À VOTRE TOUR

Un deuil sans fin

Je souhaite témoigner de mon rôle auprès de ma mère de 73 ans qui vit en CHSLD et souffre de démence. L’expérience d’accompagner un proche continue au-delà du redouté hébergement permanent. Bien que les soins soient assurés par l’institution où est hébergé notre parent, notre rôle demeure prenant et les préoccupations, constantes. Que ce soit par les notes prises pour faciliter les interventions du personnel, par le souci de compléter les soins (pédicure, lavage de cheveux, hydratation de la peau, rangement des vêtements) ou par notre présence régulière, c’est une grande partie de notre vie qui continue de s’articuler autour de cette personne dont nous avons toujours la responsabilité.

À cela s’ajoute une gamme d’émotions, dont la peine de perdre une personne aimée, de ne pas en être reconnu, la culpabilité de ne pas en faire assez, la rage devant cette fin de vie gâchée et la peur que ça nous arrive aussi. C’est un processus de deuil sans fin. Accompagner un parent, dans ces conditions, nous sollicite à divers niveaux.

Un travail constant

D’abord, confrontés à la perte de l’autre, on se sent un devoir de mémoire et un besoin de sauvegarder des traces de son passé (photos, livres, papiers personnels). Un travail de tri nous incombe afin de témoigner de la vie riche qu’a connue ce parent qui s’efface et devient l’ombre de lui-même. Voir à ce que son souvenir déborde du carcan humiliant dans lequel l’enferme sa maladie anime souvent les membres de la famille.

Cette expérience de perte est difficile à apprivoiser ; il y a un travail constant à refaire. Émotivement, on passe par des phases de révolte, d’abandon ou de détresse. La personne est vivante, mais elle disparaît, s’éteint sans avoir prise sur sa réalité. À cela s’ajoute un sentiment d’isolement devant la mégastructure du CHSLD : le personnel est débordé et les familles ont du mal à avoir l’heure juste concernant les soins offerts à leur proche. Une inquiétude incessante taraude plusieurs familles : est-il au meilleur endroit ?

Le rôle d’aidant consiste aussi à veiller au bien-être concret de la personne hébergée en CHSLD : assurer un suivi régulier des effets personnels qui se perdent, coordonner les visites pour les échelonner durant la semaine, maintenir à jour les informations la concernant et les transmettre aux parents et amis, personnaliser le coin de chambre qui lui est alloué, l’accompagner aux rendez-vous médicaux, etc.

Dans le meilleur des cas, il peut ressortir de ce tourbillon une certaine valorisation du proche aidant. On sent parfois qu’on fait exactement ce qu’il faut et on est alors habité par un sentiment d’être compétent dans notre rôle. Souvent aussi, c’est l’impression d’être dépassé et découragé qui nous submerge. On vit de façon permanente avec le souci de ce proche qui nous préoccupe, même en dehors des visites qu’on lui fait.

C’est tout un défi d’adaptation que doivent relever les proches d’une personne atteinte d’une maladie dégénérative. Au-delà de l’aspect heurtant, certains trouvent du réconfort dans la relation avec la personne aimée en savourant les instants fugitifs de rencontres authentiques avec elle.

Dans mon cas, ma mère reste mon ancrage et j’ai encore besoin de me frotter à ce qu’il reste de sa présence.

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