Témoignage

Mon fils, je suis bipolaire

Mon garcon,

J’ai le trac de t’écrire aujourd’hui. J’ai recommencé des centaines de fois cette lettre. J’ai fixé chaque syllabe pendant de longues minutes. Là, maintenant, j’ai besoin de te parler, de t’expliquer ce qui se passe dans ma tête. Il est temps que je le fasse.

L’automne dernier, ton père m’a appelée pour dire que ça « devait suffire ». Tu étais revenu de notre week-end passé ensemble toi et moi complètement perturbé. Tu pleurais parce que tu ne me comprenais pas. À un moment, tu m’avais vue brailler et me comporter comme une hystérique en te blâmant bien injustement par la suite pour mon état instable et incompréhensible, comme ça m’arrive parfois, mais là, c’était alors que tu étais avec moi.

Au fil des ans, depuis que tu es tout petit, je suis là le temps d’une saison puis je disjoncte à l’arrivée de la nouvelle.

Tu es le spectateur passif d’une pièce mal écrite ; forcé de regarder. Et ce week-end-là, tu n’as rien compris à mon comportement, à juste raison. Là, ton père me demandait de mettre fin à ce spectacle toxique pour toi et pour moi. C’est là que j’ai décidé d’aller chercher de l’aide. On me tendait la perche dont j’avais besoin pour enfin faire face.

Pour de vrai, cette fois-ci.

Bipolaire

Xavier, mon fils, je suis bipolaire. Ce qui veut dire que j’ai les émotions en accordéon. J’ai, parfois, été ta mère par automatisme. La passion maternelle avait déclaré forfait pour ensuite revenir de façon envahissante le mois suivant. Tes yeux me regardaient complètement perdus. Des jours, je pouvais t’étouffer d’amour pour ensuite ignorer tes petites demandes d’enfant. Ma maison était comme ma tête : complètement désorganisée. Une grosse tempête qui ravageait tout sur son passage. Une tornade émotionnelle que personne, même moi, ne peut arrêter sans aide.

Je suis dans un processus de rétablissement depuis peu. Ma maladie, elle, ne se guérit pas. Elle se soigne.

Je prends des cachets tous les jours pour stabiliser mon humeur et éviter les périodes de manie. C’est la partie facile, avaler les cachets. La plus difficile, c’est faire face aux conséquences que la bipolarité a causées quand elle prenait toute la place. Tu es le premier écorché. Cette lettre qui t’est adressée est l’une des pierres d’assise du château qu’est mon rétablissement.

Je pourrais te parler de statistiques et m’exprimer en termes scientifiques, mais pour abattre les tabous et espérer, peut-être, que les gens cessent de me traiter de folle, je vais te parler avec mon cœur. Parce que, lui, il n’est pas disjoncté. Tel un métronome, il me guide vers la compassion envers moi-même et vers le mieux-être.

Ma maladie, Xavier, n’est pas un choix. Elle est même devenue, sans que je le veuille, un membre de ma famille. Elle fait partie de moi. Je ne suis pas elle. Je ne pète pas une coche par pur plaisir. Mes crises sont intenses et souffrantes. Je me bats chaque fois contre moi-même. Ce n’est pas une partie de plaisir ; oh que non. Surtout quand je suis ta maman et que tu me regardes sans comprendre.

Une maladie invisible

J’ai longtemps préféré souffrir dans mon coin plutôt que de prendre le risque d’être hospitalisée. C’est difficile être bipolaire, car c’est une maladie qui ne se voit pas et qui ne s’explique pas comme le diabète ; tu sais, la maladie qu’a ton grand-père depuis peu, celle qui l’empêche de manger les bons desserts sucrés qu’il aime tant ? Ça, tu peux comprendre si on te l’explique, car tu es futé, mais la bipolarité, ce n’est pas facile à expliquer. Je vais quand même essayer.

J’ai une maladie mentale, mais je n’ai pas de plâtre autour de la tête. J’alterne entre euphorie et anéantissement total. C’est épuisant. Mon type de bipolarité me pousse dans un gouffre très noir. À l’intérieur de moi, je livre alors une bataille épique contre mes émotions intenses et insupportables. Dans ces moments-là, ça hurle si fort en dedans que, pour me soulager, il m’est arrivé de m’automutiler. Me faire violence pour ne pas faire de mal aux autres et à toi, surtout. Combien de moments rigolos et de rires avons-nous manqués toi et moi parce que les papillons noirs m’aveuglaient ? Combien de « je t’aime, maman » n’ai-je pas entendus, car une folie intempestive m’envahissait alors ?

Je me souviens… un jour, tu devais avoir 4 ans, tu as dit avec ta petite voix douce et enfantine : « Respire, maman, ça va bien aller. » Tu es mon battement de cœur. Tu m’as gardée en vie chaque fois que la mort me séduisait. Le moment est venu d’apprendre à bien respirer. Pour moi et pour toi.

Xavier, je t’ai donné la vie, mais toi, sans le savoir, du haut de ta petite enfance, tu as sauvé la mienne.

Je respire. Enfin.

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