Marché des arts visuels

Une histoire de perceptions

Qu’il soit question de galeries d’art, d’encans, de mécènes ou de collectionneurs, le marché québécois accuse un retard indéniable par rapport à celui de l’Europe. Pourtant, l’un des principaux obstacles de la Belle Province cause également des soucis au reste du monde occidental : les arts visuels sont souvent considérés comme une pratique élitiste, marginale et réservée à un milieu composé d’experts.

« L’art d’avant-garde a longtemps cultivé une forme d’hermétisme pour des raisons politiques et stratégiques, analyse Johanne Lamoureux, professeure au département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal. Certains critiques et philosophes croyaient qu’en restreignant l’accès à l’art, l’œuvre ne serait pas soumise aux règles de la marchandisation. Visiblement, l’idée n’a pas eu grand succès. » 

Le Québec rencontre également un important problème de culture générale, selon Jo-Ann Kane, historienne d’art et conservatrice de la Collection d’œuvres d’art de la Banque Nationale du Canada. « Il y a un manque d’éducation, observe-t-elle. Quand mon père allait à l’école, il apprenait des notions d’histoire de l’art dans ses cours d’histoire générale. Une trentaine d’années plus tard, quand je suis allée à l’école à mon tour, il n’y avait plus la moindre allusion du genre. » 

Pourtant, disent plusieurs artistes, la population aurait tort de se croire sous-outillée pour apprécier la culture. « Pas besoin d’avoir un QI de 165 pour comprendre l’art, lance Cédric Taillon, directeur des communications de la revue spécialisée Décover Magazine. Comme on n’a pas besoin de connaître l’histoire du hockey ou le nom de tous les joueurs pour aimer regarder une partie du Canadien. L’art peut être perçu à différents niveaux. » 

La bulle québécoise : mythe ou réalité 

M. Taillon se montre toutefois sévère envers le commerce de l’art, affirmant que le Québec vit dans une bulle coupée du reste du monde depuis 50 ans. « À force de vouloir générer notre propre culture en évitant de nous américaniser, nous sommes restés fermés au reste du monde. Les galeries et les institutions sont gérées par des baby-boomers issus d’une période de l’art québécois assez particulière. Ils ne sont pas en phase avec ce que les nouvelles générations d’artistes créent. Par exemple, le lowbrow (un mouvement inspiré des graffitis, des tatouages, des dessins animés, des univers du surf et du skate) a frappé les institutions partout dans le monde, mais pas ici. » 

Un point de vue que ne partage pas Mme Lamoureux, qui croit que l’identité québécoise s’est davantage construite autour de la composante linguistique, à travers la littérature, le cinéma et les médiums oraux. « Dans le milieu des arts visuels, la mondialisation a uniformisé la production artistique mondiale, avance-t-elle. Par contre, les galeries et les musées dépendent de leurs programmations pour survivre. Comme les médias parlent peu des arts visuels et que le public a moins de références, c’est plus difficile de tenter une expérience avec certains artistes. » 

Une structure moins solide 

Il ne fait par contre aucun doute que le Québec accuse un retard en matière de mécènes et de collectionneurs. « Les gens s’imaginent à tort qu’il faut être riche et extravagant pour acheter une œuvre d’art, mentionne Johanne Lamoureux. Pourtant, il existe des collections de toutes les tailles et de toutes les bourses. » 

Les encans québécois n’ont pas non plus la vie facile : acheteurs peu nombreux, forte concurrence de l’internet, des tableaux qui n’atteignent pas toujours les prix espérés. « Au Québec, les encans ne peuvent pas compter sur un bassin de collectionneurs fortunés comme chez Christie’s ou dans les maisons d’encans à Toronto, qui sont suivies par le reste du Canada, explique Jo-Ann Kane. La communauté anglophone a beaucoup plus l’habitude de soutenir l’art. Ici, les gens préfèrent généralement investir dans des biens consommables rapidement comme l’immobilier ou les voitures. Même si un encan est organisé au profit d’une bonne cause, les Québécois veulent trouver une bonne affaire, ajoute-t-elle. Si on offre une œuvre qui vaut 5000 $, ils espèrent l’avoir pour 2500 $. À Toronto ou ailleurs, quand c’est pour une cause, les gens soutiennent la cause en payant la juste valeur marchande et en faisant un don en surplus. » 

Toutefois, qu’il soit question de Montréal, Toronto, Vancouver ou Québec, les arts visuels ont tous un élément en commun : le rôle joué par l’État dans le financement des centres d’artistes et son influence sur le marché. « L’industrie est un peu plus nuancée que dans certains autres pays, car la majorité des expositions ne sont pas organisées dans des lieux destinés à la vente, précise Johanne Lamoureux. Ça permet aux artistes d’exposer plus facilement, à l’extérieur du circuit marchand. Certains croient que ça fait un marché moins dynamique, mais même dans ce contexte, je crois que les arts visuels se portent mieux depuis quelques années. Les collectionneurs sont plus actifs, ils achètent davantage. » 

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