Charte des valeurs

Québec envisage le retrait du crucifix à l'Assemblée nationale

Québec

 — Montréal ne deviendra pas le gruyère de la laïcité. Au-delà d’une période de transition, les universités, municipalités et hôpitaux ne seront plus autorisés à se soustraire à l’application de la Charte des valeurs. Mais par souci de cohérence, le gouvernement Marois proposera aussi qu’on retire le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale. 

C’est pour tenir compte tant des courriels reçus par son ministère que de l’opinion de l’ancien chef Jacques Parizeau que le gouvernement Marois s’y résignera, indiquent des sources fiables. 

La position des évêques, qui ont approuvé publiquement un éventuel retrait du crucifix, aura été déterminante. 

Par souci de cohérence, un État laïque ne pourrait afficher ce signe religieux au-dessus de la tête du président. Maurice Duplessis l’y avait fait placer en 1936 pour témoigner des liens étroits entre l’Église et l’État.

On verrait aussi disparaître l’exception accordée aux élus, qui pouvaient porter des signes ostentatoires dans la première version la Charte, une observation qui revenait souvent dans les courriels des citoyens reçus par gouvernement.

C’est un projet plus contraignant que proposera le ministre Bernard Drainville à ses collègues, en faisant le bilan des 25 000 courriels reçus de la part des citoyens sur le projet rendu public il y a un mois. 

La discussion doit s’amorcer aujourd’hui au conseil des ministres, mais elle ne se conclura que dans deux semaines, au retour de la semaine de relâche pour l’Action de grâce. Cette semaine-là, les ministres péquistes tiendront, outre le conseil du mercredi, une seconde réunion, le vendredi, pour parler stratégie.

La Presse avait indiqué la semaine dernière que le gouvernement était agacé par les conséquences inattendues du « droit de retrait » annoncé dans son projet de Charte. À peine Bernard Drainville avait-il rendu public son projet que déjà plusieurs municipalités et établissements d’enseignement de la région de Montréal signifiaient leur intention de s’y soustraire. Ce pouvoir étant renouvelable, il aurait rendu l’application de ces mesures bien aléatoire dans la métropole.

La nouvelle mouture, qui cheminera sous peu à travers les comités ministériels, met fin à ce droit de retrait. On prévoit une période de transition pour permettre aux établissements de s’adapter aux nouvelles dispositions, une période de cinq ans, indique-t-on généralement. Certains croient même qu’elle devrait être ramenée à trois ans seulement. 

Le ministre Drainville avançait au pas de charge et a refusé de répondre aux questions de La Presse, hier. Jusqu’ici, M. Drainville et son collègue Lisée se sont contentés de commentaires très généraux sur les orientations envisagées par Québec, au lendemain des prises de position de MM. Parizeau et Bouchard.

Mais sur Facebook, hier, M. Drainville donnait à penser que Québec ferait fi des propositions de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, pour qui le port de signes religieux ostentatoires ne devait être interdit qu’aux fonctionnaires qui incarnent le pouvoir de l’État, les juges, les policiers et les gardiens de prison.

« Au Québec, on doit tous être traités également et équitablement, peu importe notre origine ou notre statut social, peu importe nos convictions politiques, morales ou religieuses. C’est pourquoi nous voulons affirmer la neutralité religieuse de l’État avec la Charte des valeurs québécoises », soulignait le ministre responsable des Institutions démocratiques.

Certains éléments semblent toujours en suspens. Ainsi, on veut interdire le port de signes religieux à l’ensemble des fonctionnaires, des professeurs et des employés de CPE, même ceux qui n’ont pas de contacts avec le public. Mais certains, au sein de l’appareil public, à Québec, suggèrent qu’on reconnaisse aux fonctionnaires actuels un droit acquis de sorte qu’ils puissent conserver leurs attributs religieux. 

Les nouveaux employés, toutefois, ne se verraient pas accorder le même droit, ayant adhéré à la fonction publique en toute connaissance de cause. Cette solution, attrayante en apparence, soulève toutefois des problèmes d’application.

Charte des valeurs

Le crucifix dans le Salon bleu

1976

Le président de l’Assemblée nationale, le péquiste Clément Richard, remplace la prière par un moment de recueillement. 

Janvier 2007

Le chef du Parti québécois, André Boisclair, déclare que le crucifix n’a pas sa place au Salon bleu de l’Assemblée nationale. Libéraux et adéquistes (aujourd’hui la CAQ) protestent. Le ministre libéral de la Santé de l’époque, Philippe Couillard, se dit favorable à la « laïcité complète » des institutions publiques, mais voit dans le crucifix l’illustration d’une histoire commune. 

Octobre 2007

La Presse révèle dans un sondage que près de 70 % des Québécois s’opposent à ce que le crucifix soit retiré du Salon bleu de l’Assemblée nationale.

Mai 2008 

Les commissaires Gérard Bouchard et Charles Taylor publient un rapport de 300 pages sur la pratique des accommodements raisonnables au Québec. On y lit également que le crucifix n’a pas sa place à l’Assemblée nationale ni les prières au début des réunions de conseil municipal. 

Le premier ministre de l’époque, Jean Charest, refuse d’enlever le crucifix du Salon bleu. Une motion unanime rejetant l’idée est adoptée par les parlementaires le jour même de la publication du rapport. « Il n’est pas question d’écrire l’histoire à l’envers. L’Église a joué un très grand rôle depuis 350 ans, le crucifix est un symbole de cette histoire, ce n’est pas seulement religieux », soutient le premier ministre.

Mars 2011

Le Conseil du statut de la femme annonce qu’il est favorable au retrait du crucifix à l’Assemblée nationale de même qu’à l’interdiction pour les fonctionnaires de porter des signes religieux ostentatoires. 

Août 2012

En pleine campagne électorale, la candidate du Parti québécois, Djemila Benhabib, se prononce contre le maintien du crucifix à l’Assemblée nationale, mais se rallie à la position de son parti. 

Septembre 2013

Lorsqu’il présente son projet de Charte des valeurs québécoises, le ministre péquiste Bernard Drainville déclare que son parti laissera le crucifix au Salon bleu de l’Assemblée nationale. Cette position sera reprise et défendue par plusieurs députés péquistes. 

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

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