Femme de carrière

Derrière chaque grande femme se cache un homme

Elles ont la carrière dont elles ont toujours rêvé. Elles travaillent fort, beaucoup, et ont de grandes responsabilités. Elles ont fait le choix d’avoir des enfants, et malgré tout, elles arrivent à tout gérer. Quel est leur secret ?

Mélanie Dunn a été nommée présidente de l’agence de publicité Cossette au Québec en avril dernier. Elle dirige 420 employés. Elle a deux enfants de 7 et 8 ans. Elle apprécie le fait que son conjoint, le scénariste Pierre Lamothe (il a coscénarisé Les 3 p’tits cochons), ait un horaire flexible. « Il a un bureau, mais il peut travailler de la maison. C’est sûr qu’il a contribué à ma réussite, ça fait partie de la recette de mon succès. » Pour lui, tout est question d’organisation : « L’agenda de Mélanie se construit des semaines à l’avance et moi, je suis à mon compte alors je peux adapter mon horaire en fonction des imprévus, quand un enfant est malade par exemple. » Il rentre tous les soirs à 17 h 30 et c’est une aide ménagère qui va chercher les enfants à l’école et qui prépare les repas trois fois par semaine. Quant à Mélanie, elle tente d’arriver tous les soirs vers 19 h pour le souper en famille.

Le fait que sa femme gagne beaucoup plus que lui n’embête pas du tout Pierre Lamothe. « Je suis heureux de la tournure des événements, dans la mesure où nous faisons équipe pour offrir à notre famille la meilleure qualité de vie possible. » Et surtout, il n’est pas au même stade de sa vie : « Mélanie a 41 ans. Elle est en pleine progression dans sa carrière. À 55 ans, j’ai atteint mes objectifs professionnels et le travail occupe la troisième place dans ma vie, après la famille et les loisirs. »

Des stéréotypes tenaces 

« Pourquoi est-ce une problématique si un couple décide de mettre en avant la carrière de la femme ? Pourquoi en fait-on un cas énorme ? C’est en raison des stéréotypes qu’on nous a inculqués. C’est très difficile de se débarrasser de nos attentes face au rôle de mère nourricière », estime Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme.

Même si on déplore le nombre trop peu élevé de femmes dans les postes de haute direction, notre conditionnement, quand il est question des rôles des hommes et des femmes, semble encore bien présent. « Très souvent, on porte des jugements sur ces femmes en se disant qu’elles ont fait carrière aux dépens de leurs enfants. On a encore l’image mythique de la bonne maman tarte aux pommes », explique Francine Descarries, sociologue, professeure à l’UQAM et responsable du Réseau québécois en études féministes. Elle pose la question suivante : « Est-ce qu’on est à l’aise avec une femme qui est plus grande que son mari ? Imaginez maintenant si elle gagne beaucoup plus et qu’elle réussit mieux ? »

Ça ne gêne pas Jacynthe Côté, 55 ans, trois enfants (18, 19 et 21 ans) et chef de la direction de Rio Tinto Alcan, leader mondial de l’industrie de l’aluminium. Son mari, qui travaillait dans le domaine de la santé, a choisi de rester à la maison et de s’investir dans l’éducation des enfants. « À la suite d’un accident de voiture, il a décidé de réorienter sa vie. Après une longue convalescence, il a pris goût à sa vie au foyer, qui lui était agréable. Ça devait être temporaire, mais c’est devenu permanent. Il était satisfait, il s’occupait de nos trois enfants. C’était important pour moi qu’il soit heureux », dit celle qui parcourt le monde toute l’année et qui n’hésite pas à être au bureau à 3h du matin pour une conférence téléphonique afin d’éviter un voyage à Londres. Son mari est une exception et elle le sait. « Mon mari est un facteur déterminant. Sans lui, je n’aurais pas eu le même parcours professionnel. J’aurais fait face à de plus grands questionnements. C’est un immense luxe d’avoir un parent à la maison à temps plein. Par contre, je ne voudrais pas que les femmes se disent, j’ai un mari qui travaille, je n’y arriverai pas », confie celle qui ne manque jamais les rituels des soupers de famille du dimanche. « Plus on verra de femmes réussir et plus on trouvera ça normal », croit Francine Descarries.

Faire équipe et… faire des choix 

« Les femmes au foyer ont toujours été sous-estimées. Un homme qui fait le choix de rester à la maison, c’est frappant, car inhabituel. On ne doit pas s’épater parce qu’un homme fait la cuisine ou la vaisselle », estime Julie Miville-Dechêne, elle-même mère de deux enfants.

Pour Francine Descarries, les hommes qui vivent bien cette asymétrie dans le couple ont deux grandes qualités : ils ont une belle confiance en eux et éprouvent une grande admiration pour leur femme.

De son côté, la controversée Sheryl Sandberg, numéro deux de Facebook, a déclaré dans une conférence en 2011 : « Le choix de carrière le plus important que vous ferez ce sera de choisir le bon mari ! Le mien est extraordinaire. On fait 50/50 ! » Elle a visé juste.

Le partage des tâches pour Anne-Marie Hubert a été un sujet abordé dès le départ avec son mari, un fonctionnaire fédéral. Ils sont ensemble depuis 32 ans et elle se dit ravie d’avoir trouvé le bon. Entrée en 1985 chez Ernst & Young, une entreprise internationale de services de fiscalité, elle était alors entourée d’hommes dont la femme régnait sur le foyer à temps complet. « Tous ces hommes se demandaient comment je faisais pour tout gérer. Sans leur femme, ils avouent aujourd’hui qu’ils n’auraient pas fait une aussi belle carrière », se rappelle celle qui, à 49 ans, est associée directrice. Anne-Marie Hubert explique qu’on ne s’en sort pas, il faut faire des choix. « On ne gagnait pas beaucoup d’argent, mon mari et moi, quand nos trois enfants étaient petits. On a engagé une gardienne à temps plein pour s’occuper des enfants et des tâches ménagères. Ça nous grugeait une bonne partie de notre budget, mais c’était la seule façon de s’en sortir et de respirer un peu », raconte celle qui fait partie du Top 100 des femmes les plus influentes du Canada. Son plus grand défi ? Accepter de renoncer. « Tous les jours, je renonce à des choses que j’ai envie de faire parce qu’il faut gérer les priorités », affirme Mme Hubert, pour qui l’équité est un thème de prédilection.

De la nécessité de s’accrocher

Quand on parle avec ces femmes d’affaires, la sempiternelle question de la conciliation travail-famille est omniprésente dans la discussion. Loin d’être superficielle, on sent qu’il s’agit d’une réelle préoccupation. Jacynthe Côté, qui dirige 16 000 employés, se souvient d’une période difficile de sa vie. « J’étais épuisée après la naissance de mon troisième enfant. Mon employeur a accepté que je reste trois ans et demi dans un même poste, ce qui était exceptionnel. Sans cela, j’aurais peut-être jeté la serviette et abandonné. » La chef de la direction de Rio Tinto Alcan est très attentive. Elle veut garder ses effectifs féminins : « Il faut rester accrochée. Je vous le dis à vous, femmes dans la trentaine avec de jeunes enfants, vous êtes dans la période la plus intense de votre vie. Il ne faut pas abandonner, car votre situation va s’améliorer. Vous devez poursuivre votre vie professionnelle, quitte à ralentir un peu. »

Francine Descarries voit encore beaucoup de femmes qui font des choix de carrière pour que l’harmonie de la famille soit assurée : « La culpabilité est le frein le plus lourd et le plus efficace pour empêcher les femmes de poursuivre leur rêve professionnel. Et cette culpabilité, elle vient du regard des autres », conclut-elle.

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