Fraudes sur l’internet

Le Canada impuissant

Le Canada est peut-être l’appât, mais la fraude ne survient pas en territoire canadien et les victimes ne sont pas canadiennes. Résultat, l’action des autorités canadiennes s’en trouve limitée, alors que le phénomène est en hausse, selon un expert africain. Le tour de la question en trois points.

Les fraudes par internet qui utilisent le thème de l’immigration sont un phénomène « beaucoup trop commun », soupire une source diplomatique canadienne consultée par La Presse, qui reconnaît que les autorités canadiennes sont impuissantes face à ce problème.

« La plupart des [victimes] ne sont pas au Canada et l’argent ne passe pas par le Canada », dit-elle, ajoutant que « même si on fait une plainte et que le site internet [est bloqué], une demi-heure plus tard, il sera hébergé ailleurs ».

Les autorités canadiennes disent néanmoins prendre le problème au sérieux et s’efforcent de faire savoir qu'« il n’y a qu’un seul site web [pour faire une demande de visa] et c’est celui du Canada », explique le haut-commissaire du Canada en Tanzanie, Alexandre Lévêque.

Ce message est notamment propagé sur les réseaux sociaux comme Facebook et WhatsApp, « qui marchent bien ici, plus que les sites web », explique-t-il.

Au Sénégal, l’ambassadeur du Canada Philippe Beaulne affirme lui aussi être préoccupé par le phénomène, mais souligne que bien peu de victimes portent plainte et reconnaît qu’avec « les fraudes sur l'internet, c’est assez difficile de retrouver les responsables ».

« Tout ce qu’on peut faire, c’est d’inviter les gens à porter plainte pour qu’il puisse y avoir une enquête. »

— Alexandre Lévêque, haut-commissaire du Canada en Tanzanie

FRAUDES SANS RISQUE

En Afrique, ce phénomène « est en hausse, car il n’y a aucun risque » pour ses responsables, s’exclame Bamba Thiam, ingénieur informaticien sénégalais et expert en cybercriminalité.

S’il reconnaît que les autorités sénégalaises prennent le problème au sérieux, il souligne qu’il y a « tellement de cas que c’est difficile de tout traiter ».

« L’ampleur que ça a prise est exponentielle. »

— Bamba Thiam, ingénieur informaticien et expert en cybercriminalité

D’autant plus qu’il est impératif d’améliorer la coopération entre les pays de la région à ce sujet, estime-t-il, puisque les sites internet sont souvent hébergés à l’étranger et les fraudeurs disposent d’équipes au Sénégal pour récupérer l’argent.

« En général, ils travaillent en groupe. Ils se rencontrent sur le Net, partagent la même passion qui est d’arnaquer. »

Bamba Thiam rapporte que « beaucoup de cas [impliquent] des Béninois et des Ivoiriens ».

Plusieurs des personnes jointes par La Presse dans le cadre de cette enquête ont d’ailleurs indiqué que certains prétendus représentants de l’agence Alfabé, à Dakar, s’exprimaient en français avec un accent ivoirien ou béninois et ne parlaient pas le wolof, principale langue parlée au Sénégal.

LA POLICE AUX AGUETS

« On est bien outillés » pour lutter contre les fraudes par internet, affirme l’adjudant Henry Ciss, porte-parole de la police nationale du Sénégal, qui s’est dotée il y a quelques années d’une brigade contre la cybercriminalité.

Le site internet Formation Emploi Canada était toutefois inconnu des autorités sénégalaises avant que La Presse ne les joigne.

Le policier indique lui aussi qu’il est difficile d’agir si les victimes ne portent pas plainte.

Le Centre antifraude du Canada (CAFC), organisme responsable de la lutte contre ce type d’arnaque, dit avoir reçu au cours de la dernière année environ 70 signalements de gens se disant victimes de fraudes utilisant l’immigration comme appât.

Ces signalements, qui ne sont pas en hausse, précise le CAFC, provenaient principalement du Moyen-Orient et de l’Asie.

« Bien souvent, la fraude peut être compartimentée, certaines parties de l’opération étant menées à partir du Canada et d’autres, dans d’autres territoires », explique le porte-parole du CAFC, Jeff Thomson, qui ajoute que le Canada est « une destination prisée ».

Le CAFC dit n’avoir reçu aucun signalement pour le site Formation Emploi Canada, mais dit en avoir reçu pour les sites canadianvisa.org, canadianvisaexpert.com et ovcanada.com.

Ce dernier, qui exige de 249 à 349 euros (350 à 500 $) pour l’étude d’un dossier, utilise le même serveur informatique et la même adresse postale que le site internet usagc.org, qui prétend pouvoir faciliter l’obtention d’une carte verte permettant de vivre et de travailler aux États-Unis.

ILLÉGAL

Pour offrir ses services en matière d’immigration contre rémunération, un consultant doit être un avocat ou un parajuriste membre du barreau d’une province ou d’un territoire du Canada, un notaire membre de la Chambre des notaires du Québec ou encore être inscrit au Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, explique le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada. Dans les faits, une personne qui ne répond pas à ces critères ne peut tout simplement pas offrir ses services, car Immigration Canada n’interagira pas avec elle, à moins qu’elle certifie le faire sans être rémunérée. Une demande de visa d’études pour le Canada coûte 150 $, rappelle le Ministère. L’utilisation du logo du gouvernement du Canada sans autorisation est aussi illégale.

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