Essais

Duplessis n’est pas mort

Que reste-t-il de Maurice Duplessis ? Dans un essai captivant, l’historien Jonathan Livernois dépoussière à son tour la statue de l’ancien premier ministre du Québec et suggère une autre vision du duplessisme. Tout en nous rappelant que l’héritage du « chef » est encore bien vivant dans la vie politique actuelle. Entrevue.

Qu’est-ce qui motive un jeune historien à s’intéresser à Duplessis aujourd’hui ?

Maurice Duplessis m’a toujours fasciné. Il y a d’abord eu la série télévisée que je regardais quand j’étais jeune. Puis, il y a le fait que c’était un politicien aux antipodes de mes positions politiques. Il était conservateur de droite alors que je suis à gauche. Enfin, il y a cette tendance depuis une vingtaine d’années chez mes collègues historiens à dire qu’il serait à l’origine, en quelque sorte, de la Révolution tranquille. Bref, j’ai voulu revenir sur le personnage et son règne en me plongeant dans la culture médiatique de l’époque, dans les archives, les débats de l’Assemblée législative, etc. Car malgré toutes les malversations et les turpitudes du régime, Duplessis a quand même été élu pendant 18 ans. Comme essayiste, cette longévité me passionne.

L’image de Duplessis est un peu figée dans l’esprit des Québécois. Il est devenu une sorte d’épouvantail politique…

Comme je l’écris à la fin du livre, il est « mal mort », dans une certaine mesure. C’est vrai que l’image qu’on a de lui est figée. On n’est plus capable de retourner au personnage, d’aller au-delà d’une vision très caricaturale. Je vous donne l’exemple de ses ministres. Duplessis dirige le Québec à peu près seul, mais que font ses ministres ? Il y a très peu de travaux à ce sujet. On a un peu l’impression que les biographies de Conrad Black et de Robert Rumilly ont brûlé le terrain et la série Duplessis de Denys Arcand, même si elle était très bonne, a donné l’impression qu’on avait compris le duplessisme et qu’à partir de là, on n’avait plus besoin d’y retourner. Pour moi, au contraire, c’est important d’aller voir.

Votre livre n’est pas une biographie ni une enquête, c’est un essai. Vous avez pourtant découvert des choses au fil de votre recherche. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?

J’ai essayé de sortir de la figure de Duplessis et de comprendre les alentours. Par exemple, on a toujours dit que la communauté artistique et culturelle était « contre » Duplessis. Or, ce n’était pas si simple que ça. On avait l’impression que son gouvernement était béotien, qu’il ne donnait aucune subvention aux arts, mais c’est complètement faux. Il avait un pouvoir plutôt discrétionnaire sur tout ce qui est lié aux subventions et aux bourses, il fonctionnait vraiment à la pièce. Il a beaucoup financé les musiciens comme Raoul Jobin, Richard Verreault ou André Mathieu, dans les années 30.

J’ai également un peu fouillé dans la bibliothèque de Duplessis et ce qui m’a le plus surpris, c’est de trouver des livres dédicacés par Jacques Languirand ou Claire Martin, des gens qu’on ne s’attend pas à retrouver là.

Ou de me rendre compte que Gratien Gélinas était tout à fait pro-Duplessis. Et que même Gaston Miron a été duplessiste à une certaine époque, avant 1950. Ou que Le tombeau des rois d’Anne Hébert a été financé en partie par l’Union nationale, indirectement bien sûr. Je pense que c’était l’aspect le plus nouveau de mes recherches. Et c’est ce qui m’a le plus surpris.

Une des principales thèses de votre livre, c’est de dire que, finalement, Maurice Duplessis a fait des changements sans en faire. Que voulez-vous dire par là ?

C’est quelque chose que j’ai compris en découvrant une brochure qui datait de 1952, et dans laquelle on présentait les ministres de Duplessis. Dans les brochures, en plus des photos des ministres, il y avait des images d’agriculture, de tracteurs, de machinerie moderne. Or, il était difficile de situer dans le temps plusieurs de ces images. Est-ce qu’elles datent de 1856 ou de 1956 ? C’est très flou. C’est la cohabitation d’une temporalité très ancienne et d’une temporalité très moderne. La force de Duplessis, au fond, c’est « le changement dans l’ordre ». C’est de dire : « Il n’y aura pas de révolution ici, ce n’est pas nécessaire. »

Les Québécois ont toujours été à l’abri des grands conflits, les révolutions ne prennent pas ici, il faut y aller avec une grande douceur. Du moins, c’est l’image qu’on veut donner. Ce que Duplessis veut faire passer comme message, c’est qu’en votant pour l’Union nationale, on s’assure que le Québec demeure ce qu’il est véritablement. C’est la fiction politique que l’Union nationale va présenter tout au long de son règne. Il se présente comme le parti en dehors de la politique, alors que dans les faits, c’est le parti le plus partisan qui soit. C’est cette fiction politique qui assure la pérennité de son régime. Et c’est ce qui retarde le Québec pendant 50 ans.

Quel est son héritage, à votre avis ?

On pourrait croire que les idées de Duplessis sont surannées et qu’il n’en persiste plus aucune trace dans la vie politique aujourd’hui. Mais quand on y regarde de plus près, on en trouve. La plus importante, c’est cette idée d’union, que l’Union nationale incarne un parti qui n’est pas vraiment un parti politique, ou qui serait « à l’extérieur » de la politique. Or à la fin du premier débat en français, François Legault a dit en substance : « Nous, on veut en finir avec les vieilles chicanes entre les péquistes et les libéraux. Je me donne 10 ans en politique pour faire ce que j’ai à faire, pour redresser l’administration publique, pour redresser le Québec. »

C’est exactement ce que disait Duplessis en 1936, c’est la même chose ! 

La révolution dans l’ordre – Une histoire du duplessisme

Jonathan Livernois

Boréal

288 pages

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