Vélo

Familles sur deux roues

Rien de plus simple que de rouler à vélo. Certains poussent la note pour en faire un sport. Mais d’autres vont encore un peu plus loin et décident d’en faire une activité familiale. Portraits.

UN DOSSIER DE PIERRE-MARC DURIVAGE

Rois de la montagne

Tommy Paquet et Julie Latouche se sont rencontrés dans une compétition amateur de cross-country à Bromont. Inutile de dire qu’il s’agit de passionnés. Fonder une famille ne s’est donc pas avéré un obstacle qui les a empêchés de continuer de rouler. Au contraire, ils ont très rapidement intégré Zacharie et Shantie à leurs sorties dans les sentiers de Saint-Raymond, lesquels n’ont plus de secrets pour la famille de sportifs.

De sportifs à parents actifs

Julie Latouche n’a pas mis beaucoup de temps avant de se remettre en selle après la naissance de Zacharie, en 2008. « Le sport est un moyen de s’évader et de se remettre en forme, et prendre l’air fait du bien au cerveau quand tu accouches, soutient la jeune femme originaire de L’Ancienne-Lorette. Je voulais aussi montrer aux enfants un mode de vie sain, sans bien sûr leur imposer quoi que ce soit. Et je me suis vite aperçue que j’adore avoir mes enfants avec moi quand je fais quelque chose. » Tommy, qui a participé au développement des pistes du centre Vallée-Bras-du-Nord, abonde dans le même sens : « C’était naturel pour nous d’intégrer Zach à nos activités. À 3 ans, il faisait de la girafe en sentier et avant ça, on l’a rapidement installé dans le chariot. Un peu trop tôt, peut-être... »

Petits sacrifices

Comme Tommy travaille selon des horaires atypiques chez Alcoa à Deschambault, la charge familiale s’est davantage retrouvée sur les épaules de Julie. « Je suis une fille qui s’entraînait 14 heures par semaine, alors mon rythme a bien changé, admet la nouvelle quadragénaire. Au début, je vais t’avouer que c’était plus difficile d’intégrer les enfants à mes activités, parce que j’étais habituée de m’entraîner seule. Mais aujourd’hui, je vois ça bien différemment, ça a permis d’unir la famille, ce n’est absolument pas un sacrifice. Je ne m’entraîne plus comme avant, même si je suis encore très en forme. Mais c’est beaucoup plus équilibré comme expérience, et comme on en profite pour ajouter une baignade ou d’autres activités à la randonnée, c’est plaisant pour tout le monde. »

Randonnées créatives

La créativité est un élément clé du succès d’une randonnée familiale en vélo de montagne. Pique-nique, baignade, défi du jour, il faut garder vivant l’intérêt des enfants. « Il faut bien les coacher sans leur mettre de pression, explique Tommy. On peut aussi prévoir de petites récompenses, comme des barres d’énergie ou des jujubes aux électrolytes, faits maison ou achetés dans un magasin de sport. On fait aussi des randonnées avec des amis des enfants, avec ou sans leurs parents. Il faut aussi soigneusement choisir l’itinéraire et renouveler les petits défis en visitant de nouvelles sections de sentier. Bref, on détourne l’attention pour faire oublier l’effort. »

Apprivoiser la technique

Rendre les randonnées le plus ludiques possible est évidemment bénéfique, mais pour y trouver son compte, il faut que l’enfant sache se débrouiller convenablement au guidon de son vélo. Il faut donc mettre le temps nécessaire pour apprivoiser les bonnes techniques, savoir où regarder, comment se positionner, passer au bon endroit et comment changer de vitesse – la chose la plus importante à intégrer, selon Tommy. « S’il ne sait pas passer une racine et qu’il tombe, son expérience va être désagréable, soutient le papa de 40 ans. Déjà, lorsqu’on roulait avec la girafe, je leur montrais les bonnes techniques. Ils pouvaient donc expérimenter en sécurité et en s’amusant. De plus, à force de rouler, ça devient moins difficile, car ils sont de plus en plus en forme. »

Équipement adéquat

« J’ai une petite fille un peu moins sportive, elle aime bien quand c’est beau, avec ses gants et son petit casque, souligne Julie, le sourire dans la voix. Mais on doit aussi s’assurer qu’elle a des vêtements confortables et un vélo bien ajusté. Tout ça va contribuer à faire une différence. » « Avec le bon équipement de protection, des gants à doigts longs, des protège-coudes et des genouillères, l’enfant n’aura pas peur de tomber, parce que ça ne lui fera pas mal, renchérit Tommy. La qualité du vélo va également faire une grosse différence ; un vélo bon marché va être plus pesant que l’enfant ! Pour 200 $ de plus, le vélo est beaucoup plus léger et plus durable, le jeune va pouvoir monter les côtes et les changements de vitesse seront plus précis. Aussi, vaut mieux opter pour une plus petite monture, cela va permettre à l’enfant d’être plus agile en sentier. »

Grands voyageurs

Après de courts voyages en famille autour du lac Champlain et le long du parc linéaire du P’tit train du Nord, Nadine Lafond et Patrick Roberge décident d’emmener leurs filles Alexandre, Laura et Lily pour un voyage de 11 mois en Europe, de la France à l’Italie en revenant par Malte, la Sardaigne, la Corse, la Côte d’Azur et l’Espagne. Récit de voyage de cyclotouristes aguerris.

Un an sur la route

Pendant la belle saison, Nadine et Patrick se déplacent régulièrement à vélo pour aller au travail, à Gatineau. Si Patrick avait déjà fait quelques voyages à deux roues, notamment en Europe de l’Est et sur la côte est américaine, Nadine est plutôt du genre à rouler pour se rendre quelque part. Profitant tous deux d’une année sabbatique au travail, Nadine et Patrick décident de partir en juillet 2016. « On a analysé la situation et mon chum est arrivé avec l’idée d’aller en Europe, se rappelle Nadine, ingénieure en circulation à la Ville de Gatineau. Le vélo permet de tout voir et ça occupe, d’autant plus que l’Europe est accueillante pour les cyclistes : c’est sécuritaire, les villages sont très rapprochés et les campings sont nombreux. »

Surprises à l’agenda

Le voyage de la famille Lafond-Roberge s’est amorcé à Nantes, à l’extrémité ouest de la piste EuroVélo 6, qui s’arrête à la mer Noire. « On avait pensé aller jusqu’au bout, mais en octobre à Vienne, il commençait à faire froid, se rappelle la femme de 47 ans. On a donc pris le train jusqu’à Venise, après quoi on a longé la côte de l’Adriatique jusqu’en Sicile, où l’on a loué un appartement en décembre et janvier. C’est là qu’on en a profité pour faire l’école à la maison. » Selon le plan original, la famille devait toutefois revenir vers Biarritz pour y passer l’hiver. « Le propriétaire a toutefois décidé de la louer à d’autres et on l’a su en septembre… À partir de là, nous n’avions plus rien de planifié, reconnaît Nadine. On a donc fait des annonces sur Facebook et c’est l’un de nos amis qui nous a référé l’appartement en Sicile. »

Voyager léger

Rouler pendant un an n’est pas tellement différent de partir pour deux semaines, soutient Nadine. « Tu as encore deux tentes, cinq sacs de couchage, des matelas de sol, énumère-t-elle. Comme on avait apporté les manuels scolaires et des liseuses électroniques, les filles traînaient leurs bagages. » Aussi, avec des enfants, mieux vaut ne pas surcharger l’horaire. « Il faut choisir des itinéraires plus sécuritaires, éviter les grandes routes, recommande Nadine. Les enfants aiment également savoir le nombre de kilomètres qu’on fait dans une journée. Quand on change de plan, le bureau des plaintes est un peu plus occupé ! Et ce n’est pas une question de capacité physique – on a fait une journée de 100 km –, c’est simplement que les enfants ont besoin de changer d’air. »

Bonne entente naturelle

Quand tout est en place, voyager à vélo s’avère assez facile, chacun y mettant naturellement du sien, du moins si l’on se fie à l’expérience du clan Lafond-Roberge. « En camping, les filles montent leur tente, gonflent leur matelas, elles préparent chacune leurs trucs, soutient Nadine. Les journées passent bien, il y a beaucoup moins de gestion à faire. Quand elles sont assises les trois sur la banquette arrière de l’auto, il y a toujours plus de chicanes à régler. Et on arrête souvent pour se changer les idées : on prend une bière pendant que les filles mangent une glace. » L’autre avantage de rouler en Europe est aussi la proximité des services, ce qui permet de limiter un peu plus les bagages. « En arrivant au camping, on fait l’épicerie, il y en a partout, affirme la mère de famille. Et en France, les croissants et les baguettes fraîches étaient livrés chaque matin au dépôt de pain du camping, c’était génial ! »

Outil de découverte

Évidemment, voyager à vélo prend du temps, beaucoup de temps. Mais quand on dispose de cette précieuse ressource, ça peut s’avérer l’une des plus belles façons de découvrir une région. « On roulait environ 50 km par jour, explique Nadine Lafond. Ton déplacement devient ton voyage : tu vois quelque chose de beau, tu arrêtes ; tu aperçois une cigogne, tu arrêtes. Même si la température est moche, tu vas toujours trouver quelque chose de beau à voir. Quand on y pense, on a vu le cycle de la vigne au complet ! » Aussi, Nadine affirme que c’est un type de voyage accessible à tout type de mollets : « Tu y vas à ton rythme, ce n’est pas une nécessité d’être en forme quand on part, soutient-elle. Mais tu le deviens par la force des choses. Et tu peux ensuite te permettre quelques petits excès ! »

Quelques sites pratiques

Warmshowers.com

Répertoire web de gens qui offrent l’accueil aux cyclotouristes.

L’avis de Nadine : « Dans la plupart des endroits, on mangeait avec la famille qui nous accueillait. On peut parfois dormir dans la maison, sinon on nous permet de monter la tente dans la cour. »

Komoot.com

Outil de planification des itinéraires vélo.

L’avis de Nadine : « C’est ce qu’il y a de mieux. C’est fait pour toutes les sortes de vélos, on identifie tous les types de routes, pavées ou non, la dénivellation, les endroits où s’arrêter. On l’a beaucoup utilisé pour trouver des itinéraires en dehors des grandes routes. »

Sportifs passionnés

Nicole Basenach et Patrice Guay sont passés de la course à pied au vélo alors que leur petit Luca avait un peu moins de 3 ans. C’est d’abord Patrice qui s’est mis au vélo de route, suivi de Nicole moins d’un an plus tard. Après une courte pause de tout juste six mois pour donner naissance à Anna, Nicole s’est remise en selle et a rapidement rejoint Patrice au sein du club cycliste de Lévis. Aujourd’hui, ils roulent à fond, ici comme en vacances à l’étranger, et les enfants suivent leurs traces avec enthousiasme.

Finie la course à pied

Patrice a attrapé le virus du vélo après un voyage dans sa belle-famille, en Allemagne. « Je suis parti pour une courte promenade, mais j’ai transformé ça en randonnée de 100 km autour de la région, se rappelle le copropriétaire d’une société de transport. J’ai tellement adoré ça, d’autant plus que j’ai aussitôt vu le potentiel en matière de voyage. Ç’a été une révélation. » Nicole était aussi une adepte de la course à pied, mais une infection à la moelle épinière l’a forcée à arrêter. Une amie vendait sa bicyclette, elle a saisi l’occasion : « Je me suis dit qu’en vélo, on ne met pas autant de poids sur les jambes, explique la femme de 43 ans. Ça n’a donc pas été une décision consciente de troquer la course à pied pour le vélo, mais maintenant que je fais de la course à vélo, je ne retournerais pas au jogging. »

Vitesse et agrément

Autant Nicole que Patrice apprécient l’agrément que leur procure le vélo, et ce, malgré le fait qu’ils s’entraînent de façon assidue. « J’aime le sentiment de rouler en groupe, il y a une confrérie dans l’univers du vélo de route, soutient Nicole. Aussi, on dirait que le vélo te permet de mieux apprécier ton environnement. Je ne souffre pas moins qu’en course à pied, mais j’apprécie le sentiment de vitesse, je profite davantage du paysage, du décor. » En plus de son caractère social, le fait de rouler en groupe permet d’accueillir des gens de calibres différents. « Quelqu’un qui roule plus rapidement va faire davantage d’efforts en restant devant, alors qu’un autre, moins rapide, va rester à l’arrière pour profiter de l’aspiration, on va le protéger du vent », fait remarquer Patrice.

Conciliation sport-famille

Bien sûr, s’entraîner à vélo implique de longues sorties, ce qui est plus difficile à planifier que la course à pied. « Je voyais partir des amis en vélo pendant trois heures et je me disais que je n’avais pas le temps de faire ça. Je m’en suis trouvé », reconnaît Patrice, qui peut compter sur l’aide de ses parents, qui s’occupent volontiers de leurs petits-enfants. « ll faut donc être créatif et faire du vélo une priorité. Mais j’avoue qu’au départ, ce n’était pas très familial, mon affaire. Je roulais le dimanche matin et je dormais en après-midi… Maintenant, je roule avec Nikki et on fait garder les enfants, ou sinon on alterne : je pars le matin et elle roule en après-midi. » « On ne fait pas beaucoup d’autres activités de couple ensemble, regrette un peu Nicole. Mais au moins, le vélo nous unit beaucoup, on ne pourrait pas partager autant si on pratiquait des sports différents. »

Effet d’entraînement

« Je me questionne chaque fois que je passe du temps à m’entraîner sans les enfants, s’interroge Patrice. Est-ce que c’est trop ? » Une bonne façon d’avoir la conscience un peu plus tranquille est sans doute de partager notre passion avec nos rejetons. « On emmenait Luca aux 5 à 7 du club et il a vu un montage vidéo où étaient soulignés les exploits des plus jeunes, se rappelle Nicole. Il avait seulement 3 ans quand il nous a demandé de faire du vélo. On l’a inscrit à 5 ans, il a fait sa première course l’année suivante et il s’est fait beaucoup d’amis. Aussi, les entraîneurs sont créatifs et rendent l’entraînement ludique. Et quand ils s’amusent, ça devient plaisant, ils vont pousser un peu plus. » Quant à Anna, elle est encore jeune à 5 ans, mais ses parents vont l’emmener avec eux autant que possible. « J’ai une bonne amie avec qui je roule et qui a une fille de l’âge d’Anna, explique Nicole. Je pense qu’elle va accrocher, elle est naturellement compétitive. » « C’est une vraie petite version de sa mère ! », se permet d’ajouter Patrice en rigolant.

Du vélo autrement

Les enfants ont beau partager la passion de leurs parents, il reste que le vélo de route n’est pas l’activité familiale par excellence. « J’imagine que Luca va continuer, mais je pense qu’il va rapidement être plus vite que nous, suggère Nicole. La plage où le vélo devient une activité familiale est donc assez restreinte… » Patrice reconnaît que le cyclotourisme pourrait être agréable, il estime aussi que le vélo de montagne est plus approprié aux sorties en famille – il a d’ailleurs commencé à rouler en sentier avec Luca. « Pour moi, la découverte à vélo, c’est au moins la moitié de ce que je retire de cette activité, et ça n’a pas besoin d’être exotique, soutient le papa de 45 ans. Mais présentement, je m’imagine assez mal changer ma routine, l’aspect performance et dépassement est encore important. » Nicole abonde dans le même sens : « Je pense que j’ai besoin de ça pour être équilibrée et être un bon parent, soutient celle qui travaille au sein de la direction d’un fabricant de meubles. Ça nous permet de prendre du temps pour nous, on peut mieux redonner aux enfants par la suite. »

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