Chronique

La police qui pardonne… aux assureurs

Le slogan « La police qui pardonne » est un tantinet ironique. À voir l’industrie de l’assurance, on pourrait croire que la police, c’est l’Autorité des marchés financiers (AMF) et que c’est aux assureurs eux-mêmes qu’elle pardonne. Elle leur pardonne leur relation incestueuse avec les cabinets de courtage qui vendent de l’assurance auto et habitation.

Si vous pensez encore que tous les courtiers sont indépendants et qu’ils magasinent votre prime auprès de plusieurs assureurs pour vous dénicher le meilleur prix, je vais briser vos illusions en petits morceaux.

Certains cabinets font encore cet exercice, mais d’autres sont contrôlés par un assureur à qui ils envoient pratiquement tous leurs clients. Ils sont devenus des agents de l’assureur, sans que les clients le réalisent vraiment.

Déjà en 2005, une enquête de l’AMF avait levé le voile sur ces pratiques douteuses et découvert que certains assureurs détenaient plus de 20 % des actions de cabinets, ce qui est contraire à la loi. L’Autorité avait d’ailleurs imposé des amendes de 1,5 million de dollars à AXA Canada et ING Canada, acquises depuis par Intact, qui jure respecter aujourd’hui toutes les règles en vigueur.

Mais depuis 12 ans, les assureurs ont développé des tactiques encore plus subtiles pour contrôler les cabinets.

Aujourd’hui, plus de la moitié des grands cabinets de courtage – 25 sur 45, pour être bien précise – compte un assureur parmi ses actionnaires, selon la Fédération des courtiers d’assurance indépendants du Québec (FCAIQ), qui a épluché le registre des entreprises du Québec.

Malheureusement, le registre ne permet pas de vérifier le pourcentage d’actions détenues par l’assureur. Seul l’AMF peut en avoir le cœur net.

L’Autorité a-t-elle fait un suivi ? En tout cas, personne ne s’est fait pincer depuis 12 ans. Mais « les pratiques d’affaires ont évolué et certaines font l’objet de préoccupations de l’Autorité », m’a répondu l’AMF, dont les activités de surveillance demeurent confidentielles.

Rien pour rassurer les cabinets indépendants qui dénoncent « la culture d’omerta imposée par les assureurs délinquants » qui crée « un malaise et une iniquité envers ceux qui respectent la loi », dixit un mémoire de la FCAIQ remis à Québec.

Au printemps dernier, le gouvernement a effectivement lancé des consultations où il envisage l’abolition de la règle des 20 %, ce qui ferait le bonheur d’Intact qui fait du lobbying en ce sens depuis 2016.

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Or, le malaise va bien au-delà de la règle des 20 %.

Au fil des ans, les assureurs ont développé toutes sortes d’autres moyens pour inciter les cabinets à concentrer leur volume d’affaires chez eux.

Par exemple, les assureurs versent des commissions de contingence qui forcent les cabinets à augmenter sans cesse le nombre de clients qu’ils leur envoient.

Cela pose un risque élevé de conflit d’intérêts, de l’aveu même de l’AMF qui a lancé ses propres consultations sur les « incitatifs » dans l’industrie de l’assurance, l’été dernier.

Les assureurs offrent aussi aux cabinets une formule clés en main où ils s’occupent de toute une panoplie de services à la place du cabinet.

Notamment, l’assureur peut financer l’implantation de la plateforme informatique que le cabinet utilise pour obtenir des soumissions… qui ne donne accès qu’à ses produits. Les courtiers ne possèdent donc plus les outils pour comparer les soumissions de plusieurs assureurs.

Ces pratiques respectent-elles la loi et le code de déontologie des courtiers ?

La loi prévoit que les cabinets doivent offrir les produits de « plusieurs » assureurs. Mais souvent, les cabinets ont quelques assureurs du côté commercial et un seul pour les particuliers. Légalement, ça passe.

Rien dans le code de déontologie n’oblige un courtier à magasiner auprès de plusieurs assureurs. Le courtier doit simplement s’assurer que le produit convient aux besoins du client, sans nécessairement vérifier s’il s’agit du meilleur prix sur le marché.

De quoi surprendre bien des consommateurs qui s’attendent à ce que leur courtier magasine pour eux, comme plusieurs cabinets le clament dans leur publicité.

À mon avis, les courtiers devraient obtenir au moins trois ou quatre soumissions. Autrement, ils ne méritent pas leur titre. Et ils devraient choisir la prime la plus avantageuse pour le client, pas celle qui permet de maximiser leur commission. Autrement, ils sont en plein conflit d’intérêts.

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En ce moment, on est bien loin de ce monde idéal.

La preuve, c’est que certains cabinets ont carrément délégué à l’assureur qui les parraine le processus de renouvellement annuel. Les clients reçoivent alors une lettre avec l’augmentation de leur prime, sans que le courtier ait pris le temps de magasiner.

Cela n’enfreint pas non plus le code de déontologie, car le professionnel n’a pas l’obligation d’appeler ses clients chaque année, mais seulement de s’assurer que le produit correspond toujours à leurs besoins.

Pour ce faire, la lettre de renouvellement des assureurs invite les clients à contacter leur courtier après avoir répondu à un questionnaire pour déterminer si leurs besoins ont changé depuis un an (ex. : en raison de rénovations).

Ainsi, le client est appelé à faire son propre diagnostic et à téléphoner lui-même à son courtier, si nécessaire.

Avec cette automatisation, les courtiers ont certainement augmenté leur profit, mais ils ont aussi perdu leur âme, leur valeur ajoutée. Je leur souhaite bonne chance quand la vente d’assurances va vraiment faire son entrée sur l’internet, quand un Trivago de l’assurance permettra aux clients de comparer toutes les soumissions d’assurances auto et habitation en quelques clics.

Les courtiers n’auront plus qu’à se replier sur le secteur commercial, où ils jouent encore un vrai rôle.

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