Naissances

S.O.S., bébés vulnérables

L’état de santé des tout-petits s’améliore globalement, mais beaucoup reste à faire pour favoriser le développement optimal des petits Québécois. Parmi tous les bébés nés durant les derniers mois d’été, période qui enregistre le plus de naissances au Québec, beaucoup évolueront dans des conditions de grande vulnérabilité, comme en témoignent des intervenants en périnatalité et des mamans. Rencontres.

UN DOSSIER D’ISABELLE MORIN

Agir tôt pour changer une vie

Un bébé ne naît pas toujours dans des conditions heureuses. Violence conjugale, pauvreté, toxicomanie et problèmes de santé mentale sont autant de facteurs qui mettent en péril un avenir autrement prometteur. Entourées de ressources qui les encadrent et les aident, certaines femmes saisissent toutefois la perche qui leur est tendue pour offrir le meilleur d’elles-mêmes à leur petit.

Mélissa Émond-Denis bénéficie du programme de soutien nutritionnel OLO. Enceinte de son troisième enfant, cette maman de 27 ans reçoit l’équivalent de 1 L de lait, un œuf, 125 ml de jus d’orange et une multivitamine prénatale par jour pour assurer le bon développement de son bébé tout au long de sa grossesse. Elle est aussi suivie par une nutritionniste et participe à des rencontres de groupe afin de développer les outils pour planifier ses repas, faire de meilleurs choix alimentaires et optimiser son budget.

En rencontre mensuelle avec son intervenante, Mélissa revient sur les objectifs qu’elle s’était fixés au rendez-vous précédent. « J’essaie d’éloigner la friture et la malbouffe. Je mange moins au resto », confie-t-elle à la nutritionniste Hélène Hénault. Car la jeune maman l’avoue : elle pourrait manger de la poutine italienne tous les jours. « Pour le budget, on ne peut pas faire de dépenses fofolles, mais ça va », dit-elle. En appartement depuis l’âge de 16 ans, Mélissa a appris à s’organiser. Elle va bien.

Hélène Hénault note ses progrès et l’encourage. Depuis 10 ans, la nutritionniste travaille au CLSC d’Hochelaga-Maisonneuve avec des femmes qui sont dans des situations de vulnérabilité parfois extrême. Certaines mamans ont à peine 12 ans. Pour cette clientèle défavorisée, l’insécurité alimentaire est un enjeu central.

« L’alimentation n’est pas une priorité dans ces conditions. Quand tu veux te gâter, tu ne vas pas t’acheter une pomme ou une banane. Tu vas chez McDo. » Par ailleurs, note-t-elle, plusieurs n’ont pas appris à cuisiner. « Si tu as jamais vu ça, cuisiner un repas et manger en famille, l’apprentissage exige un effort. Dès que le désir d’apprendre est là, on le nourrit. »

1 bébé sur 6 naît dans un contexte d’insécurité alimentaire au Québec.

Source : Fondation OLO

Avec le temps, elle a adopté la « théorie des petits pas ». Chaque petit changement dans la bonne direction est une victoire. « Je me dis que ce que je fais là, c’est bon à vie. Pour la mère, l’enfant et la famille, mais aussi pour la famille élargie. Quand on peut influencer une personne, ça rayonne autour. »

Un tournant

Le fait de vivre dans un milieu socioéconomique défavorisé est associé à un taux de naissances prématurées élevé et à des taux d’allaitement moindres, démontrent les chiffres du plus récent portrait dressé par l’Observatoire des tout-petits. Des interventions sur le terrain auprès de femmes et de familles en difficulté montrent toutefois des effets concrets.

Dans bien des cas, la grossesse est l’occasion de faire un virage. Les résultats ne sont pas toujours mirobolants, mais l’attachement de la mère à son bébé est fort, notent les intervenants.

Nancy Raymond avait 18 ans lorsqu’elle a eu son premier enfant. Puis il y a eu un autre « accident de parcours ». Ses deux premiers enfants ont été placés en famille d’accueil par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) : le premier à un an et demi, le deuxième à la naissance. Aujourd’hui, à 33 ans, elle ne veut pas manquer sa chance avec sa petite Kescy, née le 19 janvier dernier.

« Y’a certaines choses que j’ai pas eues. Mais ma fille, elle va manquer de rien. » 

— Nancy Raymond, maman de la petite Kescy, 7 mois

Une équipe entoure cette maman en lui offrant un soutien postnatal individuel sur le plan nutritionnel, grâce au projet 1000 jours pour savourer la vie de la Fondation OLO. Elle est aussi soutenue par le Service intégré pour la petite enfance (SIPPE), lequel assure un suivi par l’entremise de différents intervenants, dont une psychoéducatrice, une infirmière et une travailleuse sociale.

Nancy n’a pas son diplôme de 5e secondaire. Elle est atteinte d’une maladie du système nerveux qui la rend inapte au travail. Sa situation financière est précaire. L’équipe qui l’entoure l’aide avec son couple, la soutient psychologiquement, répond à ses questions. « Sans cette aide, je ne sais pas si ma fille serait encore avec moi aujourd’hui. J’ai beaucoup travaillé sur moi-même », souligne-t-elle.

« Nancy va A1. Elle est vraiment motivée », observe Emmanuelle Lefebvre, qui la suit depuis sa 20e semaine de grossesse. La nutritionniste fait de même avec une cinquantaine de mamans qu’elle rencontre à domicile chaque mois. « Quand ils nous ouvrent leur porte, nécessairement, il y a un respect qu’on leur doit. Ils nous voient comme étant moins menaçants. »

Cette approche permet aussi de détecter d’autres difficultés et de trouver des pistes pour aider. « On a des antennes. Dans un contexte de vulnérabilité, les enfants peuvent avoir des lacunes sur le plan du développement ou des carences sur le plan affectif. Parfois, on a besoin de travailler en psychologie pour créer un lien d’attachement. »

(Re)trouver une famille et une maison

Aucune méthode de référencement ne permet de trouver les femmes enceintes dans le besoin. Dans bien des cas, les médecins sont la porte d’entrée pour déterminer le contexte de vulnérabilité et diriger les mères vers les ressources existantes. Certaines tombent entre les mailles du système de santé, mais d’autres, sur une base volontaire, obtiendront du soutien, que ce soit au CLSC, à domicile ou dans des organismes indépendants, comme La Maison Bleue, qui présente un modèle de soutien périnatal innovant.

La Dre Vania Jimenez, qui est à l’origine de ce projet, a derrière elle une longue pratique d’accouchements et de suivi postnatal. Frustrée d’accoucher des bébés et d’en perdre ensuite la trace, elle a mis sur pied, avec sa fille Amélie Sigouin, le concept de La Maison Bleue, où une équipe interdisciplinaire, composée de médecins, de sages-femmes, d’infirmières, de travailleuses sociales, d’éducatrices et de psychoéducatrices, entoure la famille et le petit être en développement jusqu’à ses 5 ans.

« On ne peut pas le faire tout seuls, nous, les médecins. On a besoin d’une équipe pour donner le meilleur à ce bébé », soutient la médecin. La force de ce système passe par le groupe : celui formé par les intervenants, mais aussi par les mamans. « On aide ces femmes et ces familles à se rebâtir un réseau, parce qu’il y a beaucoup d’isolement qui vient avec la vulnérabilité. »

« Je veux que ma fille puisse se dire que sa mère a connu des difficultés dans sa vie, mais qu’elle s’en est sortie. » 

— Christine René, maman d’un bébé de 3 mois

La première Maison Bleue a vu le jour dans Côte-des-Neiges il y a 10 ans. Deux autres se sont ajoutées depuis, et des projets sont en cours dans des quartiers où les besoins sont criants.

Dans ces ports d’attache sécurisants et chaleureux, des mères vont et viennent avec leur petit comme on le ferait chez soi. La Maison Bleue est souvent le premier endroit où elles viennent présenter leur nouveau-né. C’est dans cet établissement que Christine René a trouvé une seconde famille, elle dont le clan est dispersé entre l’Ontario, les États-Unis et Haïti, d’où elle a émigré à 14 ans.

En plein burnout lorsqu’elle est tombée enceinte à 30 ans, Christine René a été dirigée vers l’organisme de Côte-des-Neiges, qu’elle fréquente maintenant chaque semaine avec sa fille de 3 mois. « Quand on se sent désemparée, on a besoin de se ressourcer, de se sentir entourée, soutient-elle. C’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Je me suis retrouvée avec d’autres femmes qui traversaient des périodes difficiles. Je n’étais pas seule. »

Dans ce cri à l’aide que chacune lance à sa façon, il y a des femmes courageuses, à la découverte d’elles-mêmes, relève-t-elle. Cette porte qui leur est ouverte est une voie qui leur permet de rêver de mieux. D’acquérir les outils afin de voler de leurs propres ailes aussi. Même si c’est à contrevent.

Des effets concrets

« Comme société, on a intérêt à mettre en place les meilleures conditions pour que les mamans puissent vivre leur grossesse dans les circonstances les plus favorables au développement de leur enfant », affirme la directrice de l’Observatoire des petits, Fannie Dagenais.

Avec un coût de 543 $ par bébé, la Fondation OLO permet notamment d’économiser de 600 à 700 $ en coûts d’hospitalisation dus à des problèmes de santé liés au faible poids, démontre une étude du département des sciences économiques de l’UQAM menée par Catherine Haeck et Pierre Lefebvre.

Selon les données du rapport sur les impacts de La Maison Bleue, les enfants qui ont bénéficié des services de l’organisme ont des indicateurs de santé supérieurs à la moyenne montréalaise alors qu’ils évoluent dans des contextes de vulnérabilité. La proportion de bébés de petit poids à la naissance y est de 3,9 %, alors que Montréal affiche un taux de 5,6 %. Les naissances prématurées et le taux d’allaitement à la sortie de l’hôpital sont de 5,7 % et 94,9 %, comparativement à 6,7 % et 79,3 % pour Montréal.

Les tout-petits en chiffres

- 12,3 % des enfants de 0 à 5 ans vivent dans une famille à faible revenu (2015)

- 8,7 % des bébés québécois sont nés avec un retard de croissance (2011-2013)

- 7,3 % des bébés sont nés prématurément (2011-2013)

- 5,9 % des bébés sont nés avec un faible poids (moins de 5,5 lb) (2011-2013)

- Les tout-petits représentent 6,4 % de la population québécoise (2016)

Source : Portrait de l’Observatoire des tout-petits

Des ressources

La Maison Bleue

La Fondation OLO – 1000 jours pour savourer la vie

Le Dispensaire diététique : l’organisme intervient par la nutrition sociale auprès de femmes enceintes en situation de vulnérabilité

Réseau des centres de ressources périnatales du Québec

Programme SIPPE, par l’entremise des CLSC et intervenants en santé

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