ANNABEL LYON Une jeune fille sage

La fille d’Aristote

Une jeune fille sage

Annabel Lyon

Alto, 355 pages

Après Le juste milieu, qui racontait la relation entre Aristote et Alexandre le Grand, Annabel Lyon poursuit son exploration du monde antique avec Une jeune fille sage, qui est en quelque sorte une suite inspirée par la vie inconnue de Pythias, la fille du philosophe.

« Un roman, ce n’était pas assez pour moi, dit Annabel Lyon. Le juste milieu était un roman d’hommes, de la vie publique, intellectuelle. J’ai voulu écrire aussi un roman de la vie des femmes, des esclaves, de la maison et de la vie domestique. »

L’écrivaine canadienne, qui habite Vancouver, et qui a connu un grand succès avec Le juste milieu – publié dans une vingtaine de pays, récipiendaire du prix Rogers Writers’ Trust –, confirme d’une certaine façon avoir créé un diptyque sur le monde antique, montrant l’envers et l’endroit d’une époque. Passionnée de philosophie, c’est une curiosité personnelle qui l’a menée à s’intéresser à Pythias, fille d’Aristote, évoquée dans son testament, et dont on connaît peu de choses.

Mais par ce personnage, Annabel Lyon a pu révéler une facette méconnue de cette époque dont on ne retient bien souvent que les noms les plus illustres. Lyon avoue qu’elle avait elle-même pas mal de préjugés sur la réalité des femmes dans la Grèce antique. « Je connais ce monde, je connais sa pensée, mais dès que j’ai commencé à faire des recherches sur la vie des femmes, j’ai découvert plein de choses. J’avais des stéréotypes, je pensais qu’elles étaient toutes opprimées. Mais des femmes étaient éduquées, elles avaient des emplois dans la société, elles pouvaient avoir des petits business, elles pouvaient être prêtresses… Certaines femmes avaient du pouvoir. Il y avait beaucoup de rôles pour les femmes que je ne connaissais pas. »

LE POINT DE BASCULE

Pythias, l’héroïne du roman, est à l’image de son célèbre père, qu’elle admire. Il lui a transmis l’amour de la connaissance et des études, il la présente à son groupe d’amis, étonnés par son intelligence. Mais tout bascule après la mort d’Alexandre, loin d’Athènes ; Aristote n’est plus en sécurité et amène sa famille à Chalcis. Tout bascule surtout quand Pythias a ses premières règles, qui font d’elle une femme, ce qui change le regard du père. Et c’est lorsque le père meurt que Pythias est totalement confrontée au monde.

« Elle a une vie de maison, elle ne connaît pas d’autre monde que celui de son père, celui des livres, explique l’écrivaine. Soudainement, la vie arrive à elle, il faut qu’elle apprenne le sexe, l’argent, toutes ces choses de la vie pratique. Avec son père, c’était la théorie. »

Comme l’empire un peu chaotique après la mort d’Alexandre, Pythias vivra une dérive initiatique, parfois même fantastique, visitée par les divinités, après la mort de son père. Comment une jeune femme, non mariée et sans la protection de sa famille, peut-elle évoluer dans la société ? Dans l’attente du mari que lui a désigné son père par testament, mari dont on ne sait s’il est vivant ou mort dans les conquêtes d’Alexandre, Pythias se débrouille comme elle peut, fait des rencontres étonnantes, et combat son désir pour Myrmex, un lointain cousin recueilli par Aristote.

ÉLOGE DE LA LIBERTÉ

Ce que craint vraiment Pythias, c’est d’avoir une « vie diminuée », une vie qui s’arrête au mariage. Est-ce une malédiction que d’être éduquée dans une société qui nie la liberté aux femmes ? « Non, ce n’est pas une malédiction, répond Annabel Lyon. Car la liberté, c’est quelque chose qui se passe dans l’esprit. Même si le corps n’a pas de liberté, avoir une vie de l’esprit qui est riche, c’est quelque chose. Il vaut toujours mieux avoir de l’éducation que de ne pas en avoir. »

On ne sait pas ce qu’est devenue Pythias dans la réalité. On sait en revanche que l’histoire a longtemps été avare de détails sur la vie des femmes. Ce manque est plutôt profitable pour l’écrivaine. « Il y a beaucoup moins d’écrits sur les femmes que sur les hommes, confirme Annabel Lyon. Avec un personnage comme Alexandre le Grand, les recherches étaient beaucoup plus faciles. Avec les femmes, c’est toujours plus hypothétique. Mais pour moi, qui écris des romans, j’ai beaucoup aimé. J’avais beaucoup plus d’espace et de liberté pour imaginer qu’avec un personnage connu. »

Une jeune fille sage est, au fond, un beau roman d’apprentissage, contemporain même s’il se déroule dans l’Antiquité, et complet parce qu’il ne s’attarde pas qu’aux idées…

EXTRAIT

Une jeune fille sage, d’Annabel Lyon

« Je recommence à penser. Il y a l’esprit rationnel et le corps animal. Le corps animal, rejetant les pensées, se charge de l’oubli ; la part animale en moi ne cesse de faire valoir ses droits, et j’en ai honte. Manger ! Dormir ! Me toucher les parties intimes dès que Thalée s’absente en cuisine ! Je comprends enfin que si papa a tant souffert, c’est qu’il était quasiment pur esprit, très peu animal ; il ne pouvait pas oublier. Je le suis moins que lui. Est-ce parce que je suis une fille ? C’est ce qu’aurait dit papa. Mais cette théorie ne rend pas compte des natures animales de Nico, de Myrmex. »

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