Conseil municipal de Saguenay

La Cour d'appel sauve la prière du maire Tremblay

Si on élisait un maire musulman à Montréal, peut-on imaginer que les séances du conseil municipal de Montréal débutent par une prière demandant à Allah de guider les élus dans leurs délibérations ?

C’est la question que pose Pascale Fournier, professeure agrégée de droit à l’Université d’Ottawa, « très étonnée » du jugement de la Cour d’appel qui a autorisé hier la ville de Saguenay à conserver sa prière, son crucifix et sa statue du Sacré-Cœur.

Pour la Cour d’appel, ces manifestations religieuses – évocatrices du « patrimoine culturel et historique » de Saguenay – ne portent pas atteinte à la neutralité de la Ville. S’inscrivant en faux contre un jugement du Tribunal des droits de la personne de 2011, la Cour d’appel ne croit pas davantage qu’Alain Simoneau, le citoyen non-croyant ayant livré bataille, ait été victime de discrimination. Il n’a pas été traité « comme une personne de moindre valeur », « ses convictions morales n’ont pas été niées ni ridiculisées », peut-on lire.

Le maire Jean Tremblay, dont le style est tout de même largement éclaboussé dans le jugement, devrait commenter sa victoire aujourd’hui. Le Mouvement laïque québécois, qui appuyait M. Simoneau dans cette affaire, attendra à demain.

Daniel Baril, ancien président du Mouvement laïque et qui a agi comme expert dans cette cause – expert discrédité par la Cour d’appel en raison de son manque d’objectivité – s’est dit « navré ». « Dans le jugement, on reconnaît que le maire de Saguenay mène une croisade religieuse, mais on dit dans le même souffle que sa prière n’est pas vraiment une prière. »

« Aller en Cour suprême, ça coûte cher, poursuit M. Baril, et le Mouvement laïque québécois n’a sûrement pas les moyens de Jean Tremblay, qui a amassé des milliers de dollars pour sa bataille. » M. Baril évoque ici la sollicitation de dons lancée en 2011 par Jean Tremblay qui se targuait d’avoir récolté plus de 50 000 $.

À Québec, Bernard Drainville, ministre délégué aux Institutions démocratiques, n’a pas voulu commenter la cause de Saguenay, qui pourrait rebondir encore devant les tribunaux, ni dire si une Charte de la laïcité – maintenant rebaptisée Charte des valeurs communes – pourrait mettre fin à la récitation de la prière avant les conseils municipaux. De toute manière, il est loin d’être certain qu’une telle Charte puisse être adoptée par un gouvernement péquiste minoritaire.

Le Parti libéral n’a pas commenté non plus la décision de la Cour d’appel.

François Legault, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), ne s’est pas inquiété des conséquences de la prière du maire de Saguenay sur la neutralité religieuse de la Ville. « De dire qu’il y a des signes catholiques, de faire une petite prière au Québec… Moi, j’avoue que ça ne m’empêche pas de dormir de voir cela. »  La CAQ dit chercher une « position équilibrée » dans le dossier.

Les controverses autour de prières précédant les conseils municipaux datent des années 90 alors que plusieurs plaintes avaient été déposées. Outremont avait alors décidé d’elle-même d’abandonner la pratique, tandis que Laval s’est rendue jusque devant les tribunaux pour conserver sa prière. En 2006, le Tribunal des droits de la personne l’avait obligée à cesser cette pratique.

— Avec Paul Journet

Saguenay

La décision de la Cour d’appel en bref 

Une neutralité préservée

« La prière récitée par M. le maire et les deux signes religieux en cause, lorsque replacés dans leur contexte, ne démontrent pas que le conseil municipal [...] est sous l’influence d’une religion ou qu’il tente d’en imposer une. »

Pas de discrimination

« Il n’a pas été démontré que M. Simoneau a été l’objet d’une distinction contrevenant aux principes de l’égalité réelle. De toute manière, la démonstration d’un préjudice est ici inexistante. »

Sur le maire Jean Tremblay

Son comportement et ses propos « témoignent d’une absence de réserve élémentaire ». « Il me semble tout à fait inconvenant que des fonctions prestigieuses puissent être utilisées aux fins de promouvoir ses propres convictions personnelles sur le plan religieux. »

Sur l’ostracisme allégué d’Alain Simoneau

« Il est évident que, en dépit de son côté réservé, M. Simoneau a choisi de porter sur la place publique la question de la prière et celle des signes religieux. En décidant par exemple de faire un acte d’apostasie, ou en revendiquant publiquement, comme il avait le droit de le faire, la cessation des pratiques contestées, il a choisi au nom de ses idéaux de renoncer à cette réserve. »

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