nous sommes inquiets

Depuis quelques semaines, le gouvernement du Québec impose des choix qui auront des conséquences majeures sur les programmes et l’organisation du système de santé et des services sociaux. Ces réformes, élaborées sans consultation et sans tenir compte des connaissances scientifiques, sont peu susceptibles d’atteindre les résultats visés et menacent directement la performance de notre système de santé.

Malgré une opposition quasi unanime de tous les secteurs de la société, le ministre de la Santé et des Services sociaux persiste dans son ambition d’imposer son projet de loi 10. Ce projet est un exercice de fusion administrative qui remplace les établissements de santé actuels par des mégastructures couvrant des territoires et des bassins de population immenses. De même, le projet de loi donne des pouvoirs sans précédent au ministre.

La semaine dernière, le gouvernement a annoncé son intention de couper 30 % des budgets de santé publique, alors que ce secteur ne représente qu’un maigre 2 % du budget de la santé. Il est difficile de ne pas voir dans ce choix une décision politique et idéologique quand on met en relation les quelques dizaines de millions coupés en santé publique et les milliards investis dans les hausses de rémunération des médecins ou dans la construction d’énormes hôpitaux spécialisés.

Nous, professeurs et chercheurs, détenteurs d’une expertise sur l’organisation du système de santé, sommes profondément inquiets.

Nous considérons que ces mesures sont : 

UN ÉCHEC DE LA DÉMOCRATIE

Les nouveaux pouvoirs accordés au ministre de la Santé et des Services sociaux musellent les administrateurs publics et laisseront très peu de place à l’expression des citoyens. La recentralisation des pouvoirs entraîne en même temps une déresponsabilisation des centres régionaux et des conseils d’administration par rapport aux besoins de la population de leur région.

UN ÉCHEC POUR L’EFFICIENCE DU SYSTÈME DE SANTÉ

Les choix faits en 2014 mettent en péril la pérennité financière du système de santé et des services sociaux en accordant de larges augmentations de salaire aux médecins sans engagement susceptible d’améliorer le fonctionnement du système. Il n’est pas non plus judicieux économiquement de couper en santé publique. En prévenant l’apparition de problèmes de santé, on parvient à éviter des dépenses importantes à long terme en réduisant la morbidité, l’absentéisme et la mortalité prématurée. Les coupes actuelles en santé publique et en éducation affecteront directement les adultes que deviendront nos enfants.

UN ÉCHEC POUR L’EFFICACITÉ DES SOINS

Les mesures envisagées par le gouvernement mettent en péril l’efficacité de notre système sociosanitaire. Les connaissances scientifiques indiquent que les fusions à grande échelle ne permettent aucun gain d’efficacité. Bien au contraire, certaines études relatent une augmentation de la mortalité. 

Nous ne nions pas le besoin de réformer le système de santé, au contraire, le besoin est là. Toutefois, des connaissances scientifiques existent pour nous guider vers une plus grande performance. Il existe des solutions pragmatiques et validées qui permettraient de l’améliorer en continuité de la réforme précédente, qui a mené à la création des CSSS. Ces solutions passent, entre autres, par un renforcement des services de première ligne, des actions préventives, par l’implantation d’un système d’information clinique et administratif uniqu au niveau provincial, par une amélioration de l’accès aux services de santé – particulièrement pour les personnes vulnérables – ainsi que par le contrôle des activités cliniques non pertinentes et des facteurs inflationnistes au niveau des dépenses de santé.

Au lieu de mener à une plus grande performance du système de santé, les décisions que le gouvernement prend menacent sa viabilité financière, sa capacité d’adaptation et son efficacité. Ces transformations, si le gouvernement va de l’avant, auront vraisemblablement des impacts négatifs pour la santé de la population.

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Légendes suédoises

Dans les discussions entourant le dépôt du projet de loi 10 sur la réforme du système de santé, le modèle suédois est souvent présenté comme un exemple à suivre, parfois pour de mauvaises raisons.

Certains ténors de la marchandisation des soins de santé font l’éloge de la supposée privatisation de ses hôpitaux ou de l’omniprésence du ticket modérateur. Quelques légendes circulent aussi au sujet de la décentralisation de la gouvernance qui ressemblerait à ce qui est mis de l’avant par le projet de loi actuellement à l’étude. En voici quelques-unes.

LE MYTHE DE L’HÔPITAL SAINT-GORANS

L’hôpital Saint-Gorans est un hôpital important de Stockholm. En 1999, les autorités régionales en ont confié la gestion à une entreprise privée. Cette initiative a soulevé plusieurs questionnements et en 2001, un moratoire sur la privatisation a été promulgué au niveau national. Le moratoire a été levé depuis, mais l’exemple de Saint-Gorans n’a été suivi par aucun autre hôpital général. Il y a bien quelques cliniques tenues par la Croix-Rouge ou d’autres organismes caritatifs, mais rien qui ressemble à une privatisation massive du système hospitalier.

LES DÉPENSES PRIVÉES EN SANTÉ

Une autre légende urbaine est la question du ticket modérateur, qui existe bel et bien, mais qui s’apparente à la franchise de l’assurance-médicaments publique québécoise. Les frais sont rapidement plafonnés et les femmes enceintes et les enfants en sont exemptés. 

En fait, le système suédois est plus « public » que le nôtre. Alors que les dépenses de santé canadiennes sont financées à 71,2 % par le secteur public (Eco-Santé OCDE 2013), les gouvernements suédois assument 81,4 % des coûts d’un système qui offre non seulement le panier de services dont nous bénéficions au Québec, mais aussi les médicaments et les soins dentaires gratuits jusqu’à l’âge adulte. Voilà pourquoi seulement 1,5 % des citoyens de la Suède ont recours à une assurance-maladie privée. 

Au bout du compte, à cause des contrôles stricts du secteur privé par les instances publiques, la Suède n’est pas un bon pays pour faire des affaires dans le domaine de la santé.

UNE VRAIE GOUVERNANCE DÉCENTRALISÉE

Il est difficile de comprendre comment on peut assimiler le modèle proposé dans le projet de loi 10 et la décentralisation à la scandinave. En Suède, le ministère de la Santé n’est pas un mammouth qui contrôle tous les établissements. Au contraire, ce ministère est plutôt mince et se concentre sur sa mission essentielle, qui est d’élaborer les lois, les politiques et les grands objectifs des évaluations. 

Le ministre n’est pas interpellé en chambre sur des questions de prestation de services, puisque ce sont les gouvernements locaux et régionaux qui en sont responsables. Des élus au conseil de comté font les choix au quotidien dans les limites des grands paramètres identifiés au palier national. Les services sont évalués par une organisation distincte du ministère, une sorte de régie de la santé. Enfin, les municipalités ou communes sont responsables des services sociaux et des soins à domicile et leurs élus sont bien au fait des besoins locaux. La seule exception à cette règle est l’achat de médicaments, qui a été recentralisé dans le but d’obtenir de meilleurs prix.

UN SYSTÈME À ÉMULER

L’augmentation des dépenses en santé est moindre en Suède qu’elle ne l’est au Québec et le système performe bien dans les comparaisons internationales. Les grands ingrédients de ce succès sont la prévention, les soins de première ligne, le maintien des personnes âgées à domicile, la circulation de l’information et la démocratie locale et régionale. Bref, tout le contraire d’un système centré sur l’hôpital.

Il faut cependant noter que ce système de soins est moins sollicité que le nôtre. En effet, depuis des décennies, la Suède mise sur des politiques intersectorielles visant l’amélioration des principaux déterminants de la santé, avec pour résultat de faibles taux de pauvreté, des environnements sains et des investissements massifs dans les services de garde éducatifs.

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