Crise en Égypte

Doit-on craindre une guerre civile ? 

Depuis la « destitution » par l’armée du président Mohamed Morsi le 3 juillet, un climat de grande tension règne en Égypte. De violents affrontements ont eu lieu hier au Caire entre l’armée et des partisans du président déchu, figure de proue des Frères musulmans, une organisation islamiste qui s’oppose à l’État laïc. Résultat : une cinquantaine de personnes ont été tuées dans les rues de la capitale. Les Frères musulmans ont appelé au « soulèvement » face à ce « massacre ». La guerre civile guette-t-elle le pays ? La Presse a interrogé deux experts.

L’appel au soulèvement des Frères musulmans sera-t-il entendu ? La situation risque-t-elle d’empirer en Égypte ?

Kyle Matthews, directeur adjoint à l’Institut montréalais sur le génocide et les droits humains, croit que les Frères musulmans vont tout faire pour profiter de la situation. « Ils vont mettre de la pression sur l’armée. Ils veulent des émeutes, de la violence, pour pouvoir poser en victimes. » Les différentes parties risquent fort de rester sur leurs positions. « Les évènements récents montrent que les groupes en présence sont très polarisés, affirme Rex Brynen, professeur au département de sciences politiques à l’Université McGill. Je vois difficilement comment les parties pourraient se rapprocher dans les circonstances. Le clivage risque de persister. »

Quel pourrait être le pire scénario ?

« J’ai très peur d’une guerre civile, affirme Kyle Matthews. Toutes les indications montrent maintenant une société égyptienne très polarisée, entre les islamistes et la société civile. Ce sont deux visions de l’Égypte qui s’affrontent. » Une opinion que ne partage pas Rex Brynen. « Je crois que nous sommes encore très loin d’une guerre civile. Mais je crains néanmoins une radicalisation, d’autres islamistes pourront prétendre que c’était une mauvaise idée que de miser sur la démocratie. Regardez ce qui est arrivé, diront-ils. Vous voyez bien que la démocratie ne fonctionne pas. »

Et les Frères musulmans, quelle place doit-on leur accorder dans une solution « égyptienne » ?

« L’armée a tout fait pour les écarter, mais la réalité, c’est que 25 % de la population a voté pour eux [au premier tour de l’élection de 2012]. On ne peut pas complètement les exclure, croit M. Matthews. Il faut trouver une façon de leur donner une place dans une nouvelle constitution. Mais je crains que même avec une nouvelle élection, ce soit un parti religieux qui l’emporte. Ce sont eux les mieux organisés contrairement aux différents groupes d’une éventuelle coalition.

Qu’arrivera-t-il au président déchu Mohamed Morsi ?

Selon Rex Brynen, l’armée égyptienne se retrouve avec un réel problème dans le cas du président Morsi. « Si on porte des accusations à son endroit, cela risque de heurter les Frères musulmans, qui se disent persécutés depuis une décennie. Mais si on le relâche, la situation pourrait être pire, du moins du point de vue des militaires. » Pour sa part, Kyle Matthews croit que l’armée ne peut garder Mohamed Morsi prisonnier indéfiniment. « Si on porte des accusations à son endroit, il faudra que ce soit fait rapidement et que ce soit clair. »

Le pays est au bord du gouffre économique, la pauvreté prend de l’ampleur au sein d’une population très jeune. Quel est le principal défi des nouveaux dirigeants de l’Égypte ?

« Le plus grand défi de l’Égypte, c’est la polarisation politique, affirme M. Brynen. Chaque groupe croit que l’autre est l’incarnation du diable, ce qui, vous l’avouerez, est très problématique. » Il y a aussi les problèmes économiques qui ne pourront malheureusement pas être réglés à court terme. « Les Frères musulmans n’ont pas fait un très bon travail à cet égard, mais rien ne permet de croire qu’un gouvernement de transition arriverait à faire mieux. Preuve est faite, selon Kyle Matthews, que les islamistes ne savent pas comment gouverner un État. Le président croyait diriger le pays en tenant compte de la loi de Dieu, mais beaucoup de gens sans emploi ont manifesté contre son gouvernement. « Je pense que le chômage a doublé au cours de la dernière année. Mais peu importe qui prendra le pouvoir, il faudra commencer à rétablir l’économie de l’Égypte, estime M. Matthews. Il faudra aussi penser à la sécurité dans un pays qui dépend fortement du tourisme. »

Crise en Égypte

Des élections avant la fin de l’année

Adly Mansour, président intérimaire de l'Égypte, a décrété lundi soir la tenue d’élections législatives avant 2014 dans le pays entré mercredi dans une transition politique après que l’armée a renversé le président Mohamed Morsi, a indiqué la télévision d’État.

La déclaration constitutionnelle prévoit la nomination d’ici 15 jours d’un comité constitutionnel qui aura deux mois pour présenter ses amendements au président intérimaire. Celui-ci devra ensuite les soumettre à un référendum populaire dans un délai d’un mois. Des législatives seront organisées deux mois plus tard. 

— Agence France-Presse

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