Éditorial FRANÇOIS CARDINAL

Mode de scrutiN Pas de réforme sans référendum

Il n’y a pas que le Parti vert qui est passé tout près de gagner cette semaine à l’Île-du-Prince-Édouard. À la faveur d’un référendum qui se tenait parallèlement aux élections, la réforme du mode de scrutin a elle aussi frôlé la victoire en arrachant 49,5 % d’appui.

Ce résultat serré (qui a quelque chose d’étonnamment familier pour nous au Québec), devrait faire réfléchir le gouvernement Legault, qui souhaite lui aussi modifier le système électoral. Car il montre que la population était divisée sur la question, et surtout, que l’élection référendaire était tout indiquée pour la trancher.

L’Île-du-Prince-Édouard a compris l’évidence : on ne peut pas imposer des changements aux fondements du système démocratique sans demander aux électeurs ce qu’ils en pensent !

Et pourtant, voilà précisément ce que compte faire la ministre responsable du Secrétariat à la réforme des institutions démocratiques, Sonia LeBel, qui a rejeté l’idée de tenir un référendum avant de modifier le mode de scrutin.

La raison ? Ce n’est pas tout à fait clair…

« C’est suffisamment important pour que l’on consulte la population », a reconnu la ministre au mois de février… « mais je ne pense pas, et nous ne croyons pas à ce stade-ci que le référendum est la façon de consulter la population ».

Surtout, a-t-elle précisé, que toutes les formations politiques représentées à l’Assemblée nationale sont favorables à une telle réforme, sauf une.

Or n’est-ce pas justement parce que tous sont d’accord « sauf un » qu’il faut un référendum ?

Dans un monde idéal, entendons-nous, un changement aussi fondamental à notre système représentatif se ferait à l’unanimité des partis.

Mais bon, c’est parfois impossible, comme le montre l’opposition obstinée du Parti libéral du Québec à toute modification du mode de scrutin. Et il est vrai, comme l’a déjà souligné François Legault, que s’empêcher d’agir en raison du refus d’une formation revient, de facto, à lui accorder un droit de veto.

Donc, que faire ? Un référendum, justement.

Pour avoir la légitimité de modifier en profondeur les fondements de notre système démocratique, il faut avoir l’assentiment des représentants de la population… sans quoi, on doit se référer à cette même population.

Bien beau rappeler qu’il y a eu une entente transpartisane favorable à l’ajout d’éléments de proportionnelle et que plus de 70 % des électeurs ont appuyé les formations qui en étaient signataires (CAQ, PQ, QS). Mais la réforme du mode de scrutin n’a pas été l’un des grands enjeux de la campagne. Et donc, on ne peut pas dire que plus des deux tiers des électeurs sont pour une telle réforme.

Surtout que le débat sur les implications du système proportionnel n’a pas vraiment eu lieu. Qui, à part les experts, peut prétendre comprendre les implications du « système proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales » ? Ou même comment il fonctionne ?

C’est vrai qu’il y a d’excellents arguments pour passer à un tel système mixte, qui apporte une plus grande représentativité que le mode uninominal à un tour. Vous éliminez, par exemple, la distorsion qui donne 100 % du pouvoir à un parti qui récolte 37 % du vote, comme la CAQ l’an dernier. Vous permettez aux petites formations qui comptent systématiquement plus de votes que de sièges de prendre leur place, comme Québec solidaire.

Mais ce dont on ne parle à peu près jamais, ce sont les arguments tout aussi bons contre un système mixte compensatoire : un système plutôt compliqué qui mène à des gouvernements minoritaires en plus d’ouvrir la voie à des partis plus idéologiques, voire radicaux.

« Ce n’est pas l’enfer, comme le souligne bien le politicologue Louis Massicotte, expert de la question à l’Université Laval. Mais ce n’est pas le paradis non plus. »

D’où la nécessité d’en débattre collectivement. De se demander, par exemple, si on veut créer deux classes de députés, certains élus et d’autres choisis sur une liste. Si on est prêt à des coalitions dont les assises sont négociées derrière des portes closes. Si on souhaite renoncer à des gouvernements stables, qui ont la marge de manœuvre pour prendre de grandes décisions. Bref, si on préfère être bien représentés plutôt que bien gouvernés.

Curieusement, les partisans de la proportionnelle, qui parlent constamment de consultations et de référendums d’initiative populaire, ne veulent pas qu’on débatte de tout ça dans le cadre d’une consultation référendaire. Tout simplement parce qu’ils craignent de la perdre.

C’est un risque, en effet. Mais un référendum peut aussi être gagné. On a vu en Colombie-Britannique en 2005 qu’il est en effet possible de convaincre une majorité d’électeurs de la pertinence de la proportionnelle (57,7 %).

La province de l’Ouest avait choisi à l’époque de fixer le seuil de la victoire à 60 % ; donc la réforme n’est pas passée.

Mais si, au Québec, tous les partis sont pour sauf un, il serait tout à fait légitime de placer la barre d’un référendum gagnant à 50 % + 1. 

L’objectif serait simplement de valider l’assentiment d’une majorité.

La CAQ entend déposer un projet de loi en vue d’une réforme du mode de scrutin l’automne prochain. Fort bien. Mais sachant qu’il est probablement trop tard pour modifier le système dès 2022, ce projet de loi pourrait constituer la base d’une consultation référendaire qui se tiendrait en même temps que ces élections, comme à l’Île-du-Prince-Édouard.

Il faut être le plus démocratique possible pour changer les fondements de notre système démocratique.

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