Entrevue

Toute la journée, le ciel nous était tombé sur la tête. Or, derrière la porte de ce demi-sous-sol du Plateau, le soleil brillait. Le soleil, c’était elle, mitraillée par Olivier, notre photographe.

Marie-Mai, sur son canapé rouge, prenait la pose, s’exécutait, charmait la caméra. Elle revenait d’un shooting, baignait encore dans l’aventure de La voix et rentrait à peine d’une tournée de 22 spectacles en 30 jours. 

Ses yeux d’un bleu à faire oublier la grisaille, un teint d’enfant, un sourire invitant ne trahissaient aucune fatigue. Elle incarnait, me suis-je fait la réflexion, non seulement la beauté de la jeunesse, mais toute son énergie. 

Marie-Mai m’avait donné rendez-vous dans ce studio aux allures d’appartement où, depuis presque 10 ans, avec Fred St-Gelais, son mari, elle s’amuse à faire la pluie, le beau temps et de la musique. 

Un nid tout simple : un canapé alangui, deux petits fauteuils, un tapis pâle, une télé et, au mur, accrochés côte à côte, les quatre disques platine, témoins de son succès.

Marie-Mai : « C’est ici qu’on s’est rencontrés la première fois. J’avais fait Star Académie en 2003. Ma directrice artistique voulait me faire rencontrer des réalisateurs. Fred a été le premier. Je me souviens, je suis rentrée et je me suis tout de suite sentie bien. On s’est mis à parler musique, on avait la même vision, la même passion. En sortant du studio, je savais. Je savais que c’était avec lui que j’allais faire mon album. »

Inoxydable a été enregistré en 2004. À la première écoute au studio, l’ambiance était à la romance. Il y avait même des bougies. C’était parti. Elle avait 19 ans. Depuis, Marie-Mai n’a jamais quitté ni le studio ni son homme.

Q C’est vrai que, petite, tu souffrais d’un déficit d’attention et d’hyperactivité ? 

R Ouais ! Encore aujourd’hui. D’ailleurs, l’entrevue se termine dans deux minutes. 

Elle rigole

R J’avais un déficit flagrant. Toujours dans la lune, rêveuse. Difficile pour moi d’être à l’école. Je vivais dans ma tête. J’avais un ami imaginaire. Mais cette facette-là de ma personnalité a forgé la personne que je suis aujourd’hui, ma créativité.

Après le secondaire, tantôt gothique, tantôt prep, elle est allée dans une académie de chant et de danse. Déterminée ! Marie-Mai bouffait déjà les planches.

Q Qu’est-ce qu’il te reste de Star Académie

R Tellement ! Le côté académique est resté. Si j’ai des chansons, des textes à apprendre, je suis à mon affaire. À Star Ac, on n’avait pas le choix devant trois millions de personnes. On était naïfs et très protégés. On n’avait aucune idée de ce qui se passait à l’extérieur.

Même sans gagner, elle s’est vite fait remarquer. Par France Castel, Luc Plamondon qui l’a bien vue chanter Salaud comme peu de gamines de 18 ans l’ont fait, et Fred, bien sûr.

Quand elle parle de Fred, sa voix grimpe, ses yeux brillent. Il est partout, entre ses lignes, entre ses phrases, ses mots, entre les notes. Appelons ça l’amour fusion !

R Rien n’arrive pour rien dans la vie ; en tout cas, ça m’a donné Fred. Je sais que c’est intense, mais y aurait pas de Marie-Mai sans Fred. 

Q Après 10 ans, t’as eu le temps de faire un bilan ? 

R Jusqu’à maintenant, non, et c’est bien comme ça. La roue est allée super vite et, honnêtement, je n’ai pas vu les 10 dernières années. Ç’a été un tourbillon de créativité, de tournées, d’émotions fortes, mais j’en ai profité. 

Q Tu veux dire quoi ? 

R J’ai fait chaque album, chaque spectacle comme s’ils étaient les derniers. Je sais, c’est cliché, mais pourquoi, moi, Marie-Mai, serais-je à l’abri ?

Ça s’appelle l’urgence de vivre...

Q Et La voix 

R Extrême. Les auditions à l’aveugle, les duels... J’étais contente d’arriver aux directs. C’est là que j’ai commencé à véritablement apprécier. Ces émissions-là ont pris tout leur sens quand le public a pu voter. Je suis une fille de live. J’ai besoin d’adrénaline, de ces moments-là, sans filet. Je m’abandonne. Je respire. Je me sens libre. Je me sens moi.

Q Qu’est-ce qui te pousse à agir ? 

R Mon instinct. Chaque fois que j’ai écouté mon instinct, ç’a été payant. Et chaque fois que je ne me suis pas écoutée, je m’en suis voulu.

Vingt-huit ans, certes, ce n’est pas l’âge des bilans. Il faut quand même parfois s’arrêter, respirer, regarder derrière, penser au présent, imaginer l’avenir… À 28 ans, quand on est une femme, star ou pas, sonnent des alarmes.

R Je suis rendue là. 

Q Où ? 

R Euuuh ! C’est une grosse question et tu vas avoir une grosse réponse ! J’ai pris beaucoup de décisions professionnelles au cours des 10 dernières années. Là, j’ai le goût de prendre des décisions personnelles. Je veux des enfants. Je suis en train de regarder comment ça peut se faire. Je vais pousser Miroir jusqu’au bout, finir la tournée. Après ça, on verra. 

Q Pas de carrière internationale ? 

R Je ne dirai jamais non si la chance se présente, mais les plus belles choses qui se sont produites sont toujours arrivées par surprise. Je ne les ai jamais planifiées.

Complexe, Marie-Mai. Ambitieuse, mais pas trop. Son cœur a ses raisons. La France, oui, mais…  Suffit d’écouter : « Je voulais la terre entière, ce qu’il y a de plus grand, des rêves fous, et maintenant je rêve de nous ; je voulais aller danser sur d’autres continents, après être allée au bout, je rêve de nous… » 

Q Dix ans de succès, le Centre Bell comme tu le referas début mai, des disques platine… Tu as la grosse tête ? 

Q Nooon ! Je doute trop, constamment. Ce n’est pas malsain, juste un peu dérangeant par moments. On dirait que plus les choses vont bien, plus je ne veux pas décevoir. J’essaie de faire en sorte que chaque prestation soit meilleure que la dernière. 

Q Tu as peur de quoi, Marie-Mai ? 

R ...de décevoir.

Q Tu ne peux pas être parfaite ! 

R Je ne tiens pas à être parfaite. J’aime juste le dépassement. J’aime pas quand tout devient trop stable, trop facile. Je suis un petit bouledogue. Ça vient peut-être du primaire, quand j’étais victime d’intimidation parce que j’étais solitaire, naïve, que je chantais, que je ne m’habillais pas comme les autres, que j’étais différente.

Mais c’était hier, ça, petit bouledogue au bonheur, aujourd’hui, facile. 

Voilà, la séance est terminée. 

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