OPINION

Choisissons la générosité

Tout semble avoir été dit sur la proposition de Charte de la laïcité présentée par le gouvernement du Québec, y compris bien des choses que l’on n’aurait pas dû dire. Il ne reste plus qu’à espérer convaincre celles et ceux qui n’ont pas encore fait leur acte de foi.

Pour ce faire, il faut d’abord traiter des enjeux juridiques que soulève la Charte et, ensuite, de la question plus vaste de l’égalité entre les femmes et les hommes, aspects qui ont jusqu’ici alimenté la vive controverse que l’on sait. Et il faut bien reconnaître qu’à la fin, c’est un choix politique qui devra être fait par chacun et chacune d’entre nous.

Ce faisant, il faut garder à l’esprit à quel point il est facile de restreindre la liberté des autres, surtout lorsque cette initiative ne coûte rien à celles et ceux qui la préconisent.

Il ne fait aucun doute que, telle que proposée, la Charte porte atteinte à la liberté de religion et que les justifications de cette atteinte à un droit fondamental protégé par le droit québécois, la constitution canadienne et le droit international sont clairement insuffisantes. Banaliser cette atteinte aux droits ne sert aucun objectif utile ; c’est aussi une tactique fréquemment employée par ceux qui nient les droits des autres.

Le cadre d’analyse bien établi en droit constitutionnel fait porter à l’État le fardeau de démontrer qu’une atteinte à une liberté fondamentale comme la liberté de religion est justifiée. Rien n’indique que ce soit le cas en ce qui a trait au projet de charte. Et à celles et ceux qui voudraient s’appuyer sur notre histoire pour prétendre qu’il s’agit ici de neutralité de l’État plutôt que de discrimination, on pourra leur rappeler qu’il aura fallu l’intervention de la Cour suprême pour rectifier le traitement injuste que le gouvernement de Maurice Duplessis faisait subir aux témoins de Jéhovah et aux communistes.

Dans une démocratie constitutionnelle, le pouvoir judiciaire est une branche à part entière de la gouvernance, à laquelle il incombe de baliser l’exercice des pouvoirs législatif et exécutif, entre autres par l’interprétation des normes constitutionnelles. Or, nous avons la chance de vivre dans un État de droit.

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Il est facile de dénoncer le pouvoir décisionnel des juges ou de tourner en ridicule les méandres des analyses juridiques. Pourtant, le concept de droit fondamental est plutôt simple. Avoir des droits, c’est un peu comme avoir un parapluie. C’est surtout utile quand il pleut. La liberté de religion ne veut rien dire si elle est complètement privatisée et donc à peu près jamais menacée. Il en va de même de tous les autres droits fondamentaux. En fait, le plus difficile dans la reconnaissance des droits, c’est de leur donner effet quand cela dérange, et plus cela dérange, plus on doit être prudent avant de les écarter. Pour bien vivre en société, il faut faire preuve d’une certaine empathie politique qui nous amène à véritablement voir le monde du point de vue des autres.

Dans le cas de la Charte de la laïcité, il est évident que la prohibition du port de symboles religieux ostentatoires vise avant tout ou du moins affectera principalement les femmes musulmanes qui portent le foulard. C’est ici que la question divise les féministes. 

Pour plusieurs d’entre nous, la religion ou, plutôt, les religions évoquent la soumission des femmes à un statut d’infériorité, même pour celles qui se croient libres de faire des choix religieux. Cela a été le lot des femmes québécoises pendant des décennies, et nous voulons à juste titre protéger nos acquis.

Mais pour certaines, comme pour moi, la protection de ces acquis ne rend pas pour autant acceptable que l’on poursuive la lutte vers l’égalité en exerçant une coercition sur celles que l’on souhaite voir s’émanciper. Et il est particulièrement odieux d’en faire payer le prix à des femmes déjà marginalisées et pour qui l’accès à l’emploi est un facteur clé à la fois d’autonomie et d’intégration.

Somme toute, on nous propose un choix face à l’avenir de notre société. Les discours sur la laïcité, la neutralité, la tolérance ou la spécificité de la culture du Québec ne devraient pas masquer les enjeux véritables de ce débat portant non seulement sur le choix des valeurs québécoises, mais aussi, et surtout, sur la façon de les exprimer et de les promouvoir.

C’est ici que nous devons nous définir et nous situer dans le monde contemporain. Contrairement à ce que véhiculent les pathologies des nationalismes d’extrême droite et tous les extrémismes, religieux ou autres, nous avons bâti un Québec moderne, ouvert sur le monde et jusqu’à maintenant inclusif.

La Charte de la laïcité nous incite à céder au chant des sirènes. Ce chant évoque l’image nostalgique d’une société homogène catho-laïque, où « nos » symboles religieux nous paraissent inoffensifs parce que, n’y croyant plus, nous les avons vidés de leur sens, alors que ceux des « autres » feraient au contraire peser une menace permanente sur nous.

Nous vivons au Québec une réalité nord-américaine ; notre expérience de l’immigration est bien différente de celle des pays européens, y compris de celle de nos amis français. Nous avons jusqu’à maintenant bien réussi à gérer notre métissage. Face à la différence, la peur est toujours mauvaise conseillère. Choisissons plutôt la générosité, confiants que les autres se joindront alors, de leur propre gré, à nos valeurs. C’est au fond ce que les nouveaux arrivants ont toujours fait.

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