Opinion

Groupe Capitales MédiaS
Au-delà du choc, quelle est la suite ?

L’onde de choc est difficile à encaisser. De grands quotidiens tels Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien, La Voix de l’Est et Le Droit sont acculés à la faillite. Dans l’immédiat, les dégâts auront heureusement été évités par l’intervention rapide du gouvernement. Intervention qu’il faut saluer.

Toutefois, la démocratie régionale, celle des communautés locales, des pouvoirs régionaux, des citoyens et des citoyennes est toujours menacée au-delà de la date du 31 décembre fixée par le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon.

Au-delà de ce choc, que se passe-t-il ? On aura toujours besoin de médias régionaux. Ils sont essentiels. On l’a répété.

La Presse canadienne

Hier, dans l’onde de choc, on a peu parlé des dommages collatéraux de cette fermeture évitée de justesse. Par exemple, pour l’agence La Presse canadienne (PC). On a peu dit que si vous fermez ces quotidiens, vous retirez du même coup les revenus provenant des quotidiens du Groupe Capitales Médias qui contribuent à faire vivre la PC.

De plus, de nombreux autres médias ne pourraient plus offrir la même quantité et la même qualité d’information sans la participation des journalistes de la PC. C’est le cas de La Presse, du Devoir, du Droit, du journal Métro, du Huffington Post, de Radio-Canada et de bien d’autres. Bref, tout l’écosystème des médias en subirait les conséquences.

Combien de journalistes de la PC pourront demeurer en poste si une telle situation devait se produire ?

« Repreneurs » recherchés

Des « repreneurs » se manifesteront bientôt. Mais lesquels ? Si ce devait être Québecor, on créerait de nouveaux problèmes.

D’abord, celui de la concentration de la presse, qu’on juge déjà démesurée avec les médias de Pierre Karl Péladeau au Québec. 

De plus, si Québecor devait reprendre les quotidiens du Groupe Capitales Médias en tout ou en partie, cela signifierait que le nouveau propriétaire imposerait sa propre agence de nouvelles, QMI. Exit, les textes de La Presse canadienne. Autre mort annoncée en vue, donc.

Enfin, autre dommage collatéral : si Québecor devient le « repreneur » de toutes les propriétés de Capitales Médias, il retirera sans nul doute celles-ci du Conseil de presse du Québec. Rappelons que Québecor s’oppose au Conseil de presse depuis plusieurs années, allant même jusqu’à le contester en cour. Cela menacerait l’existence même du Conseil de presse.

Par conséquent, le groupe chargé d’examiner les offres d’éventuels « repreneurs » devra avoir aussi à l’esprit quelques notions d’équilibre, de diversité des sources journalistiques et non uniquement des notions de plan d’affaires, de pertes et de profits. On jongle ici avec la qualité de la vie démocratique au Québec.

Par ailleurs, plusieurs médias tentent de développer des solutions de rechange au modèle d’affaires traditionnel qui s’appuyait jusqu’ici sur la vente de publicité.

On l’a vu, ce modèle a été bousculé, voire « bulldozé » par les géants du web, Facebook et Google en particulier. Quatre-vingts pour cent des revenus numériques ont été détournés vers ces deux seuls géants.

C’est entre autres la raison pour laquelle La Presse a développé un modèle d’organisme à but non lucratif (OBNL) misant sur la philanthropie. On espère que la recette sera la bonne. Car là aussi, ce serait une tragédie si l’information de qualité de La Presse devait disparaître.

De son côté, Le Devoir a développé un modèle qui s’appuie sur les revenus d’abonnement et la philanthropie. À ce jour, cette stratégie semble lui sourire, car les résultats financiers sont bons, encore cette année*.

On souhaite également que les mesures d’aide aux médias (crédits d’impôt et autres mesures) annoncées par le gouvernement fédéral soient mises en application au plus vite, car il y a urgence, aussi bien pour les médias régionaux que nationaux.

cohabitation avec les superpuissances numériques

Quoi qu’il en soit, il devient évident qu’on ne peut régler à la pièce, au cas par cas, la crise des médias. Dans le mémoire que j’ai déposé à l’intention de la Commission permanente de la culture et de l’éducation qui se penchera la semaine prochaine sur l’avenir des médias, j’ai écrit : « On ne panse pas une blessure ouverte avec un simple sparadrap » (diachylon, si vous préférez).

Car telle est la situation : les superpuissances numériques imposent leurs lois au détriment de celles des États nationaux.

Elles font fi des réglementations nationales de diffusion et de publication, des règles nationales en matière de fiscalité et de taxation, des droits d’auteur. Il y a une quarantaine d’années, le chef du NPD, David Lewis, qualifiait les superpuissances d’alors de welfare bums.

Aussi serait-il temps pour nos États, à Québec comme à Ottawa, de faire front commun pour que ces superpuissances se comportent comme de bonnes entreprises citoyennes. Qu’elles paient des impôts et des taxes. Qu’elles respectent les droits d’auteur des journalistes et des médias. Qu’elles versent un pourcentage défini de leurs profits et de leurs chiffres d’affaires.

La France a établi une taxe de 3 % du chiffre d’affaires pour les GAFA, les géants du web. Cet argent pourrait être ensuite redirigé et versé dans un nouveau Fonds des médias ouvert à tous les médias (écrits, audiovisuels, numériques).

Le Canada et le Québec ne peuvent agir seuls à cet égard. Ils devront nécessairement se concerter avec ces pays européens qui donnent déjà l’exemple. Pas avec les États-Unis, qui dénoncent toute intervention contre les GAFA.

S’il y a urgence, cela signifie que chaque ordre de gouvernement, tous les parlementaires, à Ottawa comme à Québec, doivent travailler à élaborer une stratégie globale afin de contrer les superpuissances du web et établir des règles équitables de cohabitation. 

C’est entre autres ainsi que nous pourrons miser sur des revenus qui permettront d’assurer la survie de nos cultures et de nos médias tant nationaux que régionaux.

* Alain Saulnier siège au conseil d’administration du quotidien Le Devoir.

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