Chronique

Guylaine Gagnon et nous

Contrairement aux seins nus et gratuits des militantes de Femen, les seins nus de Guylaine Gagnon sont payants : cinq dollars par coup d’œil.

À noter qu’entre le moment où Guylaine Gagnon soulève les rebords de son chandail bedaine pour exposer ses deux boules siliconnées et le moment où elle rabat les pans de tissu et tire le rideau sur son champ d’obus, à peine 10 secondes se sont écoulées. Cinq dollars les 10 secondes, ça fait cher le taux horaire…

Avant de poursuivre, une présentation s’impose. Si vous ne connaissez pas Guylaine Gagnon et n’avez jamais entendu parler d’elle, sachez que cette escorte « bleachée » de Longueuil qui parle comme une charrue, postillonne des blasphèmes et se maquille comme un carnaval, est la vedette web de l’heure. 

Les vidéos qu’elle bricole et affiche sur YouTube vont chercher des milliers de clics depuis trois semaines. Elle a plus de 20 000 abonnés à son compte Facebook. On a parlé de ses exploits dans plusieurs médias, y compris dans La Presse+

Au cabaret Chez Mado, certaines drag queens ont ajouté Guylaine Gagnon à leur catalogue d’imitations. Quelqu’un a même lancé la rumeur loufoque que Guylaine Gagnon avait été approchée pour incarner la nouvelle Shandy d’Unité 9. On devine que la rumeur part du fait que Guylaine Gagnon est pourvue d’un appétit sexuel aussi intense que celui de Shandy, puisqu’elle en parle tout le temps et qu’elle le pratique sans doute encore davantage.

Mais là n’est pas la question. Ce qui m’intéresse avec Guylaine Gagnon, ce n’est pas l’animal, ni l’être humain, ni même l’obsédée sexuelle, mais le regard que nous posons sur elle. Et ça, mes amis, ce n’est pas très joli.

Car la plupart du temps, il s’agit d’un regard moqueur, condescendant, ironique, le regard qu’une classe dominante pose sur la classe trash, la basse classe quoi, qu’incarne Guylaine Gagnon.

Il fallait voir la fille de l’actualité web à l’émission Salut Bonjour ! mettre des gants blancs et prendre des pincettes pour justifier son topo sur Guylaine Gagnon. Elle semblait gênée, et même légèrement dégoûtée par l’ampleur du phénomène, et s’excusait presque de lui donner ces quelques secondes de publicité.

Quant aux fans de Guylaine Gagnon, dans le meilleur des cas, ce sont des ados boutonneux qui fantasment sur ses gros seins et sur son langage cru et se paient, avec elle, des cours d’éducation sexuelle en accéléré.

Dans le pire des cas, ses fans sont des types libidineux qui se rincent l’œil, ou alors des hipsters et des branchés qui s’encanaillent aux dépens d’une femme devenue bête de cirque dans le film trash de sa vie.

Ceux-là, j’en suis convaincue, prennent Guylaine pour une imbécile. Pourtant Guylaine est loin d’être une imbécile. Elle semble pourvue d’un bon sens du commerce et d’une intelligence de la rue. Pour le reste, on devine qu’elle est une multipoquée, probablement aux prises avec des problèmes de consommation et un besoin pressant d’attention.

Aux médias qui viennent l’interviewer, elle raconte qu’elle a commencé à tourner ses vidéos parce qu’elle avait quelque chose à dire. À ce chapitre, Guylaine s’illusionne un peu.

Au plan intellectuel, politique ou philosophique, Guylaine n’a strictement rien à dire d'autre que les clichés d’usage sur la société pourrie. Mais ses vidéos sont tout de même très évocateurs. Ils disent l’univers de cette femme, le monde parallèle dans lequel elle vit : un monde de pauvreté, de vide, d’inculture, de manque d’estime de soi, d’exploitation sexuelle, le tout camouflé sous des couches d’humour et de bonne humeur qui rendent le produit vendeur.

Dans six mois, ou peut-être même avant, les fans passeront à un autre appel et à un autre virus viral de la semaine. Guylaine Gagnon retournera dans les limbes de l’oubli avec, pour unique richesse, le souvenir de ses 15 minutes de gloire virtuelle. Pourvu que ça l’aide à passer la nuit.

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

De la ridicule poursuite intentée par Radio-Canada contre la petite télé ethnique montréalaise qui doit entrer en ondes en septembre sous le nom Ici (acronyme de International Channel/Canal International). La future télé Ici a un certificat de propriété intellectuelle en bonne et due forme, ainsi qu’une bénédiction du CRTC pour son projet. Radio-Canada devrait investir notre argent ailleurs que dans d’inutiles poursuites.

ON EN PARLE ENCORE MOINS

De la poursuite de Patrice Désilets, le designer et réalisateur de jeux vidéo comme Assassin’s Creed contre son ex-employeur Ubisoft. Il s’agit d’une cause importante sur le contrôle artistique et le droit d’auteur des jeux vidéo. À suivre.

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