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Le masculin ne l’emporte plus sur le féminin

C’est dans l’air du temps. Et le journal étudiant de l’UQAM vient de l’officialiser : masculin et féminin sont désormais égaux devant les lois de la grammaire au Montréal Campus. Explications et analyse, en quatre temps.

Féminisation 101

« L’égalité l’emporte », titrait l’éditorial du Montréal Campus lundi. En clair, par souci non seulement de féminisation, mais surtout d’égalité et d’inclusion, le journal s’engage à en finir avec une « décision arbitraire » de la langue française, selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin ». En un mot : fini « les étudiants », au masculin seulement ; place à « la communauté étudiante », plus inclusive et représentative. « L’idée, c’est d’assurer une représentation plus juste », explique en entrevue Camille Payant, directrice de l’information. Et, ce faisant, d’uniformiser les pratiques. Cela fait d’ailleurs des mois que la question est dans l’air. La décision a finalement été adoptée en novembre dernier en assemblée générale, puis confirmée en janvier. Il ne s’agit pas d’une prise de position « militante », précise toutefois l’éditorial, mais plutôt d’un « grand pas en avant » sur le plan de l’égalité des genres, à l’écrit du moins.

En pratique

Concrètement, le journal s’engage à veiller à une meilleure représentativité dans l’écriture de ses textes. S’inspirant des recommandations de l’Office québécois de la langue française, on prône désormais l’utilisation de termes dits épicènes, c’est-à-dire neutres ou collectifs, englobant le masculin et le féminin (la communauté enseignante, par exemple, et non les enseignants). Quand ces termes sont inexistants, les formes masculines et féminines doivent être employées (les voyageurs et les voyageuses). Quant aux adjectifs ou participes passés, leur accord se fait désormais à l’aide de doublets et de parenthèses (les voyageurs et les voyageuses fatigué(e)s). Enfin, si on fait référence à une personne non binaire, les pronoms « ille(s) » et « iel(s) » sont priorisés. À noter : il n’a jamais été question d’annuler les genres au grand complet, au Montréal Campus. On se souvient que l’an dernier, un groupe militant de l’UQAM avait fait des propositions controversées en ce sens, par le truchement d’un guide : Petit guide des enjeux LGBTQIA+ à l’université. « On ne voyait pas pourquoi on irait là, dit Camille Payant. Il n’en a pas été question. »

De l’intérêt de bousculer la langue

La féministe et professeure au département d’études littéraires de l’UQAM Martine Delvaux voit d’un très bon œil cette initiative, qui s’inscrit selon elle dans la suite logique de la féminisation des titres. « C’est important », dit-elle. Même si certains puristes risquent de grincer des dents devant ces « iel » et « ille », « il faut faire violence à la langue », soutient-elle. « C’est important d’aller explorer ça. Parce que d’emblée, en français, la langue est genrée. Mais les populations changent. Les gens vivent leurs genres sexués autrement. Et la langue est un carcan ! » Selon elle, la décision du Montréal Campus va précisément dans le sens de cette évolution : « Ce qu’on dit ici, c’est que la langue française n’est pas neutre. Elle n’est pas inclusive. Et ça n’est pas juste parce que les luttes féministes ont porté fruit. C’est parce qu’il y avait des populations qui étaient invisibilisées, et là, elles ne le sont plus », se félicite-t-elle.

Des « stupidités »

La décision ne fait pas l’unanimité. Jacques Ouellet, professeur au département de langue, linguistique et traduction de l’Université Laval, n’y voit que pures « stupidités », dues à une « ignorance » et une méconnaissance de la langue française. « Pourquoi ne pas utiliser la langue française normalement ? », s’interroge-t-il en entrevue. Un exemple ? « Vous êtes une personne. Moi aussi. On ne peut pas dire “un personne”, illustre-t-il. Et il y a des tas d’exemples comme cela où le genre ne correspond pas au sexe. Or on voudrait s’arranger pour que le genre corresponde au sexe. » Mais pour quoi faire ? se questionne le professeur. « Les féministes s’imaginent qu’elles vont être reconnues dans la société parce qu’on féminise leurs noms, c’est une illusion monumentale, conclut-il. Quel avantage les femmes vont-elles en tirer ? Je suis très sceptique. Elles feraient mieux de se battre pour l’équité… »

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