Opinion Boucar Diouf

Bénéficiaires ou bénéfices hier ? 

L’augmentation de 500 millions accordée aux médecins spécialistes, même si elle est négociée depuis bien longtemps, ne passe vraiment pas dans la population. Et il suffit d’écouter ses voisins ou de lire les commentaires sur les réseaux sociaux pour réaliser que l’élastique de la confiance envers les super toubibs est tendu au maximum. 

« J’ai fait des bénéfices hier sur le dos des bénéficiaires ! » Voilà malheureusement ce que pense désormais une grande partie de la population chaque fois qu’elle entend parler des spécialistes. Pourtant, avant de frapper collectivement sur ceux que bien des gens considèrent comme des abuseurs du système, il faudrait peut-être se questionner sur nos choix sociétaux qui les prédisposent à de tels privilèges. C’est nous qui avons décidé collectivement que bien avant l’éducation, l’environnement, la médecine préventive, la lutte contre la pauvreté et tout le reste, trouver un médecin pour nous protéger de la mort est notre priorité première. Chaque élection est d’ailleurs une occasion pour les politiciens, bien conscients de cette anxiété collective, de nous demander de les plébisciter en nous faisant des promesses inatteignables sur le système de santé. 

Cette frousse légitime de la mort nous a amenés progressivement à hisser les médecins spécialistes au rang de demi-dieux.

Quand on y pense, ils n’ont jamais été aussi proches d’avoir des pouvoirs suprêmes. Avec les avancées spectaculaires en matière de procréation assistée, les médecins sont capables de donner la vie, de la figer dans la glace, de la sauver, et plus récemment, depuis la légalisation de l’aide médicale à mourir, de l’enlever à celui qui le désire. Si ce n’est pas ça des pouvoirs semi-divins, on n’est pas bien loin du compte. 

En plaçant la consommation et les sentiments humains au centre de la seule croyance à la vie avant la mort, nous avons collectivement hissé les médecins spécialistes au rang de divinités. Et l’histoire nous a démontré que rien n’est jamais assez beau, assez grand et assez riche pour un dieu. 

Tous les mélomanes savent que lorsqu’on composait des pièces classiques pour le Seigneur, il ne fallait pas lésiner sur son temps et sa créativité pour accoucher d’une œuvre qui frôle la perfection. Les grandes cathédrales, les pyramides d’Égypte, le gigantisme des cités des dieux de Teotihuacán, de Tikal et de Machu Picchu sont encore là pour nous rappeler que lorsque vient le temps de faire plaisir aux dieux, il faut parfois consentir de grands sacrifices aux dépens des mortels. 

Lorsque la peur de la mort s’empare de la cité, les sorciers guérisseurs se préparent à prendre le pouvoir, ainsi disait mon grand-père.

Aujourd’hui, on ouvre les coffres de l’État aux médecins spécialistes un peu comme on faisait des sacrifices humains pour les divinités afin qu’elles chassent les épidémies qui ravageaient la population. 

Est-ce que c’est de leur faute ? Pas certain. Quand la maladie grave se pointe, que celui qui ne renoncerait pas à tout ce qu’il possède pour retrouver la santé lance la première pierre aux super cliniciens ! En plus, il ne faut pas oublier qu’individuellement, il y a beaucoup de spécialistes qui éprouvent le même malaise que le député Amir Khadir, qui ne propose rien de moins à ses collègues que de renoncer à la hausse. Je ne suis pas toujours d’accord avec les positions politiques de Khadir, mais force est d’admettre qu’il y a chez lui une noblesse d’esprit et un indéfectible engagement pour la justice sociale et la défense du bien commun. 

D’ailleurs il serait bien que des médecins qui pensent comme lui sortent du silence et expriment leur malaise pour rassurer la population qui ne demande qu’à les aimer à la hauteur du rôle primordial qu’ils jouent dans la société. 

Au-delà des sommes attribuées aux médecins, c’est cette impression que les deux spécialistes qui dirigent le gouvernement moissonnent pour leurs potes qui commence à écœurer bien des gens. Il y en a un dont l’ancien travail consistait à soutirer toujours plus d’argent au gouvernement pour les spécialistes et l’autre qui est allé pratiquer en Arabie saoudite parce qu’il trouvait probablement que ce pays lui offrait un meilleur salaire que la nation qui a payé sa coûteuse formation. C’est peut-être sur ces élus qu’il faut déplacer le malaise et non sur le docteur trop pris à sauver des vies pour se préoccuper de ce qui se trame dans les locaux du syndicat qui négocie ses conditions salariales avec le gouvernement. Il faut rappeler au duo Barrette-Couillard que l’époque de la saignée pour soigner est révolue.

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