Chronique

Lunettes au rabais ? Mon œil !

La dernière fois que j’ai acheté des lunettes, j’ai eu la chance de tomber sur une liquidation de montures dans une petite boutique de quartier. Attirée par les soldes dans la vitrine, j’y étais entrée par pur hasard. En deux temps, trois mouvements, j’ai déniché une monture à mon goût à moitié prix. Une vraie aubaine. Sans condition.

On ne peut pas en dire autant des rabais dont les grandes chaînes de magasins d’optique font la publicité à longueur d’année. À force de voir ces rabais annoncés en boucle, les consommateurs finissent par ne plus les voir… un peu comme le myope qui cherche ses lunettes alors qu’il les a sur le bout du nez.

Pourtant, ces publicités ont de quoi faire écarquiller les yeux.

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Prenez le fameux rabais selon l’âge que Greiche & Scaff a lancé il y a plus d’un an, à l’occasion de son 40e anniversaire.

« Le quarantième est terminé, mais on maintient le rabais. Vous avez 74 ans comme moi, c’est 74 % de rabais », explique le porte-parole Winston McQuade.

« Et c’est minimum 40 % pour les plus jeunes comme moi », renchérit sa petite-fille Tess.

Alléchant, n’est-ce pas ?

Suivant ce concept inusité, il y a même quelques centenaires qui ont obtenu leur monture tout à fait gratuitement, m’a confié Pierre Skaff, directeur principal marketing et mise en marché de Greiche & Scaff.

Mais quand on s’attarde aux détails, on réalise que la promotion s’applique seulement sur les montures « exclusives », pas sur les grandes marques pour lesquelles il serait facile de comparer les prix ailleurs.

Et pour avoir droit au rabais, le client doit absolument acheter une paire de lunettes complète, comprenant la monture et les verres. Si le prix des verres est plus élevé que chez un concurrent, le rabais perd donc de son attrait relatif.

Mais à la base, peut-on vraiment parler d’un solde quand le rabais minimum de 40 % est applicable en tout temps, même si l’offre est censée être valide pour une durée limitée ?

« C’est loin d’être clair que c’est légal, répond Marc Lacoursière, professeur de droit de la consommation à l’Université Laval. Quand le prix de rabais devient le prix de référence, ce n’est plus un rabais. »

En fait, un commerçant ne peut pas gonfler artificiellement son prix habituel pour laisser croire à un rabais. Afin de déterminer le prix habituel, il faut que le commerçant ait vendu le produit à ce prix au moins 50 % du temps durant une période de référence (six ou douze mois), selon les lignes directrices du Bureau de la concurrence.

Quand le produit est toujours en solde, comme on le voit souvent avec les batteries de cuisine ou les matelas, il s’agit de faux rabais. Le détaillant induit la clientèle en erreur, ce qui constitue une forme de concurrence déloyale.

Mais Greiche & Scaff est convaincue que sa promotion respecte pleinement les règles. « En effet, la sélection en question fait l’objet de transactions à 100 % du prix. De plus, les marques et modèles font l’objet de changements réguliers (ajout ou retrait) », m’a fait valoir Pierre Skaff.

Cela n’empêche pas que Greiche & Scaff applique un rabais minimum de 40 % sur toutes les montures « exclusives » depuis plus d’un an, sauf exception. À mes yeux, ce prix minimum est devenu le prix courant. Seules les personnes de plus de 40 ans obtiennent un véritable rabais, mais moins élevé qu’il n’y paraît.

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De son côté, la chaîne New Look a fait sa marque avec les 2 pour 1.

Le fait de vendre systématiquement des produits à 2 pour le prix de 1 n’est pas un mal en soi. « Ce n’est pas un rabais, mais une politique de prix usuel », considère MLacoursière.

Mais il faut bien lire les petits caractères… Dans sa publicité, New Look propose « deux paires à partir de 299 $ », comprenant la monture et les verres. Mais ce prix ne donne accès qu’à des montures et des verres bon marché, ce qui convient seulement aux clients qui ont une correction mineure et qui ne désirent pas un antireflet.

Pour avoir un plus grand choix de montures et des verres un peu plus sophistiqués, les clients doivent débourser au moins 409 $. À ce prix, ils obtiennent deux paires de lunettes complètes.

Toutefois, les clients qui n’ont besoin que d’une seule paire ont droit à un rabais de 50 % sur la monture, ce qui fait en sorte que la paire de lunettes leur coûte environ 300 $.

En réalité, le client qui opte pour le 2 pour 1 se retrouve à payer 100 $ de plus pour sa seconde paire, alors que l’entreprise clame que la deuxième paire est « gratuite ».

Gratuite ? Vraiment ? C’est un drôle de point de vue.

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