Exclusif Baisse des crédits d’impôt provinciaux

Ubisoft et Warner à l’abri des coupes

La baisse des crédits d’impôt provinciaux de 20 % comprise dans le budget du 4 juin dernier ne sera pas aussi uniforme qu’annoncé. Deux des principaux acteurs de l’industrie du jeu vidéo au Québec, Ubisoft et Warner Bros., en seront épargnés au moins jusqu’en 2019, grâce à des ententes particulières signées avec des gouvernements précédents.

Pour l’aider à boucler son budget, le ministre des Finances, Carlos Leitao, a annoncé au début du mois une réduction de 20 % de tous les crédits d’impôt provinciaux aux entreprises, sans distinction. Mais tous ne seront pas véritablement égaux devant ces coupes, a appris La Presse.

Techniquement, Ubisoft et Warner verront elles aussi les crédits d’impôt dont elles bénéficient être réduits de 20 %. En pratique, toutefois, des ententes privées renouvelées l’automne dernier les assurent d’une pleine compensation qui pourra s’étirer pendant encore cinq ans, admet le cabinet du ministre, sans préciser la forme que prendra cette compensation.

À elle seule, la société française Ubisoft a perçu 62,5 millions de dollars (45,5 millions d’euros) au chapitre du crédit à la production de titres multimédias en 2012-2013, selon son rapport annuel pour cette période. C’est environ la moitié de ce poste de dépenses gouvernemental.

En ajoutant Warner, vraisemblablement le troisième bénéficiaire en importance avec ses quelque 400 employés, c’est donc bien au-delà de la moitié de ce crédit d’impôt qui ne pourra être comprimé avant 2019.

DES MÉCONTENTS

L’existence de ces ententes crée une inégalité qui déplaît à David Anfossi, directeur général d’Eidos Montréal, qui compte environ 500 employés et ne bénéficie pas d’une telle entente.

« Je ne sais pas comment Ubisoft et Warner vont réagir, mais c’est clair qu’ils pourraient en profiter pour proposer des salaires plus compétitifs. »

— David Anfossi, directeur général d’Eidos Montréal

« Ça fait une bonne différence, surtout dans un marché comme celui de Montréal, explique M. Anfossi. Ceci dit, mon objectif est de ne plus dépendre des crédits d’impôt. On n’en est pas encore là, mais je compte y être d’ici environ un an et demi. »

Le chef du studio montréalais de Bioware, Yanick Roy, a pour sa part rappelé que la compétitivité des salaires avait déjà été un enjeu quand des entreprises comme Warner et THQ avaient reçu des sommes forfaitaires, en plus des crédits d’impôt réguliers, pour s’établir en ville.

« Ç’a déjà été un facteur, là on en rajoute un autre. Quand ils s’accumulent, ça rend la compétitivité plus difficile. »

RENOUVELLEMENTS

Ce n’est pas la première fois qu’Ubisoft bénéficie ainsi d’un tel avantage grâce à une entente particulière.

Dès son implantation en 1997, l’entreprise avait obtenu une garantie de 10 ans sur les crédits d’impôt de 50 % qui lui avaient alors été octroyés. Ceux-ci ont été ramenés à 37,5 % rapidement après l’arrivée au pouvoir des libéraux, en 2003, mais comme son contrat le prévoyait, Ubisoft a été compensée pendant 4 ans, jusqu’en 2007.

Une garantie du même type a été renouvelée à quelques occasions, plus récemment l’automne dernier, alors qu’Ubisoft annonçait un projet d’investissement de 7 ans comportant la création de 500 emplois additionnels.

« Quand on annonce des projets de cette envergure, il est logique d’aller chercher des garanties. »

— Cédric Orvoine, vice-président aux communications d’Ubisoft Montréal

Quant à Warner, elle dispose d’une telle garantie depuis son implantation à Montréal, en 2010. Le président de Warner Bros. Games, Martin Tremblay, et le directeur général du studio montréalais, Martin Carrier, sont deux anciens dirigeants d’Ubisoft Montréal. Ils étaient par conséquent bien au fait des dispositions dont profitait leur ancien employeur et ont manifestement tenu à en bénéficier aussi. Warner a elle aussi annoncé un projet d’investissement additionnel l’automne dernier.

La divulgation de cette entente place M. Carrier, qui agit aussi à titre de président du regroupement de l’industrie québécoise, l’Alliance numérique, dans une position difficile. Il a maintes fois critiqué ces coupes à titre de président de l’Alliance depuis leur annonce.

« Ça ne change pas notre position, a-t-il expliqué. Si Warner s’est implantée ici, c’est parce qu’il y avait une industrie dynamique autour, et on veut que ça demeure. Tant l’Alliance que Warner tiennent à faire valoir l’importance de l’industrie lors des commissions parlementaires qui s’annoncent. »

POUR LES ACTEURS MAJEURS

Du côté du gouvernement, la porte-parole du ministre des Finances, Andrée-Lyne Hallé, a expliqué que des ententes de ce genre n’étaient conclues que pour certains projets créateurs d’emplois et qu’un suivi était fait pour s’assurer que les emplois promis soient bien créés.

« Le gouvernement conclut des ententes de ce genre avec des joueurs majeurs de l’industrie pour sécuriser des investissements qui sont énormes pour l’économie du Québec », a-t-elle dit.

La porte-parole a en outre laissé entendre que la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, qui sera tenue à l’automne, pourrait changer la donne, notamment en rétablissant le crédit d’impôt à son niveau d’avant budget.

UBISOFT EN CHIFFRES

2012-2013

Profits : 89,1 millions

Crédit d’impôt à la production de titres multimédia :  62,5 millions

2013-2014

Pertes : 90,1 millions

Crédit d’impôt à la production de titres multimédia : N/D

Coût projeté du crédit à la production de titres multimédia

2012 : 125 millions

2013 : 135 millions

Source : Dépenses fiscales, édition 2013, ministère des Finances

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