Sans filtre

Ça me brise le cœur

Allan Walsh représente quelques-uns des meilleurs joueurs de la LNH, dont Jonathan Drouin et Marc-André Fleury. Cet homme qui est né et qui a grandi à Chomedey, à Laval, est devenu agent de joueurs en 1995. Depuis, il a su faire sa place dans un milieu très exigeant. Aujourd’hui, il utilise sa notoriété pour sensibiliser le public (et la Ligue) à la santé des joueurs. Son récit.

Laissez-moi vous raconter une histoire qui me brise le cœur encore aujourd’hui. C’est un moment que je n’oublierai jamais.

Un jour, j’ai reçu l’appel d’un de mes clients. Je vais taire son identité, mais il avait joué plusieurs belles saisons dans la Ligue nationale de hockey.

Il était en détresse au bout du fil. Il venait de ranger son véhicule sur le côté de la route. Il m’a dit : Allan, j’ai besoin d’aide. Je vis à tout juste 3 km de l’épicerie, je suis parti acheter de la nourriture, et je ne suis plus capable de retourner à la maison.

Il ne savait plus comment retourner à l’endroit où il avait vécu les 10 dernières années. Pire encore, il devait bien avoir fait des centaines de fois le trajet entre sa maison et l’épicerie.

J’ai immédiatement appelé sa femme. Elle m’a raconté qu’il l’avait également appelée quelques semaines plus tôt, en larmes. Même situation : il ne savait plus comment retourner chez lui. Il était à quelques pâtés de maisons de son domicile, mais il tournait sans cesse sur la mauvaise rue.

Il devenait de plus en plus frustré à mesure qu’il se rendait compte que quelque chose n’allait pas.

J’ai demandé à cet ancien joueur combien on lui avait diagnostiqué de commotions cérébrales. Il m’a dit 11 ou 12, de ses années juniors jusqu’à la fin de sa longue carrière. Et on parle seulement des commotions qu’il avait la certitude d’avoir subies.

Il était allé voir le neurologue, il avait fait des batteries de tests. Il y a aussi la peur qui s’ajoute à tout ce processus, le stress.

Ça me fait mal de voir un joueur qui a consascré ses plus belles années au hockey et qui devrait enfin profiter de la vie avec sa famille se retrouver dans un tel état. Si vous saviez le nombre d’anciens joueurs qui vivent sous un nuage sombre chaque jour en raison de blessures.

Le travail d’agent

Je considère les joueurs comme les PDG de leur entreprise. C’était bien différent quand j’ai commencé. Il faut dire qu’à mes débuts, en 1995, le salaire moyen était autour de 1,1 million de dollars. Maintenant, le marché est plus grand et les joueurs font plus d’argent.

Raison de plus pour ne pas seulement avoir un plan de hockey, mais un plan de vie.

Je m’assois avec les joueurs dès qu’ils signent leur premier contrat et je leur prépare une progression de carrière, du jour 1 jusqu’à la retraite. Je leur donne un objectif à réaliser d’ici leur retraite, et j’aborde avec eux, bien sûr, l’après-carrière.

J’ai des joueurs de 18 ou 19 ans qui me regardent comme si j’avais complètement perdu la carte. Pourquoi est-ce que je viens leur parler de retraite le jour de la signature de leur premier contrat ?

Parce que c’est important de comprendre que, peu importe qui tu es, tu ne peux pas combattre le temps. Il y aura un début de carrière, un milieu et une fin. C’est impossible d’y échapper.

Et l’un des rôles d’un agent, s’il fait bien son travail, est d’encadrer les joueurs à chaque étape de leur vie.

Je parle bien sûr de l’aspect hockey, je parle des finances… et je parle de santé. L’enjeu des commotions cérébrales est au cœur de mes préoccupations pour les joueurs de la LNH.

Je reconnais qu’il y a eu du progrès du côté de la LNH, mais ce progrès ne provient pas d’un réel souci pour la santé et la sécurité des joueurs. Selon moi, c’est surtout par crainte de s’exposer à des risques de responsabilité financière si elle n’applique pas les mesures qui sont prises partout ailleurs.

Au cours des 15 dernières années, chaque fois que la santé des joueurs a été abordée dans une question à Gary Bettman, ce dernier a répété l’une de ses phrases préférées : la LNH a été la première ligue à créer un groupe de travail sur les commotions. Bettman insiste, c’est un enjeu sérieux pour la Ligue et ce groupe a été mis sur pied dans les années 90, bien avant que la NFL ou qui que ce soit d’autre n’emboîte le pas.

Mais avec le recours collectif des victimes de commotions cérébrales, nous avons appris que, oui, la LNH a formé un groupe de travail. Le problème, c’est qu’il n’a absolument rien fait. Aucune rencontre, aucune étude, aucune recommandation. Rien.

Pendant les 10 ans durant lesquels ce groupe de travail n’a rien fait, chaque fois que l’enjeu des commotions était abordé avec Gary Bettman, il répétait encore et toujours que la LNH était la seule ligue avec un tel groupe. Puis, après 10 ans, on a dissous le groupe.

Qu’a-t-on fait ensuite ? On a créé un nouveau groupe appelé Groupe de travail sur les commotions cérébrales. C’est tout ce qu’on a fait. On a fermé un groupe, on a créé un groupe.

L’ETC

Il y a eu beaucoup de mots vides de sens, aucune action réelle, aucun progrès. Puis, l’expression « encéphalopathie traumatique chronique » (ETC) a commencé à être connue des médias, du public, puis des joueurs. Grosso modo, c’est une forme d’affection cérébrale qui s’apparente aux maladies dégénératives et qui est causée par des coups répétés à la tête.

J’ai vu des joueurs, des légendes, qui ont joué dans les années 50, 60 ou 70. Ils se traînent, ils ont de la difficulté à marcher. Ils ont de mauvais genoux, de mauvaises hanches, plusieurs autres ennuis de santé.

On dirait que ces joueurs ont 80 ou 85 ans quand, en fait, ils ont 50 ou 55 ans. Ils sont à peine capables de se déplacer.

J’ai eu la chance de parler à ces joueurs. Ils te racontent leur carrière, les blessures qu’ils ont subies. Ils te racontent les fois où ils ont joué malgré des symptômes de commotion cérébrale de peur d’être retranchés de l’équipe. De peur d’être renvoyés à la maison et remplacés.

Puis ils te parlent de leur pension d’anciens joueurs de la LNH, qui est tellement petite, et ils te disent qu’ils n’ont aucun soin de santé.

J’entends ces histoires et ça me met en colère. Ce n’est pas correct.

La LNH aurait facilement pu créer un programme offrant des soins de santé abordables et décents aux anciens joueurs. Elle aurait pu faire plus pour leurs pensions.

Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Parce qu’à mon avis, elle ne se soucie pas de la santé, de la sécurité et de l’avenir des joueurs si ça lui coûte le moindre dollar. Elle fait le strict minimum pour s’en tirer, et c’est mal.

Je ne dirai jamais à un joueur comment se comporter sur la glace. S’il a des questions, il peut venir m’en parler et je pourrai ensuite avoir une conversation avec lui. J’aime mieux que ça vienne de lui. Je ne vais pas amorcer la discussion au sujet de la manière de jouer.

Ce que je fais toujours, par contre, c’est que je parle en long et en large à mes joueurs de leur propre santé. Comment prendre bien soin d’eux, comment bien s’entraîner dès maintenant, comment bien manger dès maintenant, comment bien dormir dès maintenant.

Je fais le pari que si un joueur adopte un bon style de vie tôt dans sa vie, il le gardera tout au long de sa carrière, et même au moment de sa retraite.

Cet été, j’ai eu l’occasion de revoir plusieurs de mes anciens clients à des tournois de golf caritatifs un peu partout. Je suis fier de dire que plusieurs d’entre eux sont encore très actifs. Ils sont en excellente forme et on pourrait presque croire qu’ils seraient encore en mesure de jouer.

Plusieurs d’entre eux ont de jeunes familles, leurs enfants grandissent vite, et j’aime les voir profiter de la vie.

Le problème est que je vois aussi l’autre côté de la médaille. Les anciens athlètes qui vivent chaque jour avec les effets de coups à la tête reçus tout au long de leur carrière. C’est pour eux que je ne baisserai jamais les bras.

— Propos recueillis par Jean-François Tremblay

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