OPINION INDUSTRIE LAITIÈRE

Le chaos du lait mondialisé

Nous ne demandons aucune subvention au gouvernement, seulement un peu de cohérence et d’honneur

Pour régler ce qu’il nomme « le bordel diafiltré », Sylvain Charlebois propose « d’ouvrir notre marché au reste du monde ». Plongeons dans le chaos pour corriger notre bordel ! Difficile de trouver plus fine stratégie.

Depuis plus d’un an, le marché mondial des produits laitiers traverse une crise profonde, la deuxième depuis 2008. Une crise dont les producteurs font entièrement les frais en encaissant des baisses de prix brutales. Les causes de ce nouveau chaos sont la baisse de la demande de la Chine – qu’on nous présente souvent comme l’eldorado et le marché d’avenir pour l’exportation ; l’embargo russe sur les produits européens, et l’augmentation soudaine de la production laitière européenne… découlant de l’abandon de la gestion de l’offre en 2015. Seulement 8 % de la production laitière mondiale est exportée, mais ce marché marginal dicte le prix intérieur des pays exportateurs.

En Europe, les producteurs de lait subissent une baisse de revenu de quelque 30 % depuis un an. L’Union européenne a dû débloquer 500 millions d’euros d’aide d’urgence, en plus des quelque 60 milliards d’aide annuelle à l’agriculture prévus par sa politique agricole commune. Malgré toutes ces subventions, les producteurs n’arrivent plus.

En Nouvelle-Zélande, qui exporte plus de 90 % de sa production, c’est pire encore. Les producteurs de lait absorbent une baisse de revenu de plus de 50 %. La dette des fermes a triplé depuis trois ans et 85 % des producteurs produisent à perte. Et savez-vous quoi ? Les consommateurs ne profitent pas vraiment de la situation. Ils paient leur litre de lait plus cher que les Canadiens.

Un producteur de lait américain a livré un témoignage à l’assemblée générale annuelle des producteurs de lait du Québec en avril 2015. Son message : défendez la gestion de l’offre comme la prunelle de vos yeux. Bill Rowell n’est pourtant pas un petit producteur. Il tire près de 1000 vaches dans sa ferme du Vermont. Son prix de vente était passé de 27 $ des 100 lb de lait en 2014 à environ 17 $ des 100 lb en 2015. Une chute de prix de près de 37 %. Un an plus tard, la situation a empiré. Les États-Unis nagent dans les surplus de lait et subissent les contrecoups du marasme des marchés d’exportation.

M. Charlebois nous demande d’expliquer aux Canadiens pourquoi nous n’avons rien fait pour ouvrir notre marché au reste du monde. Pour éviter ce chaos. Pour continuer de vivre décemment de notre production sans dépendre des subventions gouvernementales, comme nos collègues européens et américains.

Le lait diafiltré a été conçu par nos voisins pour contourner les tarifs douaniers canadiens et déverser leurs surplus chez nous. Classé comme un ingrédient à la frontière en raison de sa concentration élevée en protéines, il entre au Canada sans tarif ni limite. Le problème, c’est qu’une fois ici, l’Agence canadienne d’inspection des aliments le traite comme si c’était du lait, non pas un ingrédient, et permet son addition dans nos fromages au-delà de ce que permettent les normes canadiennes. Si l’incohérence et le ridicule tuaient, il y aurait de la mortalité à Ottawa. Ou bien c’est du lait et il est soumis aux tarifs douaniers, ou bien c’est un ingrédient et son ajout au fromage est limité.

L’an dernier, cette astuce dont le gouvernement se fait complice nous a fait perdre quelque 220 millions. Les producteurs de lait ne sont pas les seuls à faire les frais du laxisme gouvernemental. Le secteur de la volaille, lui aussi sous gestion de l’offre, perdrait 139 millions en raison de l’incurie canadienne dans le contrôle de ses frontières ou l’application de ses règlements.

Les vaches américaines, dont provient le lait diafiltré, sont souvent traites par de la main-d’œuvre immigrante illégale, sous-payée. Les producteurs américains ont le droit d’utiliser la somatotrophine, une hormone interdite au Canada. La production est concentrée dans de très grandes entreprises. Est-ce ce modèle que nous voulons ici ?

Au Québec, le secteur laitier génère 83 000 emplois, ajoute 6,2 milliards au PIB et verse 1,3 milliard de taxes et impôts. Nos fermes ne seront pas délocalisées et font travailler des Québécois. Nous ne demandons aucune subvention au gouvernement, seulement un peu de cohérence et d’honneur. Le Canada est en droit d’exercer sa souveraineté et d’appliquer ses règlements. Qu’il le fasse.

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