Sachez ce que personne ne sait

À Paris, c'est l'accessoire archidécalé qui vient du bout du monde et qui a été créé par un designer totalement inconnu qui vous donne l'absolue certitude d'avoir le look de ceux qui font la mode. 

Jeudi après-midi. Lancement de la nouvelle collection de maquillage Lancôme en collaboration avec le créateur de mode Alber Elbaz, directeur artistique de la maison Lanvin. Nous sommes à deux pas du Louvres, dans une salle classée monument historique et qui sert de salle d'exposition pendant la Semaine de la mode à Paris.

Je suis en pleine retouche de maquillage quand la journaliste du Vanity Fair s’installe à mes côtés. Radar express. Des baskets. Un jean très ajusté. Une veste noire Zara et un sac à main Delphine Delafon (« le it bag à Paris en ce moment »). Elle porte un chignon fait « à l’arrache », et son visage est nu. « Je déteste le maquillage, pour moi, c’est une perte de temps », lance-t-elle en s’asseyant sur le tabouret de la maquilleuse au teint parfait, sourcils redessinés et lèvres rouge fluo. Elle porte un joli bracelet doré très large qui détonne avec son look 100 % parisien. Je lui demande où elle l’a pris. « C'est un designer de Shanghaï [elle murmure un truc inaudible, « gisunlsksam »]. Enfin. Il vit entre Shanghaï et Paris. J’ai oublié son nom. » Tout le monde s’extasie devant le bracelet du designer shanghaïen inconnu. Je souris.

J’ai appris en travaillant dans les hautes sphères des magazines de mode que moins on comprend ce que vous dites, plus on vous trouve intelligent. Il faut faire du name-dropping de haut niveau. Lancer des noms de marques genre « Abillaba » et le dire si vite et avec une telle assurance que votre interlocuteur, bien que très fort en la matière, pensera qu’il a manqué le lancement capital de l’année. Ensuite, vous ajoutez : « Vous savez ! » Il hochera la tête. Dès que vous serez parti, il fera son enquête. C’est comme ça. Une fois que vous avez compris que les Parisiens ne supportent pas de ne pas savoir, vous savez tout ce qu’il faut savoir (ce qui ne vous oblige pas à tout maîtriser). L’astuce ? Trouver des marques émergentes ou des techniques venues d’ailleurs, que ce soit une bague « carnivore » signée Anne-Lise Michelson ou un bijou de pied repéré à Saint-Barth sur les pieds des héritières Courtin-Clarins (Prisca, Jenna, Virginie et Claire). Vous savez ! Elles ont publié la photo sur Instagram. (Ah bon ? Vous ne les suivez pas ?)

Sinon, une couleur de vernis de la marque NailSation vendue au Bon Marché. Mieux. Une crème de la marque Royale Maroc que vous adoooooooorez et qu’un ami vous a rapportée d’une escapade au Royal Mansour de Marrakech, hôtel du roi du Maroc et adresse favorite d’Olivier Échaudemaison, directeur artistique maquillage chez Guerlain. Vous savez !

C’est aussi là que se trouve votre nouveau gourou, Abdel Kader. Le meilleur maître Teksal du Maroc, technique ancestrale d’ostéopathie-stretching enseignée de père en fils. Teksal comptera ici pour 150 points. Personne ne connaît. Pas même les Marocains. Et c’est là tout le charme de Paris. La possibilité de créer une tendance du jour au lendemain. Vous découvrez un chaman dans la forêt péruvienne. Vous revenez envoûté après une initiation chamanique. Illuminé ? Non. Vous y croyez. Vous lancez une marque de cosmétique « Aïny » avec des chants péruviens sacrés dissimulés dans les emballages. Perché ? Non. Vous devenez le secret bien gardé d’une personne influente. Dans une conversation, quelqu’un dit « Aïny », ce mot que personne ne comprend. Tout le monde hoche de la tête et tape en catimini sur Google « chaman-pérou-aïny ». Quelque temps plus tard, qu’est-ce que vous apprenez ? Le Vogue Paris sort un numéro spécial Pérou. Gros papier sur Aïny. Vous le saviez !

Le jour où vous comprenez que ces mots mystères sont le secret de ceux qui font les tendances de la mode, vous savez aussi que les mots inaudibles que vous murmurez ont le pouvoir d’incarner l'avenir de la branchitude internationale. Cela dit, c'est déjà foutu, car à partir du moment où vous l’avez lu, c'est déjà trop connu. Bienvenue à Paris !

Quelle sagesse ?

Un frère

Un frère. C’est toute une affaire, un frère! On ne pense pas, mon Dieu, j’ai un frère! Un frère, c’est acquis, c’est là depuis toujours. Un frère, ça a tout vu, ça connaît tout de toi, ça te devance, ça finit tes phrases, ça te devine, ça t’excuse presque, « ma sœur, j’ l’a connais par cœur! ».

Et tout ça est faux! 

Quelle folle illusion de penser que l’on connaît l’autre. Bien sûr, on a joué ensemble quand on était petit, mais pas tant que ça finalement! Je jouais avec mes amies de fille et mes cousines. Mon frère faisait pareil. On jouait au Monopoly et on se chicanait. Les garçons étaient mauvais perdants. Pas question que j’achète Park Place sans recevoir un p’tit coup de pied en- dessous de la table. Penses-tu que mon frère, comme tous les frères, aimait ça que je tienne la banque? Remarque, il avait peut-être raison. Mais pas pour Boardwalk qu’on appelait Broadway. Déjà, l’appel était là. Je visais Broadway et rien d’autre. Lui aussi.

C’est là que tout a commencé. On avait certaines choses en commun. Mais, il était le meilleur et moi je voulais qu’il me trouve la meilleure. Voyez-vous la nuance? C’est là que tout a commencé. Il était mieux parti dans la vie. Pas parce qu’il était le meilleur, mais parce qu’il était le premier. La maudite assurance du premier! T’as beau travailler toute ta vie à essayer de t’améliorer, de gagner des prix, d’être fine, tu n’es pas la première. Tu n’as pas ce qui fait toute la différence.

La deuxième est, comment dire, disons sympathique, attachante, souvent divertissante parce qu’obligée d’en mettre plus pour être remarquée. Être « sympathique » n’est pas un but dans la vie. Si tu as le moindrement l'ambition de faire des choses intéressantes, tu dois espérer un peu plus qu'être « attachante! ».

Ton frère s’en va étudier loin, très loin. On passe l’année à s’en ennuyer. On le voit deux fois par année. Les vacances d’été arrivent, on se retrouve tous au chalet, on joue au Monopoly et on se chicane!

On devient adulte, on fait toutes sortes de choses chacun de son côté. On se marie, parfois plus d’une fois. On divorce, on recommence, on fait des enfants. Les parents nous aident du mieux qu’ils peuvent, quand ils le peuvent et un jour ils partent se reposer, pour toujours. Nous voilà orphelins! Obligés maintenant d’essayer d’être des adultes responsables. Dieu sait qu’on essaie! Et la vie passe avec son lot d’épreuves que l’on n’avait pas prévues, ni souhaitées. Et ton frère est là quand tu tombes et tu n’es pas loin quand il se cache parce qu’il a trop mal. Les premiers sont plus discrets que les seconds quand le malheur arrive. C’est comme ça.

On vieillit. Un jour, tu l’appelles pour aller dîner, juste tous les deux. On ne sait pas trop par où commencer parce qu’on ne l’a jamais fait. On était trop occupé ailleurs. Des reproches montent. On décide, d’un commun accord, de ne pas aller là. On s’apprivoise, on se courtise. On ne se connaît pas ou si peu. Doucement, la confiance s’installe. Le temps a fait son temps! Le Monopoly prend le bord et on commence à se parler pour vrai. Des petites choses, rien de transcendant. Je le fais rire! Je n’en reviens pas.

Il m’envoie un courriel pour me dire qu’il s’ennuie de nos rencontres. On y prend goût! On se raconte ce que l’on fait, des nouvelles des enfants, des amis communs et les souvenirs remontent. On s’apprécie, on s’entend bien.

Il me prend doucement par le bras pour m’aider à marcher. J’ai mal à mon genou. Si gentil! Toute la tendresse du monde nous unit dans ces petits pas, de la voiture au resto. Tout à coup j’ai tant d’amour qui monte, pour lui, mon frère, ma mémoire, mon témoin, mon ami. Oui, mon ami!

Le dîner était doux. En me déposant chez moi, il me fait le plus beau des sourires. On s’embrasse et il me dit « on reprend ça bientôt?»

Oui, à bientôt, mon frère!

Biographie

Actrice québécoise de renom, Louise Latraverse a tenu l'affiche de nombreux films en plus de fouler la scène d'à peu près tous les théâtres de chez nous. Ici, elle partagera sa vision de la vie, son expérience, avec un soupçon d'humour et un brin de folie.

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