Chronique : Demandeurs d’asile

Au tour des Haïtiens

Nous assistons, depuis quelques semaines, à un phénomène à la fois fascinant et terriblement inquiétant.

Dans ce que nous appelons pudiquement le débat identitaire, la source des inquiétudes ressenties par une partie de la population – et qu’une partie de la classe politique tente de récupérer –, c’est le monde arabo-musulman.

Mais depuis la mi-août, la cible a changé. L’afflux de réfugiés à la frontière canado-américaine, qualifiée de passoire, et, cette semaine, la découverte du fait que ces milliers de demandeurs d’asile toucheront de l’aide sociale ont créé un mouvement d’inquiétude et de mécontentement dont l’objet est la communauté haïtienne, qui fournit le gros contingent de ceux qui ont frappé à nos portes.

La source des craintes change, la nature du débat change aussi. Les arguments habituels pour justifier les inquiétudes ne peuvent plus être invoqués.

Pas de voiles intégraux qui, comme le dit le maire Régis Labeaume, dégoûtent les gens. Pas d’accommodements. Pas de symboles associés à un refus de l’égalité entre les hommes et les femmes. Pas de craintes, comme avec l’islamisme radical, pour notre sécurité.

Les Haïtiens parlent français, ou passeront facilement du créole au français. Ils sont chrétiens, parfois avec des accents vaudouisants. Ils rejoignent en outre une communauté, composée en bonne partie d’autres vagues de réfugiés, dont l’intégration s’est faite dans l’harmonie. Et pourtant, l’inquiétude est toujours là.

L’afflux soudain de ces migrants soulève bien sûr des interrogations. Sur le rôle qu’ont joué les messages naïfs de Justin Trudeau pour encourager cette ruée, sur l’impréparation d’Ottawa qui a été lent à réagir, sur la qualité de la prise en charge, sur la lenteur de la gestion des dossiers.

Les questionnements sont donc parfaitement légitimes. Mais ce qui est inacceptable, c’est que des politiciens, sur le mode de la fausse indignation, se soient surtout employés à alimenter les inquiétudes, dans une surenchère parfaitement odieuse.

C’est le chef de la CAQ, François Legault, qui a lancé le bal à la mi-août sur sa page Facebook en affirmant « Le Québec ne doit pas devenir une passoire », en accusant ces migrants de « franchir la frontière illégalement », un terme banni par tous les spécialistes. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, a tenté de mettre un vernis en proposant un semblant de solution, répudier l’entente sur des pays tiers. Mais son tweet était tout aussi cru : « Les Québécois sont contre qu’on régularise un passage illégal. Un Québec indépendant ferait respecter sa frontière. »

Dans les deux cas, les mêmes messages. D’abord une réaction au premier degré, sur le mode « C’est-y pas effrayant », un cri du cœur, compréhensible dans une discussion de cuisine, mais inacceptable chez des politiciens d’expérience, scolarisés, qui n’ont pas l’excuse de l’ignorance. Ensuite, l’idée qu’avec eux, ça ne se passerait pas comme ça, que le Québec ne serait pas une passoire, qu’un Québec indépendant serait étanche. Bref. Que nos frontières seraient fermées.

La deuxième salve du même duo, dans sa surenchère pour séduire l’électorat du 450, du 819 ou du 418, a porté sur l’aide sociale qui sera versée à ces nouveaux arrivants.

« On n’a pas la capacité financière d’accueillir tous ces gens-là », a lancé M. Legault, dont le « ces gens-là » méprisant reprenait un vieux thème, la stigmatisation des bénéficiaires de l’aide sociale, à l’égard cette fois-ci d’une clientèle encore plus vulnérable.

Jean-François Lisée s’est enfoncé un peu plus bas dans la démagogie : « Le gouvernement nous dit qu’il est incapable de donner un deuxième bain dans les CHSLD et ça, ça coûte 30 millions. Alors combien ça va coûter, 8, 10, 15 000 demandeurs d’asile qui restent au Québec pendant trois ans ? C’est sûr que c’est plus que 30 millions. » Le chef péquiste a voulu justifier ses interventions au nom de la transparence. « Vous savez, on a un budget de 100 milliards, bien sûr qu’on peut payer ça et j’aimerais que le gouvernement soit transparent et nous dise combien ça coûte et qu’il arrête de dire que ça ne coûte rien. »

La question était rhétorique, parce que le coût exact dépendra du nombre de réfugiés et du temps qu’ils recevront l’aide sociale. Mais le message de M. Lisée était le même que celui de M. Legault, « Ouache, ça nous coûte cher. » Et ça vient de deux anciens ministres, qui savent que le gouvernement a des obligations internationales et des traditions. Le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale a affirmé que cette pratique de verser de l’aide sociale dans de tels cas remonte à 1996.

Il n’y a donc pas juste le voile et les accommodements religieux. Il y a, chez bien des Québécois, une insécurité qui s’exprime par la peur de l’autre, quel qu’il soit. Et c’est ça que nos deux grands partis de l’opposition ont choisi de cultiver.

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