Sotchi  Hockey

Petr Nedved, le dernier des Mohicans

Sotchi

 — Dans le parc olympique de Sotchi, à l’ombre des stades flambant neufs qui scintillent au soleil, à la vue des publicités rouge écarlate de Coca-Cola et des sacs de McDonald’s qui jonchent le sol, il est facile d’oublier l’ancienne Russie. Celle pas si lointaine de l’Union soviétique, du rideau de fer, des défections.

Mais parfois, le passé nous rattrape là où nous l’attendons le moins. Hier, il s’est présenté sous la forme d’un joueur de hockey dans les entrailles d’un aréna de 330 millions de dollars, le Bolchoï (« grand » en russe).

Petr Nedved s’est approché des journalistes la barbe négligée, vêtu du chandail rouge écarlate de l’équipe nationale tchèque. Il venait de terminer un entraînement et a reconnu au loin certains reporters nord-américains qu’il n’avait plus vus depuis des lunes. Il a souri, comme amusé de ce voyage dans le temps.

« Les gars, je sais que vous n’auriez jamais cru que je jouerais à 42 ans. Mais me voilà aujourd’hui et je joue toujours au hockey », a lancé celui qui a quitté la LNH en 2007 pour retourner jouer en République tchèque après 17 saisons en Amérique du Nord.

« Je n’aurais jamais soupçonné que j’irais aux Jeux à mon âge. C’est une route étrange. Mais ma vie elle-même a été étrange. » — Peter Nedved

Petr Nedved n’est pas le seul vétéran de la sélection tchèque, une équipe qui compte six joueurs de plus de 35 ans, dont Jaromir Jagr et Tomas Kaberle. Mais il est le dernier d’une race éteinte, celle des Svoboda et des Stastny, des joueurs qui ont fui le bloc de l’Est dans l’illégalité et dans le fol espoir de jouer un jour dans la Ligue nationale de hockey.

La défection à 17 ans

Le 2 janvier 1989, Petr Nedved s’est présenté dans un bureau de la Gendarmerie royale du Canada à Calgary. Il n’avait que 17 ans et 20 $ en poche. Il demandait l’asile. « Je me rappelle qu’à l’époque, je n’avais peur de rien. Ma seule crainte, c’était de devoir expliquer à mes parents que je faisais défection », a-t-il raconté.

Nevded était arrivé quelques jours plus tôt au pays pour participer à un tournoi midget. Son équipe au nom pittoresque, Les usines chimiques de Litvinov, avait remporté la compétition. Les observateurs avaient été éblouis par le talent du jeune joueur.

Quand ses coéquipiers se sont retrouvés à l’aéroport, le jeune Petr manquait à l’appel. Tous ont alors compris qu’il tentait d’imiter ses compatriotes Petr Svoboda, Peter et Anton Stastny.

Les parents de Petr ont subi les foudres du régime. Pendant un an, ils appelaient leur fils chaque semaine en essayant de le convaincre de rentrer pour contenter les autorités. L’ironie du sort veut que le rideau de fer soit tombé quelques mois après sa défection.

« Je lui souhaite bonne chance, ce ne sera pas facile », a lancé Svoboda à l’époque, à propos de ses chances de jouer dans la LNH.

Nedved a finalement disputé 16 saisons dans la Ligue nationale, joué 982 matchs, amassé près de 30 millions en salaire et épousé au passage le mannequin Veronika Varekova.

Une équipe négligée

Petr Nedved se retrouve donc aujourd’hui à Sotchi, à la fin de son improbable parcours. Ce ne sont pas ses premiers Jeux. En 1994, à Lillehammer, il a porté les couleurs canadiennes. Les Canadiens, en qui on fondait peu d’espoir, avaient causé la surprise en remportant l’argent. « Aujourd’hui encore, c’est ce dont je suis le plus fier dans ma carrière », a dit celui qui a la double nationalité.

Il se souvient de la douleur ressentie lorsque ses coéquipiers et lui avaient éliminé la République tchèque. « Dans le vestiaire après la victoire, les célébrations étaient douces-amères pour moi. Avant le tournoi, je priais pour qu’on n’affronte pas les Tchèques. Mais les dieux du hockey en ont décidé autrement. »

Le voilà maintenant qui porte les couleurs de sa patrie. « Soyons honnêtes, on n’est pas les favoris ici. Mais on a une bonne équipe et on n’est pas venus jouer les spectateurs, a-t-il lancé. Ça se joue sur quelques matchs. Il n’y aura pas beaucoup de buts et les gardiens seront essentiels. Rappelez-vous Dominik Hasek à Nagano. Il a volé la vedette et les Tchèques n’étaient pas du tout favoris. »

Le hic, c’est que les gardiens tchèques Alexander Salák, Ondrej Pavelev et Jakub Kovar sont loin d’être des Hasek.

Nedved ne s’en fait pas. Peu importe le résultat, il se dit fier de mettre un terme à sa carrière avec une participation aux Jeux. Il entend prendre sa retraite après cette saison. « Je ne me sens plus comme à 18 ans, mais étonnamment, le corps tient bien. Je ne suis pas blessé ni rien. Mais c’est le temps de tourner la page. Je le sens. Les Jeux sont une belle touche finale. »

« Je vais retourner vivre à Prague et voyager. J’ai une maison à Miami. Je veux aussi me promener un peu et visiter Vancouver et Calgary. Pour la première année de ma retraite, je vais me promener un peu partout. »

Maintenant, il peut voyager comme il l’entend. Le temps des défections est depuis longtemps révolu. « Regardez ce que les Russes ont fait », a-t-il dit, en levant un bras comme pour désigner le superbe aréna dans lequel il se trouvait. « La Russie a tellement changé. C’est un monde différent aujourd’hui. »

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