Chronique

La parité sans pitié

Si la tendance se maintient, il faudra attendre l’an 2234 pour que l’égalité hommes-femmes soit atteinte dans le monde. Veuillez donc patienter, mesdames. Et arrêtez donc de toujours vous plaindre pour rien ! Il ne vous reste que 216 ans à attendre avant que la femme soit l’égale de l’homme… C’est quoi, 216 ans, dans une vie ?

Cette prédiction n’est pas la mienne, mais celle du rapport annuel sur la parité du Forum économique mondial, qui souligne que, pour la première fois en 10 ans, les inégalités hommes-femmes se sont accentuées en 2017. Même chez nous, dans une société où il y a eu d’importances avancées, c’est loin d’être gagné. Le Canada, qui est au 16e rang mondial, peut certainement faire mieux.

Je suis de nature plutôt patiente. Mais deux siècles pour obtenir l’égalité, j’avoue que je trouve ça un peu long. C’est la raison pour laquelle je suis en faveur de mesures qui permettraient d’appuyer sur l’accélérateur de la parité. Trop de vents contraires nous indiquent que ça n’arrivera pas tout seul.

Je vous parle de parité parce qu’il en a été question dimanche à Tout le monde en parle. Après les propos controversés de Louis-Jean Cormier (qui a fait son mea-culpa par la suite), c’était au tour de la comédienne et réalisatrice Sophie Lorain de relancer le débat en répondant à une question à ce sujet. « Je vais être bête, mais la parité, j’en ai rien à cirer. J’ai pas besoin d’une parité, parce que je trouve ça condescendant. J’ai pas besoin de votre pitié », a-t-elle déclaré.

Sophie Lorain n’a fait que dire tout haut ce que bien des gens, incluant beaucoup de femmes, pensent de la parité ou plutôt de l’image, erronée à mon sens, qu’on tend à s’en faire. Au fil des controverses autour de ce sujet, on constate que les mêmes craintes et les mêmes mythes refont toujours surface. C’est peut-être l’occasion pour les partisans de la parité de mieux expliquer les choses et de dissiper un certain nombre de mythes.

Un des mythes les plus répandus voudrait que la parité fasse passer le sexe d’un candidat avant ses compétences. Ce serait comme dire aux femmes : « Vous n’êtes pas assez bonnes. Mais parce que vous êtes une femme, nous avons pitié de vous et nous vous faisons une faveur. Nous vous réservons une place que vous ne méritez pas vraiment. »

Le fait est que la parité n’est pas du tout une question de pitié, mais une question d’égalité. Il ne s’agit pas de favoriser des incompétentes en jupe, mais plutôt de reconnaître que le système actuel met un certain nombre d’obstacles sur le chemin des femmes tout à fait compétentes, ce qui fait en sorte que l’on se prive de leur talent. D’où l’importance de faire un effort – en ayant recours parfois à des quotas, par exemple, ou à d’autres mesures – pour lever ces obstacles.

Il y autant de femmes que d’hommes à l’Union des artistes (49 % contre 51 %). Comment expliquer alors que le revenu moyen des femmes représente 75 % de celui des hommes (selon un rapport de Réalisatrices équitables) ? Pense-t-on vraiment que tout ça est jugé au mérite et que les femmes n’ont que 75 % du talent des hommes ?

Vous êtes pour qu’on choisisse les candidats au mérite ? Moi aussi. Qui ne l’est pas ? Le fait est que, dans bien des domaines, le système ne favorise pas ceux qui ont le plus de mérite, mais bien ceux qui ont le plus de privilèges et qui sont dans le bon réseau. En ne remettant jamais en question le mode traditionnel de recrutement, ce n’est pas tant le mérite qu’on met à l’honneur que des habitudes et des traditions qui tendent à laisser de côté les femmes. Que certaines femmes, souvent privilégiées, réussissent sans avoir bénéficié d’aucune mesure paritaire n’efface pas la discrimination systémique à laquelle se bute la majorité d’entre elles.

Vous êtes contre les quotas ? Moi aussi, dans un monde idéal où l’égalité serait atteinte, je serais contre. Mais le fait est que, en ce moment, tant dans les cercles du pouvoir que dans le monde culturel, on est encore loin de l’égalité. Le fait est aussi, comme l’écrit Pascale Navarro dans son percutant plaidoyer pour la parité (Femmes et pouvoir : les changements nécessaires, Leméac, 2015), que, d’une certaine façon, les hommes bénéficient déjà de quotas par défaut.

Tous ceux qui demeurent sceptiques quant au bien-fondé de la parité, qui croient que les quotas discréditent les femmes ou qu’ils sont une forme de favoritisme devraient d’ailleurs lire cet essai de Pascale Navarro dont j’avais déjà parlé au moment de sa sortie. Si l’auteure y parle principalement de l’importance d’atteindre la parité dans les cercles du pouvoir, ses explications claires et posées, qui déboulonnent les mythes les plus répandus sur le sujet, valent aussi pour d’autres domaines où les femmes doivent affronter des obstacles systémiques.

L’essai de 90 pages se lit en moins de deux heures. En échange de deux siècles d’attente dans l’antichambre de la parité, ça vaut la peine…

Discrimination systémique : 

« À cause de traditions et d’une histoire dans lesquelles le pouvoir a été exercé par les hommes, le système dans lequel nous vivons s’est établi d’une manière particulière qui leur donne certains avantages (salaires plus élevés, avantage de pouvoirs de décision, autorité). En raison de ce système, les femmes ont été tenues à l’écart de divers aspects de la vie sociale. Cela ne veut pas dire que les hommes le souhaitent ni que les femmes s’en satisfont. Un système peut se transformer quand on prend les mesures pour y arriver. »

Parité femmes-hommes : 

« Elle est atteinte au sein d’une instance décisionnelle quand femmes et hommes sont présents dans une proportion de plus ou moins 40 à 60 %. C’est ce qu’on appelle une “zone de parité”. »

(Source : petit glossaire personnel de Pascale Navarro. Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Plaidoyer pour la parité. Leméac, 2015)

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