musique

Safia Nolin en première partie de Lou Doillon

Lou Doillon est manifestement séduite par la scène musicale québécoise. Alors que son dernier album a été réalisé à Montréal à l’Hotel2Tango par Taylor Kirk de Timber Timbre, Safia Nolin assurera neuf de ses premières parties en France, dont une à Paris, le 10 décembre. Lou Doillon avait déjà annoncé que le Montréalais Jesse Mac Cormack réchaufferait aussi la salle pour elle en France. — Émilie Côté, La Presse

Critique

Shakespeare, poète de notre temps

Five Kings – L’histoire de notre chute

Texte d’Olivier Kemeid

Mise en scène de Frédéric Dubois.

Direction artistique de Patrice Dubois.

Avec Étienne Pilon, Olivier Coyette, Emmanuel Schwartz, Jonathan Gagnon, Patrice Dubois et al.

À l’Espace Go jusqu’au 7 novembre

4 étoiles

Un pari insensé peut devenir un rêve fou et, avec intelligence et moyens, se concrétiser en une belle réussite théâtrale. Voilà le parcours de Five Kings – L’histoire de notre chute.

« Paix, sécurité, prospérité. » Lancés au début de la pièce, ces trois mots relient les cinq rois maudits de Shakespeare à nos dirigeants actuels, à tous les « rois » du monde de tous les temps, pourrions-nous dire.

Ils disent aussi qu’au-delà des chiffres – huit pièces et 256 personnages – , le texte d’Olivier Kemeid ne s’est pas éparpillé dans la forêt shakespearienne. Mieux encore, il a su s’abreuver aux sources pour en retenir l’eau pure. Le dramaturge a ainsi concentré toute la déliquescence d’une humanité perdue dans les brumes du pouvoir.

Souvent brillant, le propos kemeidien propose une fondue shakespearienne tout à fait homogène et délectable. Il ne pousse pas dans la gorge l’actualité du propos, sinon en riant, mais nous rappelle comment les ambitions humaines, empreintes d’hypocrisie, de trahison et de perfidie, restent toujours les mêmes.

La qualité du texte se passe d’ailleurs très bien d’esclandres scéniques et de flaflas scénographiques. Choix intelligents de ce côté, donc : sobriété, simplicité, propos limpide.

La première partie consacrée à Richard Plantagenêt se joue à petits pas des acteurs avançant vers nous. Comme sur un échiquier où les pièces, le roi, sa reine, le fou et les pions possèdent leur propre rythme. Ce Richard – excellent Étienne Pilon – souhaitait la paix et succombe à l’envie de préparer la guerre devant les pressions familiales ou politiques, ce qui revient souvent au même. Il finit dans les pleurs, amer de son triste sort, inquiet de ce qui adviendra de l’avenir.

Ensuite, Henry Lancaster – interprété par Olivier Coyette, maillon faible d’une autrement éclatante distribution – passe de victime à bourreau. Sous un manteau de beaux principes, il manœuvre habilement pour aboutir au siège royal et rage ensuite de voir en son fils Harry – un Emmanuel Schwartz égal à lui-même, très bon, même s’il bafouillait jeudi soir – un débauché qui finira tout de même, usant de violence lui aussi, à se prendre pour un roi soleil.

Sexe, drogue et rock’n’roll, cette époque jouée en québécois pur jus fait de Falstaff un fou de roi fainéant et roublard, interprété avec truculence par Jean-Marc Dalpé. Sous l’œil d’Olivier Kemeid, cette pop culture pétillante cache en fait un summum de manipulation, se concluant sur la crise d’Oka au Québec et la guerre du Golfe dans le monde.

Après l’entracte, place au roi-enfant, Harry Lancaster Jr. – très bon Jonathan Gagnon. Coulant comme le sable entre les doigts de quiconque l’approche, son règne voit la montée des intégrismes : « Vous nous avez proposé la libération, nous vous proposons la terreur », entendra-t-on. La faiblesse du roi met la table pour l’arrivée d’un vrai dictateur et la finale – spectaculaire comme il se doit – à propos de Richard York, oui, le Richard III de Shakespeare, joué récemment par Sébastien Ricard, auquel lance un court clin d’œil l’électrisant Patrice Dubois.

Bienvenue dans une mauvaise téléréalité. Nous sommes en 2015. Ce Richard est, en fait, le roi de la convergence. Il produit, réalise et joue dans son propre mélodrame familial sur grand écran. Parlant d’indépendance le poing en l’air et médiatisant son mariage dans un espace où le tulle entre vie intime et publique se déchire. Il promet ainsi la « transparence ».

Il commettra un infanticide sans plaider la démence. Les lumières s’allument dans la salle. Il réclame l’amour de sa mère – solide Louise Laprade – qui en finira plutôt avec lui. En toute transparence. La prophétie de la chute s’accomplit. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une nouvelle dictature.

Dans ce long spectacle, une seule scène apparaît superflue, un échange empreint de clichés sur la guerre entre Harry (Emmanuel Schwartz) et un soldat. Montrant le Shakespeare baroque, loufoque, grave et désespéré, Five Kings est une histoire pertinente avec ses références à peine voilées à l’actualité et grâce à son regard sagace sur l’âme humaine. Cette pièce forte nous rend Shakespeare tel qu’il l’a toujours été, un poète de notre temps.

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