À table avec Micheline Dumont
Micheline Dumont, plus enragée que jamais
La Presse
Lorsque j’ai vu le sous-titre du dernier livre de Micheline Dumont,
, j’ai d’abord cru, en lisant trop vite, qu’il était plutôt écrit « enragée ». Comme dans « féministe enragée », le cliché trop souvent invoqué pour parler des féministes militantes des années 70 et 80, dont elle faisait activement partie.En la rencontrant récemment à Sherbrooke, ville qu’elle habite depuis plusieurs décennies, autour d’un pâté chinois au canard et d’une assiette d’asperges chez Auguste, le restaurant du chef Danny St-Pierre, elle m’a dit que le mot que j’avais imaginé aurait été tout à fait approprié.
« C’est ça qui devrait être écrit, m’a-t-elle dit. Enragée. Oui, je suis enragée. Et plus je vieillis, plus je deviens radicale. Et dites-le, ça ne me dérange pas du tout du tout… »
À la retraite depuis 2000, cette ancienne professeure d’histoire de l’Université de Sherbrooke a profité de ces 13 dernières années pour publier cinq livres militants, mais n’a pas du tout le style cliché que les adversaires des féministes aiment bien leur associer. Avec sa tête blanche, son chemisier fleuri, son cardigan bleu ciel et son regard allumé et renseigné, M
Dumont a plutôt l’air d’une grand-maman brillante, éloquente, qui scrute l’actualité avec l’acuité d’une aiglonne responsable et engagée.Je la rencontre le lendemain de la Journée des patriotes et c’est le premier mot qui lui vient à l’esprit quand je lui demande si elle a des commentaires à faire sur le fil de nouvelles. « Oui, je veux parler des patriotes ! Ce sont eux qui ont retiré le droit de vote aux femmes ! Elles l’avaient depuis l’Acte constitutionnel de 1792 ! Ils le leur ont enlevé ! On a une image extrêmement romantique des patriotes, mais ils ont causé du tort aux femmes. »
Celle qui a voté oui aux deux référendums sur l’indépendance n’a pas peur de critiquer les nationalistes, les souverainistes et le gouvernement de Pauline Marois. Elle trouve ridicule, essentiellement théâtral, le projet de la première ministre d’augmenter l’enseignement de l’histoire dans les écoles. Selon l’historienne, les jeunes en font déjà amplement. « Ce n’est pas nécessaire. Allez donc vérifier ! »
M
Dumont vient de publier un livre sur l’absence des femmes dans les livres d’histoire, dans les cours d’histoire, dans le récit et la compréhension de l’histoire. Cela, croit-elle, est un vrai problème. On relègue les femmes aux encadrés et leurs préoccupations à l’anecdote. Pourtant, lance-t-elle, « on n’est pas un lobby, on est la moitié de l’humanité ! ».La compréhension des enjeux touchant les femmes, de ce qu’elles ont vécu, accompli, est très souvent faussée. Notre mémoire, remplie d’erreurs.
L’hypersexualisation des femmes d’aujourd’hui ? Les flappers des années 20 l’étaient autant avec leurs robes courtes et transparentes, et que dire des décolletés vertigineux et moulants des années 50 ? Les femmes brimées par l’Église à travers l’histoire ? Les notables, avocats, politiques, dirigeants laïcs de toutes sortes y ont contribué tout autant. N’est-ce pas Benoît XV qui disait ouvertement compter sur le vote des femmes pour lutter contre le communisme ? Le droit à l’avortement défendu seulement par les progressistes ? « René Lévesque lui-même a refusé que cela fasse partie du programme du Parti québécois… »
Satisfaite qu’une femme soit à la tête de la commission Charbonneau ? Oui, sauf que Micheline Dumont est fatiguée de voir cette commission occuper tout l’espace médiatique. Pratiquement que des hommes accusés de choses plus ou moins semblables. On a compris, dit-elle. Continuons l’enquête. Scrupuleusement. Mais cessons d’en parler autant, tout le temps. « La preuve a été faite. »
La discussion continue et M
Dumont épluche toutes sortes de sujets. On parle de prostitution. De voile islamique. Deux sujets sur lesquels elle a pris position non sans avoir lu et relu livres et reportages et avis et documents. Le travail du sexe ? Elle est pour la légalisation, seul moyen de contourner les souteneurs. Le voile ? Elle préfère qu’il ne soit pas interdit dans la fonction publique et rejette l’idée que la laïcité soit automatiquement bénéfique aux femmes. « L’histoire montre que ce n’est pas vrai. » À certains moments, l’Église était pour le vote des femmes alors que la société laïque le rejetait. « En 1922, quand Marie Gérin-Lajoie est partie à Rome chercher le droit de vote, elle a eu l’autorisation pontificale. » C’est ici, ensuite, que ça a bloqué.Le refus de l’égalité prend toutes sortes de formes et se cache derrière mille paravents. Parfois, on invoque la religion, parfois, on invoque la conciliation travail-famille. Toujours pour rejeter le blâme ailleurs…
Mais M
Dumont ne croit pas qu’il y ait une seule position féministe juste sur toutes ces questions. « Les féministes se sont toujours chicanées et on a le droit de se chicaner ! » Sur le suffrage, le travail salarié, le droit civil, l’égalité salariale, les congés de maternité, le partage du patrimoine familial, le droit à l’avortement, les programmes d’accès à l’égalité… Les femmes ont débattu entre elles à travers l’histoire de toutes ces questions. Normal. L’égalité, n’est-ce pas d’abord et avant tout le droit de réfléchir tout haut ?