Soins palliatifs pédiatriques

BERCÉS JUSQU’AU DERNIER SOUFFLE

Tous les enfants n’ont pas la chance de grandir et d’atteindre l’âge adulte. Chaque année, près de 1000 enfants meurent au Québec. Depuis 10 ans, l’offre de soins palliatifs pédiatriques s’organise, s’améliore, mais l’accessibilité demeure inégale. Les idées préconçues perdurent et les ressources manquent. Des familles nous ont donné un accès privilégié à leur quotidien.

UNE SÉRIE DE SOPHIE ALLARD ET D'ALAIN ROBERGE

Félix Patenaude-Paiement

Ce sera mon dernier Noël

Saint-Lin-des-Laurentides — Après 11 ans de rémission, la tumeur est revenue, grosse comme un jaune d’œuf. Elle s’est logée derrière ma tête, à la base du cervelet. Les médecins ne peuvent plus rien pour moi, ils me l’ont annoncé il y a trois ans. J’avais 15 ans. Ils me donnaient six mois à vivre. Je suis toujours là, ma vie en suspens. Aujourd’hui, j’ai 12 tumeurs et j’attends la mort.

Je n’ai pas peur, je ne suis pas triste. Je côtoie la mort depuis toujours. J’étais bébé, à peine 8 mois, quand j’ai reçu un premier diagnostic de cancer du cerveau. Ma mère raconte que je pleurais sans arrêt. Je ne dormais pas, je vomissais beaucoup. J’étais de moins en moins solide. C’était le cancer. Si on n’intervenait pas rapidement, je mourrais dans la semaine.

J’ai subi une lourde opération au cerveau. J’avais à peine 25 % de chances d’en sortir vivant. Ils ont dû retirer des vertèbres cervicales, les remettre, les souder avec des micro-vis, des plaques. J’ai été hospitalisé trois mois, la mort toujours rôdant. J’ai survécu, mais j’en ai gardé des séquelles. Aujourd’hui, mon cou craque facilement. Je l’entends si fort. Chaque fois, j’ai l’impression qu’un arbre s’effondre en moi.

À l’âge où l’on babille encore, j’ai commencé la chimio. J’avais 14 mois. C’est petit, non ? Au bout de deux ans, j’étais en rémission. La pause a été de courte durée, un bref intermède. Une nuit, je me suis réveillé en pleurant. Un cauchemar ? J’ai vu sur le mur de ma chambre une silhouette éclatante de lumière, un homme de figure blanche. Il m’a dit : « Je viens te chercher bientôt ». La tumeur avait triplé de grosseur en trois semaines ; je l’avais rêvé, je l’avais senti.

Jade pour toujours

À l’hôpital Sainte-Justine, nous étions plusieurs enfants à recevoir des traitements en même temps. Je suis le seul survivant de ce groupe d’amis, tous sont morts. Ma meilleure amie, Jade, a été la dernière à partir, il y a six ans. Elle avait 10 ans.

La dernière fois que je l’ai vue, c’était un vendredi à l’hôpital, quelques jours avant sa mort. On a jasé, joué. Elle était en rechute et devait reprendre les traitements dans la semaine. Le dimanche, elle a joué au hockey, elle a gardé les buts d’un bout à l’autre du match, elle pétait le feu. Le mercredi, elle est décédée.

J’étais à l’école quand elle est morte. Je l’ai tout de suite su, comme si elle était venue me saluer. Encore aujourd’hui, je la sens tout près de moi. Je porte un médaillon avec son prénom gravé dessus. Je ne m’en sépare jamais, sauf quand ma mère doit le laver.

Le même sort que Jade m’attend, je le sais. Mais la nature n’est pas assez rapide pour moi. Chaque soir, je me couche en me demandant si je serai encore vivant au matin. Je n’ai pas peur, je ne suis pas triste. Mais j’ai beaucoup de colère. Contre les tumeurs, contre tout ce qu’elles détruisent en moi, autour de moi.

Pas de bal, pas de tuxedo

En juin, mes copains de classe ont obtenu leur diplôme. Mon ami Jack y était. Pas moi. Je devais être à ses côtés et fêter avec lui, on se l’était juré. Je serais allé chercher mon diplôme, j’aurais assisté au bal des finissants, on aurait tout vécu ça ensemble. J’aurais porté un nœud papillon, un tuxedo noir et une chemise blanche. J’imagine un look classique.

Mais le cancer a frappé de nouveau, une troisième fois. Les couloirs d’hôpital ont remplacé les corridors d’école. Une douleur soudaine a traversé mon cou. J’étais en classe. Je ne pouvais plus parler, j’avais de la difficulté à respirer. Effrayés, les élèves autour de moi pleuraient. J’avais eu des maux de tête, des sueurs, mais je n’en avais pas parlé. Comme si, par mon silence, je pouvais conjurer le mauvais sort. Je voulais assister au bal, je voulais devenir développeur de jeux vidéo. Je voulais une vie, normale.

Des fois, j’imagine ma vie sans cancer. Ça m’arrive souvent d’y rêver la nuit. J’aurais plein d’amis avec qui je pratiquerais des sports, comme le hockey, le baseball, le football. Peut-être la course automobile. À mon âge, on étudie, on travaille, on fait le party, on parle d’avenir… Je me vois plutôt dépérir.

Comme un vieillard

J’ai un suivi régulier à l’hôpital, avec l’équipe des soins palliatifs. Ils sont ma deuxième famille. Ils me parlent sans détour de ce qui s’en vient, me questionnent sur ce que je souhaite, ou pas. Ils nous soutiennent, les gens de Leucan aussi.

J’ai une pilule pour chaque bobo – 21 au total – que je consomme en plusieurs cocktails quotidiens. C’est ce qui me donne cet air joufflu, enfantin. C’est ce qui me cause des problèmes de vessie et de foie, qui assèche ma bouche, qui m’embrouille l’esprit.

La chimiothérapie palliative, pour stabiliser mon état, n’a pas fonctionné. Les tumeurs continuent de grossir et le cancer se répand. J’ai perdu l’usage de mes jambes. Je commence à perdre celui de mes mains. Elles sont de plus en plus faibles, souvent engourdies. Ma mère me les masse souvent. Elle me douche aussi. Comme si j’étais un vieillard.

Je dois maintenant dormir en position assise sinon je perds la vue. J’ai maintenant de l’eau sur les poumons, j’ai de plus en plus de difficulté à respirer. J’aurai sûrement des pneumonies difficiles à soigner, m’a-t-on prévenu. Parfois, la tumeur se déplace et me cause de terribles maux de tête, me paralyse complètement. Ça finit par passer. Mais je suis fatigué, de plus en plus fatigué.

Ma famille, mon trésor

J’attends. Je tourne en rond dans la maison, mon fauteuil roulant comme une prison. Ma demande de subvention pour une porte à ouverture automatique a été contestée. Sortir seul sur le balcon m’est impossible. C’est connu, les mourants n’ont pas besoin d’air frais ! Me baigner, sentir mon corps flotter ? À quoi bon ! Un lève-personne pour la piscine m’a aussi été refusé. Je ne rêve pas de nager avec des dauphins, de rencontrer mon acteur favori Johnny Depp ou de faire un tour de fusée. Je rêve de me sentir vivant.

Je m’évade dans mes jeux de course automobile, à l’écran. Ça me distrait de ma douleur, de l’ennui. Je passe presque tout mon temps dans ma chambre, au rez-de-chaussée. J’aime jouer à deux, avec mon frère Mathias. À ma mort, je vais lui donner tous mes jeux et mes profils. À ma sœur Annaëlle, je donnerai de l’argent même si on se chicane souvent. Va-t-elle s’acheter des vêtements ? Se payer un iPhone ?

Ma famille est ce que j’ai de plus précieux. J’ai des beaux souvenirs de camping, de notre voyage à Disney. Quand nous sommes tous collés sur le sofa à regarder des films, comme Pirates des Caraïbes, je me sens choyé, aimé. Ma petite sœur Éléonore, 2 ans, est mon rayon de soleil. Quand elle est à mes côtés, à l’hôpital, j’ai le cœur léger.

Est-ce que je serai là quand elle fera son entrée à la maternelle ? Je ne crois pas. Ce sera mon dernier Noël, mon dernier anniversaire. Je sais que, bientôt, j’en aurai assez d’endurer le mal. Aurai-je droit à l’aide médicale à mourir ? On me l’a refusée une première fois, je suis trop jeune. Je n’ai pas peur. Je ne suis pas triste. Et j’aimerais ne plus être en colère.

Je rêve de mourir, serein, entouré de ma famille. Jade à mes côtés.

*Un merci spécial à la maman de Félix, Mélanie Patenaude, et à Sylvie Cantin de Leucan, sans qui ce témoignage aurait été impossible.

* Propos recueillis et adaptés par Sophie Allard

Adoucir le parcours

Sur un bout de papier mauve, Mia*, 8 ans, a dessiné un cœur souriant, auréolé et muni de grandes ailes. « Je suis prête à devenir un ange… je veillerai sur vous », a-t-elle dit. De son côté, Sarah, 11 ans, a demandé un congé d’hôpital pour concocter un gâteau et se procurer une robe. La robe qu’elle portera à son enterrement.

Au Québec, près de 1000 enfants et adolescents meurent chaque année. Près de la moitié d’entre eux s’éteindront avant leur premier anniversaire. Certains décès sont subits, imprévisibles, tandis que d’autres surviennent après une longue maladie. « On ne devrait pas survivre à nos enfants. Ce n’est pas dans l’ordre des choses », confie Pierre-Luc Duchesne. Son fils Roméo, 9 mois, a une espérance de vie réduite. Le décès d’un enfant secoue, ébranle, dévaste.

Depuis une dizaine d’années, l’offre de soins palliatifs pédiatriques s’organise au Québec afin d’adoucir le parcours de ces enfants migrateurs et d’épauler leurs parents. « Nous les accompagnons jusqu’au bout de la vie, et non pas vers la mort », insiste Julie Laflamme, pédiatre en soins palliatifs au Centre mère-enfant du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), à Québec. L’enfant est soigné dans sa globalité, en tenant compte des besoins biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels.

En 2006, le Québec a été la première province à adopter des normes spécifiques afin d’encadrer les soins palliatifs pédiatriques. En milieu hospitalier, ces soins sont chapeautés par de petites équipes au CHU Sainte-Justine, à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill, au CHU Sherbrooke et au CHUL. Ces experts jouent le rôle de conseillers auprès des pédiatres et médecins de famille en régions.

La pratique demeure récente, encore méconnue. Les fausses idées circulent dans la population, mais aussi parmi les soignants. « Certains nous voient comme des messagers de la mort, ils pensent que nous sommes une médecine d’abandon », déplore Nago Humbert, docteur en psychologie médicale et chef de l’unité des soins palliatifs pédiatriques au CHU Sainte-Justine.

« Certains parents réagissent tellement fort, ils ne veulent rien savoir. C’est comme si ça confirmait qu’il y avait une fin. Mais leur enfant est bien vivant et on peut l’aider », dit Sylvie Cantin, conseillère au service de fin de vie et de suivi de deuil à Leucan.

De récentes études le confirment : une prise en charge efficace diminue l’anxiété avant le décès, réduit le nombre d’hospitalisations et de recours aux soins intensifs et réduit les complications chez les proches endeuillés.

Pas un adulte miniature

Les soins palliatifs pour les enfants sont bien distincts de ceux prodigués chez l’adulte. « L’enfant n’est pas un adulte miniature, insiste M. Humbert. Nous sommes souvent présents dès le diagnostic d’une condition potentiellement mortelle ou d’une maladie dégénérative. On accompagne des familles pendant des années, on inclut la fratrie aussitôt que possible. On aide à la prise de décision selon l’évolution de la maladie. Il n’y a pas de coupure nette entre le curatif et le palliatif, comme on le voit chez l’adulte. »

Les experts en soins palliatifs ne se substituent donc pas à l’équipe soignante, mais agissent plutôt de concert avec elle, comme des consultants, sans lieu défini. « Ce serait terrible si on se pointait comme ça, subitement, à l’annonce d’une phase terminale, et qu’on soignait ces enfants à l’écart », dit M. Humbert. Quelques chambres sont néanmoins réservées à la clientèle de soins palliatifs.

« Depuis une vingtaine d’années, on fait un travail énorme pour soulager l’enfant, pas juste en fin de vie, mais pendant tout son parcours, lors d’une ponction lombaire, d’une prise de sang, de l’introduction d’une sonde urinaire, d’une biopsie », explique Claude Cyr, pédiatre et responsable des soins palliatifs pédiatriques au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. « Tantôt on fait des tours de magie, tantôt on donne du fentanyl. »

« Le contrôle de la douleur et la gestion des symptômes sont une grosse partie de notre travail, confirme Stephen Liben, pédiatre et chef des soins pédiatriques avancés à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Si un enfant est souffrant, il ne sera pas réceptif à son entourage et se fermera sur sa douleur. » Le maintien à domicile est préconisé, quand la condition le permet. « Les enfants préfèrent être à la maison, auprès de leurs frères et sœurs, avec leurs jouets, ils veulent aller à l’école. »

Paroles d’enfants

« Auprès des enfants en fin de vie, il y a une intensité qu’on ne retrouve pas ailleurs, avance Hélène Lévesque, directrice des soins à la Maison André-Gratton du Phare. Un enfant peut courir, et le lendemain, il n’est plus là. Je me rappelle cette fillette, très mal en point, qui tenait à terminer son dessin. Elle est morte juste après. On dit souvent que les enfants meurent debout. Ils vivent et s’amusent jusqu’au bout. »

« Mes patients m’ont enseigné qu’il est possible d’être heureux et mourant, dit le Dr Cyr. Une bonne mort chez un enfant, c’est quand on a pu réduire la souffrance, quand on a pu voir venir le décès, en parler, et que l’enfant s’éteint, entouré de ses proches. »

Bien des enfants sont conscients de leur mort imminente. « Il ne faut pas penser qu’ils sont sereins d’emblée. Ils ont la chienne. Ils ont peur d’être tout seuls, de s’ennuyer, d’avoir faim, d’avoir froid, de faire pleurer leurs parents, dit le Dr Cyr. L’importance de parler de la mort avec les enfants, c’est avant tout celle d’écouter leurs inquiétudes, de les rassurer, sans les brusquer, sans leur mentir. »

Selon leur âge, les enfants ont aussi des préoccupations qui leur sont propres. Est-ce qu’il y aura de la lumière dans le cercueil ? Est-ce que ça fait mal de mourir ? Qui s’occupera de ma souris ? Est-ce que je retrouverai grand-maman ? « La communication est souvent une façon d’amenuiser l’anxiété, poursuit le Dr Cyr. J’ai parfois à expliquer la mort à des enfants trisomiques, ou ayant une déficience intellectuelle, ils ont un univers psychique beaucoup plus complexe qu’on pense. On échange par le jeu ou le dessin. »

C’est à l’adolescence que la perception de la mort est reçue avec le plus de souffrance, estime Nago Humbert. L’adolescent a la capacité de se projeter dans l’avenir. Il doit faire le deuil de tous ses projets, ses rêves. Il vit de la colère, de la honte, un grand sentiment d’injustice. « À l’adolescence, on veut un corps de rêve. On se sent invincible, on titille la mort avec les sports extrêmes. » Des ados réagissent en se retirant. D’autres s’éclatent, vivent une première relation sexuelle, font de la plongée à Hawaii, fument un joint.

Laisser sa trace

Une grande crainte revient chez les petits comme chez les grands, celle d’être oublié. « Cette peur est très forte, bien réelle. Ce sont nos patients qui nous l’ont dit au fil des ans. C’est important d’en tenir compte, de les aider à se préparer, à bâtir un héritage, à laisser une trace », dit Hélène Roy, pédiatre en soins palliatifs au Centre mère-enfant du CHUL. Inspirée, Rosie, 12 ans, a écrit un mot de la fin pour chaque membre de sa famille. Loïc, 14 ans, a préparé une amusante notice nécrologique.

Au Centre mère-enfant du CHUL, on propose depuis 2009 diverses activités afin de cultiver la mémoire : le moulage des mains, des photos de famille loufoques, la confection d’œuvres artistiques. « Ce n’est pas morbide, au contraire, affirme la Dre Laflamme. Ce sont des activités plaisantes à faire, qui créent de beaux moments. Il en reste un souvenir tangible. Les parents, les frères et sœurs disent que ça les aide. »

Cependant, le luxe du temps n’est pas toujours donné. « Il nous arrive d’être appelés d’urgence aux soins intensifs, le cheminement doit se faire en quelques heures. Notre intervention est express », dit la Dre Laflamme. Même quand le décès est subit, les soins palliatifs pédiatriques aussi ont leur importance, insiste le Dr Cyr. « À l’urgence, les parents sont désormais admis en salle de réanimation. Quand on a tout tenté pour sauver un enfant, noyé ou frappé par une voiture, il meurt généralement dans les bras de ses parents. Ça a impliqué tout un changement de culture dans nos hôpitaux. Mais c’est un immense réconfort pour les parents qui savent que leur enfant n’est pas mort seul. »

* Certains prénoms ont été modifiés.

Une volonté de faire mieux

Dans le cadre de la Politique en soins palliatifs de fin de vie, en 2006, le Québec a adopté des normes spécifiques aux soins palliatifs pédiatriques. « Le souhait était de promouvoir une offre de soins palliatifs de qualité partout au Québec, et ce, pour tous les enfants qui risquent de mourir avant 18 ans. L’offre n’était pas homogène à travers la province », rappelle le Dr Claude Cyr, responsable des soins palliatifs pédiatriques au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Sherbrooke.

Onze ans plus tard, l’objectif n’est pas atteint. « Il se fait de belles choses, plusieurs médecins sont sensibilisés. Mais il y a encore des enfants qui meurent sans être accompagnés dans les salles d’urgence, d’autres qui décèdent dans des unités de soins aigus sans qu’on ait discuté de fin de vie avec eux ou leur famille », déplore le pédiatre.

D’autres enfants sont maintenus en vie contre la volonté de leurs parents, et ce, même si le refus de traitement est officiel, couché sur papier. « Dans les urgences périphériques, ils vont généralement tout faire pour les sauver et on les reçoit tout intubés, alors que les parents ne voulaient pas ça », déplore Nago Humbert, chef de l’unité de soins palliatifs du CHU Sainte-Justine.

« Dans l’idéal, on aurait déjà répondu à ces normes. C’est un défi au quotidien, on a encore beaucoup à faire, indique la Dre Hélène Roy, pédiatre en soins palliatifs du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), à Québec. Quand on contacte un CLSC pour obtenir du soutien à domicile pour un petit patient, on nous demande un pronostic précis. Jamais on n’accepte, c’est trop imprévisible. Un enfant mourant peut jouer au PlayStation jusqu’au dernier moment. » Une maison de soins palliatifs pour adultes a refusé un adolescent en fin de vie parce qu’il avait mangé du Subway la veille, raconte-t-elle. « Il ne semblait pas assez malade. »

Au Québec, les soins palliatifs chez l’adulte sont offerts lorsque la fin de vie est prévue dans un délai d’environ trois mois. Chez l’enfant, il devrait en être autrement, souligne M. Humbert. « Pourtant, certains CLSC refusent de prendre en charge un enfant si on ne garantit pas son décès dans les trois mois. » Devant cette rigidité, il lui arrive de tricher, admet-il.

« Il y a un manque de connaissances dans les régions. Comme il y a très peu de décès d’enfants, certains n’ont jamais été placés devant de tels cas », indique Hélène Lévesque, directrice des soins à la Maison André-Gratton du Phare. Son équipe travaille à mettre en place une formation à distance et une ligne d’assistance téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. « L’idée est de rapprocher les soins palliatifs du milieu de vie de l’enfant, où qu’il habite. Le communautaire a un rôle important à jouer. »

Le manque de ressources est flagrant, souligne la Dre Roy. « Les parents sont fatigués, ils demandent de l’aide pour du répit, du soutien pour les frères et sœurs, ou pour l’accompagnement à l’école. Ils n’ont rien. Ce n’est pas une bataille que les parents devraient mener. »

Le suivi de deuil pourrait aussi être amélioré, croit Nago Humbert. Certains parents passent entre les mailles du filet. « Un papa est entré un matin avec son fils à l’urgence. Il est ressorti à 16 h, sans enfant. Il s’est retrouvé seul sur le trottoir. Ça ne devrait jamais se passer comme ça. Les parents doivent être accompagnés après le décès. » Le deuil parental est le plus grand stress qu’un humain peut vivre, rappelle le Dr Cyr.

Une pratique innovante

Il y a dans le milieu une puissante volonté de faire mieux. Unique au Québec, la clinique externe de soins palliatifs pédiatriques du CHUL prolonge ses heures d’ouverture. Environ 150 familles y sont suivies. « Je pense qu’on arrive à réduire le nombre d’hospitalisations », dit la Dre Julie Laflamme.

Pour uniformiser la pratique au pays, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada offrira bientôt une formation de deux ans en soins palliatifs pédiatriques. L’annonce a été faite en juin 2017. « Les soins palliatifs chez l’enfant devraient être le souci de tous les médecins. Mais devant un questionnement éthique complexe, des symptômes réfractaires à gérer, des discussions difficiles, ils doivent pouvoir compter sur des spécialistes », indique le Dr Cyr.

« La pratique innove, évolue. On cherche toujours de nouvelles options pour soulager la douleur, dit la Dre Laflamme. On a réalisé un projet de recherche sur la médication transmuqueuse buccale. On dépose dans la joue une goutte de médication sous forme concentrée, au lieu d’opter pour une injection sous-cutanée. C’est rapide, non douloureux. On l’enseigne maintenant à nos résidents. » La relève est là, intéressée.

« On est dans la vie tout le temps. »

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