Jeux vidéo

La ludification du recrutement

Guy Halfteck a voulu réinventer le processus d’embauche après avoir essuyé un refus pour un poste qu’il convoitait, malgré de nombreux tests et entrevues. Aidé d’une équipe de chercheurs en neurosciences, de designers de jeu et d’ingénieurs en électronique, il a conçu des jeux qui misent non pas sur le parcours de la personne, mais bien sur ses habiletés. C’est ainsi que Knack est né, en 2010.

Le président de l’entreprise de Palo Alto croit que ses deux jeux vidéo, Wasabi Waiter (où un serveur dans un restaurant de sushis doit choisir les plats à servir) et Balloon Brigade (un genre d’Angry Birds frénétique), sont la solution aux problèmes des ressources humaines.

« Nos jeux récoltent une panoplie de données, de la personnalité du candidat à son profil, en passant par sa capacité à prendre des décisions sous pression », explique-t-il. « Le succès ne dépend plus de l’école où vous êtes allé ou de vos expériences passées. Il dépend plutôt de vos forces. » L’algorithme mesure notamment l’intelligence émotionnelle, le goût du risque et la capacité d’adaptation.

Guy Halfteck n’est pas le seul à penser ainsi. Google, par l’entremise de son chef des ressources humaines Laszlo Bock, confiait récemment au New York Times que le géant de l’internet s’intéresse beaucoup plus à la capacité d’apprendre et aux habiletés des aspirants qu’à leurs résultats scolaires.

Les jeux vidéo seraient en plus une belle façon d’attirer la convoitée génération Y, qui a grandi dans un univers numérique, en rendant le processus d’embauche ludique. Le candidat débloque des récompenses en jouant, et découvre en même temps qu’il est consciencieux, stratégique, ouvert d’esprit, etc.

Et les jeux de Knack ne servent pas qu’aux postes d’entrée. « Nous personnalisons nos applications selon le profil recherché. Elles peuvent être utiles pour embaucher des vendeurs, des gérants ou pour dégoter des candidats qui innovent », assure Guy Halfteck. Certains hôpitaux américains, dont le NYU Medical Center, utilisent Wasabi Waiter pour engager leurs chirurgiens. Rien de moins. Shell fait aussi appel à leurs services.

Knack n’est pas seule dans ce créneau lucratif. D’autres jeunes entreprises (start-ups), comme ConnectCubed, misent sur la ludification du recrutement.

De l’argent à gagner

Ron Fine, un des associés d’OpenTrust, une société de recrutement basée à Toronto, a immédiatement vu le potentiel de Knack en lisant un article sur l’entreprise. « Knack égalise les chances en éliminant le facteur humain, bien suggestif, du processus d’embauche. Le jeu permet par exemple d’engager un postulant moins expérimenté qui possède néanmoins les qualités recherchées par l’organisation », estime-t-il.

« Knack a aussi un impact bénéfique sur les finances des entreprises, en jumelant plus efficacement le bon candidat au bon emploi. Il réduit le nombre de mauvaises embauches, qui requièrent beaucoup de temps et de ressources. Il réduit également la longueur du processus d’embauche. »

Bon pour tous ?

Si elle admet que les habiletés se mesurent bien par le jeu, Anne Bourhis, professeure titulaire au Service de l’enseignement de la gestion des ressources humaines de HEC Montréal, apporte tout de même un bémol. « Les jeux vidéo sont parfaits pour les jeunes qui sont nés avec une manette dans les mains. Les candidats plus expérimentés peuvent par contre avoir de la difficulté avec ces logiciels », dit-elle. Pour que le jeu soit efficace, Anne Bourhis souligne aussi qu’il faut définir clairement les compétences recherchées.

La professeure croit en outre que les interactions (devant un client, par exemple) sont plus difficiles à évaluer avec un jeu vidéo. « Pour savoir si une personne s’intégrerait bien à l’équipe, une entrevue est plus appropriée. »

C’est aussi l’avis de Vito Calabretta, directeur général d’Accenture Montréal. L’entreprise a également conçu un jeu vidéo, mais celui-ci ne remplace en rien l’entrevue. C’est un complément. « Le jeu permet de connaître Accenture. Les postulants ont plus d’informations sur notre entreprise, savent notamment où se déroulera l’entrevue et avec qui. »

Des inquiétudes que Guy Halfteck balaie du revers de la main. « Ce n’est pas le pointage final qui compte dans nos jeux, c’est la façon d’y parvenir. Même quelqu’un qui n’a jamais joué à un jeu vidéo peut gagner avec Knack. »

En plus de pratiquer sa poignée de main, lire sur l’entreprise et réviser ses cours universitaires, faudra-t-il bientôt jouer avec sa Xbox ou son iPad pour bien se préparer avant une entrevue ?

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