Chronique

375 ans, une couleur

C’est une très jolie bande-annonce, dynamique, inspirante, qui met en valeur la ville. On y voit d’abord Patrice L’Ecuyer, sur le toit d’un bus à impériale rouge, nous souhaiter « Bienvenue à Montréal ! ». On aperçoit ensuite la bande de Beau Dommage qui chante sur le toit d’un gratte-ciel, puis Éric Salvail se moquant des travaux qui paralysent la ville avec les clients d’un centre commercial.

Les gars de RBO s’entassent à l’arrière d’un taxi, Denise Filiatrault déclare son amour pour cette ville où elle a passé toute sa vie, Christian Bégin crie « Party ! » sur un BIXI. Les Cowboys fringants, Marie Mai et Louis-Jean Cormier chantent sur scène. Céline Dion pousse la note juchée sur le comptoir chez Schwartz’s, Ariane Moffatt joue du piano sur le belvédère du mont Royal et Ian Kelly, de la guitare sous l’iconique enseigne Farine Five Roses.

On trouve aussi, dans cette bande-annonce réalisée par l’agence lg2, Karine Vanasse, DJ Champion, Mariloup Wolfe, Robert Charlebois, Patrice Bélanger, Charles Lafortune et j’en passe. Ils comptent parmi la centaine de têtes d’affiche de Montréal s’allume, une émission de 90 minutes consacrée au dévoilement de la programmation entourant le 375e anniversaire de la fondation de Montréal, qui sera diffusée le 11 décembre sur les quatre chaînes généralistes québécoises (Radio-Canada, V, Télé-Québec et TVA).

Absence de diversité

La bande-annonce, je le répète, est très efficace. C’est beau, c’est moderne, c’est entraînant. On a hâte de voir la suite. Le hic ? Il n’y a, à l’écran, que des visages blancs comme le mien. Pas un seul Montréalais noir ou autochtone, d’origine asiatique, moyen-orientale ou latino-américaine. Pleasantville, PQ, avec un degré zéro de diversité.

Faut-il rappeler que, sur les quelque 2 millions d’habitants que compte Montréal, près du tiers appartient à une minorité visible ? Que plus du tiers est né à l’étranger et plus de la moitié est issue d’une immigration récente ? 

56 % 

Selon Statistique Canada, 56 % des Montréalais sont nés à l’étranger ou ont un parent né à l’étranger.

Et pourtant, alors qu’on s’apprête à célébrer ce qu’est Montréal à l’aube de 2017, on trouve le moyen de n’intégrer aucun artiste symbolisant la majorité des Montréalais dans une bande-annonce officielle sans doute approuvée à gauche et à droite. Pas un seul porte-étendard de la diversité culturelle montréalaise. Zéro comme dans Ouellette.

On n’appelle plus ça un manque de diversité, mais une cruelle absence de diversité. Je ne dis pas que cette omission est volontaire. Au contraire. Et c’est bien ce qu’il y a de plus désolant. Je n’accuse personne en particulier. Les artistes susmentionnés n’y sont pour rien, évidemment. Nous sommes tous à blâmer pour cette distorsion, pour cette image faussée de Montréal, qui correspond à une représentation tout aussi fausse de ce qu’est un Montréalais.

À la Société du 375e de Montréal, on reconnaît que la bande-annonce de Montréal s’allume fait abstraction de la diversité montréalaise. « Elle ne reflète pas du tout l’émission ni la programmation », admet la porte-parole Isabelle Pelletier en précisant que le comité organisateur a « insisté pour qu’il y ait de la diversité » dans le contenu de l’émission produite par Salvail & Co, la compagnie de production d’Éric Salvail.

Les organisateurs du 375e se défendent de montrer Montréal sous un seul profil ethnoculturel et collaborent avec l’organisme Diversité artistique Montréal en ce sens. Isabelle Pelletier m’a d’ailleurs invité à consulter d’autres publicités du 375e qui témoignent de cette volonté (il y en a, en effet).

Malheureusement, la première publicité que j’ai trouvée – très jolie, elle aussi – et qui présente les quatre « thèmes rassembleurs » du 375e anniversaire de Montréal, ne souligne que brièvement l’apport de « ses communautés ». Lancée il y a un an pour annoncer l’événement, elle met en scène pendant deux secondes quatre Noirs dans un marché. Deux secondes, sur une vidéo de 2 minutes 10. Non, ce n’est pas une figure de style.

À l’image de Montréal ?

Le choix des images de ces publicités n’est pas banal. Il témoigne non seulement de l’image que Montréal souhaite projeter, mais aussi de l’idée qu’elle se fait d’elle-même : une ville festive, nordique et blanche comme une première neige de novembre. Alors qu’il suffit de se promener dans ses quartiers et arrondissements – et pas seulement dans Côte-des-Neiges, Parc-Extension ou Saint-Laurent – pour constater que cette image ne correspond pas à la réalité.

J’ai assisté, la semaine dernière, à la première réunion parents-professeurs de l’école secondaire de mon fils, dans Rosemont. Dans les couloirs, faisant le pied de grue pour rencontrer un prof de français ou de géographie, j’ai entendu du russe, de l’arabe, du chinois. J’ai croisé un père d’origine indienne, un autre d’origine libanaise. J’ai vu une femme voilée. Une vraie pub de Benneton. L’incarnation même de l’expression « de toutes origines et de toutes confessions ». À l’image, véritable, de Montréal.

Or, dans une publicité censée illustrer ce qu’est Montréal, au cœur d’une campagne qui se dit « inclusive », on présente la métropole de manière aussi homogène que Québec, Trois-Rivières ou Sorel. Comment, dans les circonstances, en vouloir à certains de se sentir exclus ?

On a beaucoup parlé, ces derniers jours, de l’électeur américain désabusé qui a voté pour Donald Trump. Plusieurs ont plaint cet homme-blanc-plus-riche-que-la-moyenne (l’électeur type de Trump) qui ne se reconnaît plus dans les médias traditionnels. Que dire alors de la famille indienne, de l’adolescent d’origine haïtienne ou de la mère colombienne qui vit à Montréal sous le seuil de la pauvreté ?

Vous voulez qu’on parle des « vraies affaires » ? Allons donc. La vérité – que l’on refuse obstinément de voir en face, tellement elle ne nous effleure même pas l’esprit –, c’est que les médias québécois, à l’évidence montréalocentristes, ont un décalage au moins aussi grand à rattraper avec la réalité montréalaise qu’avec celle du reste du Québec.

La vérité, c’est qu’il est grand temps que Montréal allume et s’assume comme la métropole multiethnique qu’elle est, pas la fausse ville blanche reflétée dans la bande-annonce de Montréal s’allume. Il est grand temps que les médias se soucient de la majorité montréalaise issue de l’immigration, plutôt que de la considérer comme une minorité négligeable. Parce que c’est aussi ça, être « déconnecté ».

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