Vroum-vroum, pas de vos affaires
C’était une information capitale : combien de billets ont été vendus pour la course de Formule électrique de l’été dernier ? Et surtout, surtout : combien de billets ont été donnés ?
Peu après la fin de la course, le maire de Montréal parlait de « succès », alors même que couraient les bruits de billets donnés à la pelletée pour remplir des gradins qui auraient été clairsemés si on avait dû y asseoir uniquement des spectateurs payants…
On a posé la question, la seule qui compte, au-delà des fumeuses « retombées en visibilité » de l’inconnue FE (qui se comptent en entrefilets dans les journaux de Bogotá ou de Kuala Lumpur) : combien de tickets vendus, Monsieur le Maire ?
Mais Denis Coderre, le maire microgestionnaire, celui-là même qui avait accordé 24 millions pour la venue de cette course inconnue, était soudainement en mode Gérald Tremblay quand on lui demandait combien de billets avaient été vendus pour cet événement qu’il avait pourtant qualifié de succès.
Je ne sais pas, aucune idée, euh, adressez-vous au promoteur, ce n’est pas de mon ressort, sais pas, pas vu, pas entendu…
Donc, l’omnimaire inventeur du « filtre Coderre », qui inspecte lui-même déraillements de trains et égouts endommagés, le shérif qui détruit de ses mains presque nues des installations de Postes Canada, devenait comme par magie sans ressources quand venait le temps de savoir combien de billets avaient été vendus – et donnés – pour la FE, événement qui n’aurait pas existé, n’eût été les 24 millions que ledit omnimaire avait choisi de donner audit événement. Curieux…
La pression populaire a fini par faire sauter la digue de l’opacité : Montréal c’est électrique (MCE), l’organisme à but non lucratif qui chapeautait la course organisée par evenko, a fini par cracher le morceau hier midi.
Sur 45 000 billets, 20 000 ont été donnés. Près de la moitié des billets ont été donnés, donc.
Ne sautez pas aux conclusions ! Ne pensez pas que 25 000 billets ont été vendus ! Non !
Parce que parmi ces 25 000 billets, oui, certains ont été achetés par des fans de course. Mais on en compte aussi qui ont été achetés en bloc par les « partenaires » de l’événement et ses commanditaires, billets qui ont ensuite été donnés…
TVA rapporte qu’au final, c’est 5000 billets qui ont été achetés par des fans de course… 5000 sur 45 000.
Bref, un tel succès, la FE de Coderre, qu’il a fallu qu’une majorité des tickets n’ait pas été achetée…
Le scandale n’est pas que ce soit un échec. La course de Formule E est un événement tout neuf, fruit d’une série de course automobile toute neuve : le succès, ça se construit. Possible que ça surclasse un jour la Formule 1. Ou pas. On verra.
Non, le scandale, c’est que le maire a crié au succès en nous cachant les paramètres qui permettraient d’évaluer ce « succès » de façon indépendante.
Il a crié au succès parce qu’il a engagé une partie de son « capital politique » dans la venue de la FE à Montréal, au coût de 24 millions et d’une grogne généralisée aux abords du site…
Or, les prétentions du maire étaient fausses, une fois vérifiées. À moins que des entrefilets dans les journaux du Pérou à propos d’une course dont tout le monde se fout ne soient, pour lui, une mesure du « succès »…
Je l’ai dit (1). Denis Coderre a un problème avec la transparence et il a un problème, parfois, avec la vérité. Qu’il s’agisse de ses dodos chez un fournisseur du gouvernement fédéral (2) ou d’un chèque-que-ne-lui-a-pas-fait-un-ami-mais-finalement-oui-l’ami-lui-a-fait-ce-chèque (3), Denis Coderre a tendance à commodément cacher ou à oublier des faits qui pourraient nuire à une trame narrative qu’il crée lui-même pour grossir sa légende…
Ou pour couvrir ses erreurs.
La saga des billets donnés de la FE s’inscrit dans ce problème de transparence du maire, qui se manifeste aussi dans son entêtement à refuser de quantifier l’investissement de la Ville de Montréal dans le retour futur du baseball, retour qui passera à long terme par un stade neuf.
S’il a mis 24 millions dans une course d’autos inconnue, combien est-il prêt à accorder pour le retour de Montréal au sein d’une des ligues professionnelles les plus connues en Amérique ?
Je m’inquiète aussi de voir Denis Coderre dire que son idée n’est pas faite sur la demande scandaleuse du Canadien de Montréal quant à un « congé » de taxes municipales pour le Centre Bell. Comment ça, son idée n’est pas faite ?
Ou on est pour les subventions à un des clubs les plus riches de la LNH, un club capable de payer ses joueurs plusieurs dizaines de millions de dollars dans une industrie milliardaire… Ou on ne l’est pas.
Mais quand la question lui a été posée cette semaine, Denis Coderre a été incapable de répondre, comme s’il s’agissait d’un enjeu d’une complexité défiant les neurones de l’Homme, comme si on lui demandait la couleur du boson de Higgs, tiens…
Je soupçonne que sur le congé de taxes des Molson, Denis Coderre feint l’ignorance comme dans la saga des billets de la FE : il connaît la réponse, mais il espère ne pas avoir à la donner avant l’élection du 5 novembre.