Aida

Un drame verdien dans la grande tradition

Avec les expériences auxquelles on se livre avec plus ou moins de bonheur dans les maisons d’opéra depuis des années, cela fait du bien, parfois, d’assister à une production traditionnelle. À condition que les bons ingrédients soient réunis : chanteurs talentueux, décors grandioses et mise en scène respectueuse de la musique. C’est tout ce qu’il faut pour monter un spectacle réussi sans avoir besoin de réinventer la roue. La première d’Aida, samedi soir à l’Opéra de Montréal, était dans cet esprit.

En soi, la partition d’Aida est déjà un chef-d’œuvre, et son livret est bien ficelé. Si l’on compare cette production aux autres drames de l’Antiquité présentés par l’Opéra de Montréal ces dernières années – pensons à Nabucco avec une scénographie complètement désuète en 2014 et à Samson et Dalila avec ses « effets spéciaux » décevants plaqués sur un décor austère en 2015 – , Aida est la plus réussie.

Bien qu’ils datent des années 90, les imposants décors sont splendides et font encore l’affaire. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir des projections vidéo – mode aujourd’hui omniprésente dont on finit par se lasser – pour faire une bonne scénographie. Les somptueux costumes et coiffures en mettent plein la vue et sont valorisés par des éclairages particulièrement soignés créant des atmosphères quasi mystiques, avec un petit côté kitsch qui ramène des souvenirs de vieux péplums hollywoodiens. À tout cela s’ajoutent des chorégraphies très réussies avec une douzaine de danseurs qui apportent énormément de dynamisme à l’ensemble.

Le plus important, c’est que vocalement, les trois chanteurs principaux sont à la hauteur de leurs rôles difficiles. 

L’Opéra de Montréal a réinvité le ténor bulgare Kamen Chanev, que l’on avait entendu il y a deux ans dans Turandot, pour interpréter Radamès. Encore une fois, une voix solide est au rendez-vous. On ne peut pas en dire autant de son jeu d’acteur, plutôt limité. Il se contente le plus souvent de rester planté là en bougeant le moins possible.

Dans le rôle-titre, la soprano russe Anna Markarova fait entendre une belle voix qui rencontre ses limites dans les notes très aiguës, dont l’émission est quelquefois moins maîtrisée, ce qui se remarque notamment dans l’air O patria mia. La meilleure des trois est l’impressionnante mezzo russe Olesya Petrova, véritable force de la nature. Très expressive, dotée d’une voix puissante et d’une forte présence sur scène, la chanteuse est le choix idéal pour personnifier la colérique Amneris de façon crédible. On espère la réentendre à Montréal.

Du côté des rôles secondaires, la distribution est satisfaisante. C’est un plaisir d’écouter à nouveau l’excellent Gregory Dahl, baryton canadien régulièrement invité à l’Opéra de Montréal, tout simplement parfait en Amonasro. En plus de Petrova, l’autre belle surprise de la soirée, c’est la soprano Myriam Leblanc, stagiaire de l’Atelier lyrique qui fait des débuts remarquables à la compagnie en faisant entendre une voix d’une beauté rare, dans le rôle de la Grande Prêtresse. Cette scène de la prière au dieu Ptah, avec chœurs, est sans doute la plus réussie de la soirée.

Certes, pour un spectateur de 2016, Aida comporte quelques longueurs, surtout vers la fin. La mise en scène de François Racine évite toutefois un écueil courant associé à cette œuvre en n’étant pas trop statique malgré l’aspect solennel et figé de ce décor égyptien. Le tout, incluant les entractes, dure environ trois heures et quart. Une sortie tout à fait recommandable pour ceux qui aiment l’art lyrique et la démesure.

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