Témoignage

Le cancer de l’esprit

Le temps d’un témoignage, l’auteur dresse un portrait de son fils de 27 ans, atteint de maladie mentale

J’ai le cancer. J’ai seulement 27 ans et j’ai le cancer.

Toute cette vie devant moi, toute cette lumière qui devient fade, diffuse, absente. Pas le cancer du foie, du pancréas, du cerveau ou des poumons, non. J’ai le cancer de l’esprit.

Le cancer qui m’a volé le rationnel tout en me laissant l’intelligence. Le cancer qui m’a volé le jugement tout en me laissant la détermination.

Le cancer qui me fait voir plus grand que nature, trop grand, bien trop grand. Le cancer qui m’a volé le p’tit gars que j’étais. Le cancer dont on ne parle que maladroitement. Le cancer dont on dit qu’il est de ma faute. Le cancer qu’on dit évitable avec de la bonne volonté. Après tout, j’ai 27 ans, je ne suis plus un enfant, je dois me prendre en mains.

Le cancer qui attire les jugements, les critiques, la médisance et le rejet. Le cancer qui fait que parfois, j’suis pas du monde. Le cancer qui laisse amis et famille pantois. Le cancer qui fait fuir mes amis et parfois même ma famille. Je leur fais peur. Je suis le centre d’attention, je suis le centre de tensions.

Ils sont tristes, ils ont mal, ils sont impuissants. S’ils savaient. Ceux qui savent, savent. Ceux qui ignorent, ignorent.

***

J’ai perdu la boule. Ma boussole a perdu le nord. S’ils savaient. Je ne les blâme pas, moi-même, je ne le sais pas. Les gens reprennent leur souffle après mon passage. Je suis toujours moi avec moi, sans répit. Je suis mon seul compagnon de route, qui me comprend tel que je suis.

Au moment où vous lirez ces lignes, je serai (probablement) en psychose, à la recherche du prochain moulin à vent, me préparant à combattre.

On se sera moqué de moi, on m’aura crié des injures, on m’aura méprisé, peut-être battu. On aura abusé de moi et on m’aura volé le peu que je possède. Tout mon monde tient dans un sac à dos.

J’aurai eu à quémander pour pouvoir manger, me loger, fumer une cigarette. Dans un refuge pour sans-abri si je suis chanceux, sous les ponts, dans un parc. J’ai tout brûlé de par mon allure. Au moins, c’est l’été, je n’aurai pas froid.

Je ne me croirai pas malade. On veut me faire soigner, mais je ne comprends pas pourquoi. J’ai la chance d’être porteur d’un message et défenseur des opprimés. J’ai une mission, je la mènerai à terme, quoi qu’il en coûte. Je sais, ça fait un peu weird, mais c’est ça.

Voilà que je recommence à bouffer ma médication. Mon cancer se résorbe. Je suis en rémission. Peu à peu, mon ciel gris redeviendra bleu et je saurai que je serai rétabli. Je pourrai cesser ma médication à nouveau…

Lentement, mon cancer reprendra ses droits, sans que je m’en rende compte, et il me volera à nouveau mon esprit, ma famille, mes amis, ma vie.

Mon cancer, c’est celui qui tue sans ôter la vie. Je ne sais pas appeler à l’aide. N’attendez pas mon cri. Ne cessez pas de m’aimer. Reconnaissez ma détresse. Vous êtes mon seul salut.

Vingt-sept ans et atteint d’un cancer. Au mieux, j’apprendrai à vivre avec, j’apprendrai à vivre malgré. Sinon, je confirmerai ma mort.

C’est aussi ça, la maladie mentale.

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